par Moon of Alabama
Dans son dernier article, Alastair Crooke discute du changement de narrative qui s’est produit suite aux récentes interviews de dirigeants militaires ukrainiens dans The Economist :
« The Economist commence par des entretiens avec Zelensky, le général Zaluzhny et un commandant militaire ukrainien de terrain, le général Syrsky. Tous trois sont interviewés – interviewés par The Economist, pas moins que cela. Une telle chose ne se produit pas par hasard. Il s’agit d’un message destiné à transmettre le nouveau récit de la classe dirigeante au « milliard doré » (qui le lira et l’absorbera).
En surface, il est possible de lire l’article de The Economist comme un plaidoyer pour plus d’argent et beaucoup plus d’armes. Mais le message sous-jacent est clair : « Quiconque sous-estime la Russie court à sa perte ». La mobilisation des forces russes a été un succès ; il n’y a aucun problème de moral pour les Russes ; et la Russie prépare une énorme offensive d’hiver qui commencera bientôt. La Russie dispose d’énormes forces de réserve (jusqu’à 1,2 million d’hommes), tandis que l’Ukraine ne compte désormais que 200 000 hommes formés militairement pour le conflit. En d’autres termes, « c’est écrit d’avance ». L’Ukraine ne peut pas gagner.
Scott Ritter, en discussion avec le juge Neapolitano, pense que les interviews de The Economist révèlent que l’Occident est en train d’écarter Zelensky – alors que Zaluzhny administre sa grande dose de réalité (qui sera choquante pour de nombreux loyalistes du sherpa). L’interview de The Economist mettait donc clairement l’accent sur le général Zaluzhny, Zelensky n’étant pas mis en avant – ce qui, selon Ritter, indique que Washington souhaite « changer de camp ». Un autre « message » ?
Pour être clair, le général Zaluzhny a déclaré un jour qu’il se considérait comme un disciple du général russe Gerasimov, le chef d’état-major général. Zaluzhny serait familier avec les écrits de ce dernier. En bref, Zaluzhny est connu à Moscou comme un soldat professionnel (bien que dévoué à la cause nationaliste ukrainienne).
Alors, l’Occident prépare-t-il son récit pour se séparer de ce conflit ingagnable et passer à autre chose ? »
Cela pourrait en effet être une possibilité. Les États-Unis et l’OTAN pourraient-ils simplement se retirer cahin-caha de la situation et laisser à Zaluzhny le soin de négocier sa défaite avec la Russie ?
Mais Biden, le secrétaire général de l’OTAN, Stoltenberg, et le chancelier allemand, Scholz, n’ont-ils pas déclaré que la Russie « ne peut pas être autorisée à gagner » ? Bien sûr qu’ils l’ont dit.
Mais Crooke attire l’attention sur l’Afghanistan et sur la rapidité avec laquelle la retraite chaotique de Kaboul a disparu des médias et est désormais largement oubliée. Les Talibans étaient un autre ennemi que l’on ne pouvait pas laisser gagner. Ils ont pourtant gagné. Et personne ne s’en soucie plus.
J’espère sincèrement que le scénario, tel que l’expose Crooke, se réalisera bientôt en Ukraine. Mais hélas, je suis réaliste. La Russie n’arrêtera pas la guerre sans atteindre ses objectifs. Zaluzhny ne sera pas autorisé à négocier la paix.
K. Bhadrakumar note que toute négociation de paix dépend de l’accord de Biden :
« L’indication la plus claire que les États-Unis sont loin d’être pressés de négocier vient de nul autre que le conseiller à la sécurité nationale de la Maison Blanche, Jake Sullivan, dont la visite à Kiev le mois dernier (juste avant les élections de mi-mandat aux États-Unis) avait déclenché une avalanche de spéculations selon lesquelles Washington faisait pression sur le président Zelensky pour négocier.
Les remarques de Sullivan lors d’une apparition au Carnegie le week-end dernier ont clairement montré que les États-Unis sont en Ukraine pour le long terme. Il a déclaré :
« Nous ne savons pas quand cela va se terminer. Ce que nous savons, c’est qu’il est de notre devoir de continuer notre soutien militaire à l’Ukraine afin qu’elle soit dans la meilleure position possible sur le champ de bataille, et que si et quand la diplomatie sera prête, elle sera dans la meilleure position possible à la table des négociations.
