Les messes de Noël ne sauveront pas les églises du Québec. Ni les pieuses résolutions de fin d’année. Ni les lois et les subventions actuelles, selon plusieurs experts consultés par Le Devoir. À la campagne, il faut parfois se résigner à contourner les règles si l’on souhaite garder en vie le coeur des noyaux villageois.
La fierté s’entend dans la voix de Claudette Lachance. Fugèreville, son village du Témiscamingue dont la devise est « Le bal des souvenirs », a inauguré cet automne le centre Mont-Carmel dans l’ancienne église du village érigée en 1921.
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Dans « le centre… faut arrêter de l’appeler l’église », dit la directrice générale de la municipalité, on francise les nouveaux arrivants, on loue des livres à la bibliothèque, on divertit le club de l’âge d’or.
Or, pour arriver à cette reconversion réussie, il n’a pas seulement fallu désacraliser la bâtisse. Il a aussi fallu renoncer à son caractère de patrimoine protégé.
« On aurait pu avoir de l’aide gouvernementale. Ils ont beaucoup essayé de la garder en citation, mais ça nous aurait coûté un prix de fou. On n’aurait pas pu l’isoler, la peinturer. C’était ça le problème. »
« Là, on a une finition bonne pour 35 ans. Autrement, il aurait fallu mettre 200 000 $ pour peinturer l’extérieur à plusieurs reprises. C’est bien beau dire qu’on va conserver nos bâtiments, mais à quel prix ? »
Grâce à cette intervention de 800 000 $, le coeur du village a recommencé à battre.
« On avait un prêtre sur le comité — il est tellement heureux de voir ça. Le but premier d’une église, c’est le rassemblement. L’église a retrouvé cette vocation. […] C’est à s’y méprendre », s’enthousiasme-t-elle.
Des fermetures par centaines
Ce récit d’un succès est appelé à se répéter aux quatre coins du Québec.
Au Canada, déjà 4300 églises ont fermé leurs portes entre 2009 et 2018, soit 17 % des églises du pays, selon le centre d’études Halo Project.
Au Québec, c’est le quart des lieux de culte qui ont été démolis, fermés ou recyclés depuis 2003.
Pis encore, entre 20 et 30 % des églises au Canada « sont en danger de fermeture » dans les prochaines années, selon Mike Wood Daly, chercheur qui étudie depuis des décennies la transformation du patrimoine religieux. Des dizaines d’églises québécoises risquent ainsi de passer sous le pic des démolisseurs. « Pourtant, pour chaque dollar investi par les congrégations [dans une église], 3 à 4 dollars retournent en moyenne à la communauté sous forme d’impact », avance-t-il.
« Quand on perd une église, ce n’est pas la messe du dimanche qu’on perd, c’est tout l’effet social qu’on perd », renchérit Julie Favreau, conseillère stratégique en immobilier, spécialisée dans la revitalisation urbaine.
Et l’attachement à nos vieilleries finit par causer la perte de celles-ci, confirme-t-elle.
« La Loi sur les biens culturels occasionne des délais et des coûts incroyables. On va même faire l’argumentation du patrimoine modeste. Dans le temps, c’était des verres simples, des fenêtres en bois. […] Quand on tombe dans les dogmes, on tombe dans les arbitrages à la pièce. Et faire ces arbitrages à la pièce, ça coûte cher. »
Pour chaque église, chaque couvent, chaque presbytère, il faut trouver une solution. Et les gens sont isolés.
Entre de nouveaux propriétaires aux poches peu profondes et un État qui subventionne à moitié, le patrimoine collectif dépérit.
« [Le patrimoine], c’est la job de tout le monde, alors c’est la job de personne », résume Julie Favreau.
Sans compter le clergé qui, parfois, se montre réticent. « L’Église se voit souvent comme une île dans la société, mais elle doit maintenant se voir comme un bon voisin », estime Mike Wood Daly.
Garder l’esprit du lieu
Le fardeau des églises abandonnées tombe bien souvent sur les épaules des municipalités. Celles-ci se trouvent les mieux placées pour comprendre le besoin des paroissiens devenus laïcs.
À Granby, par exemple, la Ville a repris en main l’église Notre-Dame. Le bâtiment centenaire sis au centre de la communauté était laissé presque vide, à peine chauffé entre 2012 et 2019.
C’est un « espace parfait », remarque le directeur du bureau de projets à la Ville de Granby, Daniel Surprenant. Le cégep de Granby, juste à côté, a pu investir le vaste sous-sol, garantissant un revenu stable. Et les étages supérieurs se déclinent selon tous les goûts pour tous les événements possibles et imaginables. Cette « salle multifonction » est allée jusqu’à accueillir une foire de jeux vidéo début décembre.
Quelques surprises surviennent quand on s’attaque à de telles antiquités, note-t-il. La sépulture de l’abbé Marcel Gill, le fondateur et bâtisseur de l’église, reposait dans une crypte depuis son décès en 1920. En outre, un ancien cimetière a été exhumé sous le stationnement.
Mais l’effort en vaut le cierge, croit M. Surprenant. « Ça a été construit par les paroissiens, les citoyens. Ce sont les gens qui ont payé pour l’église. Quand la Ville a racheté ça, c’était pour redonner aux citoyens. »
Vers une « SEPAQ » du patrimoine religieux ?
Le Conseil du patrimoine religieux du Québec jongle depuis plusieurs années avec l’idée d’une « SEPAQ » du patrimoine religieux.
« Tout le monde est un peu dans la même situation », pointe Denis Robitaille, vice-président du CA du Conseil du patrimoine religieux du Québec. « On manque de ressources et d’expertise. Ça serait intéressant de fédérer les choses. »
« Pour chaque église, chaque couvent, chaque presbytère, il faut trouver une solution. Et les gens sont isolés », se désole-t-il.
Le quart des églises du Québec sont déjà reconverties ou en voie de l’être, selon lui. Pour celles qui restent, établir un « carnet de santé » de leur état serait la moindre des choses. « Il y a une possibilité de créer une fiducie qui permet de garder l’usage du bien commun. Pour le patrimoine des Augustines, c’est ça qu’on a créé. Le principal bénéficiaire de la fiducie, c’est la population du Québec. »
Sans amour, les églises risquent d’être finalement abandonnées. Leclimat québécois ne pardonnera pas cet abandon.
Source: Lire l'article complet de Vigile.Québec