Ce moment n’est pas encore venu, et c’est pourquoi nous nous sommes adressés au Congrès et avons demandé un montant substantiel de ressources supplémentaires pour pouvoir continuer à garantir que l’Ukraine a les moyens de combattre cette guerre. Nous sommes convaincus que nous obtiendrons un soutien bipartite à cet égard…
Je ne vais pas préjuger de l’avenir, je vais seulement assurer que dans le présent, nous faisons tout ce que nous pouvons pour maximiser les chances de l’Ukraine de défendre sa souveraineté et son intégrité territoriale… oui, cela risque de durer un certain temps… »
En gros, les États-Unis prétendent avoir encore une main gagnante en Ukraine. »
Les interviews de The Economist ont été publiées le 15 décembre. La conférence de Sullivan à Carnegie a eu lieu le lendemain. S’il y avait eu un changement d’avis à la Maison Blanche, cela aurait été indiqué dans cette interview.
Je pense également que Zaluzhny n’est pas le genre de dirigeant susceptible d’organiser ou de se laisser entraîner dans un coup d’État. En fait, il se pourrait bien que les rumeurs en provenance de Kiev soient vraies et que Zelensky et son équipe travaillent à le pousser vers la sortie. Il serait remplacé par l’autre général ukrainien que The Economist a interviewé :
« À plusieurs reprises, [le général Syrsky] était en fait plus ancien dans la chaîne de commandement que Valery Zaluzhny, nommé commandant en chef de l’ensemble des forces armées en juillet 2021. Certains acteurs politiques pourraient, en coulisse, utiliser ce fait dans une tentative apparente de fomenter des tensions entre les deux. Des rumeurs persistent même sur le fait que l’administration présidentielle pourrait être encline à remplacer le général Zaluzhny, populaire mais indépendant d’esprit, par son ancien patron. Les responsables militaires occidentaux de haut rang s’inquiètent de cette désunion. De leur côté, les deux généraux affirment qu’ils se font pleinement confiance et souhaitent rester en dehors de la politique. Le général Syrsky n’est pas à l’aise avec cette conversation. « L’armée est en dehors de la politique », dit-il. « Elle est comme elle doit être, et comme la loi l’exige ». »
Ni Zaluzhny ni Syrsky ne sont des hommes pour un coup d’état. Si Zelenski doit partir, un autre politicien, probablement plus radical, est susceptible de prendre la tête du mouvement.
Comme le conclut Bhadrakumar :
« Par conséquent, dans les circonstances actuelles, l’option de la Russie se réduit à infliger une défaite écrasante à l’Ukraine dans les mois à venir et à installer à Kiev un gouvernement qui ne soit pas sous le contrôle de Washington. Mais cela nécessite un changement fondamental de la stratégie militaire russe, qui tiendrait compte de la possibilité réelle d’une confrontation avec les États-Unis et l’OTAN à un moment donné. »
Même s’ils se font encore des illusions sur les chances de succès de l’Ukraine, ni l’OTAN ni la Maison Blanche n’ont montré d’appétit pour une guerre contre la Russie. Ils ont probablement fini par comprendre la véritable signification de la demande du général Zaluzhny :
« Je sais que je peux battre cet ennemi. Mais j’ai besoin de ressources. J’ai besoin de 300 chars, 600-700 IFV, 500 Howitzers. Ensuite, je pense qu’il est tout à fait réaliste de les avoir pour la deadline du 23 février. »
Au début de la guerre, l’Ukraine avait, du moins sur le papier, une armée bien équipée :
« L’Ukraine a beaucoup de chars et se classe au 13e rang mondial avec 2430 chars. En termes de véhicules blindés, Kiev est également bien placé, occupant la septième place mondiale avec 11 435 véhicules. La puissance d’artillerie de Kiev est également formidable, avec 2040 batteries. »
Le fait que le général Zaluzhny ait demandé tous ces nouveaux équipements est un aveu que la plupart, sinon la totalité, des anciens équipements ont disparu. Inclus les armes qui ont été reçues depuis le début de la guerre. Si les 20% de l’armée russe qui ont été utilisés en Ukraine ont pu causer autant de dégâts matériels en si peu de temps, combien de temps survivrait une armée de l’OTAN dans une guerre contre la Russie ?
source : Moon of Alabama
traduit par Wayan, relu par Hervé, pour Le Saker Francophone
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Source : Lire l'article complet par Réseau International
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