Première frappe : tournant stratégique

Première frappe : tournant stratégique

Bulletin Comaguer n°499

Un sommet de l’Union économique eurasiatique qui regroupe le Belarus, la Fédération de Russie, l’Arménie, le Kazakhstan et le Kirghizstan s’est tenu à Bichkek capitale du Kirghizstan le 9 décembre en présence des chefs d’État concernés.

À son issue le président russe a tenu une conférence de presse. Nous reproduisons son interview par un journaliste russe à partir de la version anglaise officielle qui a été diffusée.

Quoiqu’elles soient laconiques voire lapidaires ces réponses ou précisément parce qu’elles le sont ont jeté la diplomatie occidentale dans l’angoisse au point qu’elles ont d’abord été ignorées par les médias de masse pour ensuite être caricaturées. Qu’on en juge !

Le président russe est interviewé par Konstantin Paniouchkine de Channel One (chaine de télévision russe présentée à l’Ouest comme « organe du gouvernement russe », l’Ouest ayant, c’est connu, une préférence marquée pour les chaines des milliardaires.

***

Bon après-midi. Une question sur l’opération militaire spéciale.

Que pensez-vous de l’état de l’OPÉRATION MILITAIRE SPÉCIALE ?

En parlant avec des militants des droits de l’homme mercredi, vous avez dit, je cite : « Ce sera un long processus ». Si possible, pouvez-vous expliquer ce que vous aviez à l’esprit ?

Et une autre question sur la même réunion. Vous avez dit, et je cite : « Si la Russie n’utilise pas les armes nucléaires en premier, elle ne les utilisera pas non plus en second ». Cela a provoqué un tollé. Veuillez expliquer ce que vous vouliez dire.

Vladimir Poutine : « En ce qui concerne la durée de l’Opération militaire spéciale, je faisais référence au temps nécessaire au processus de règlement. L’Opération militaire spéciale suit son cours et tout est stable – il n’y a pas de questions ou de problèmes sur ce sujet. Comme vous pouvez le constater, le ministère de la défense fonctionne de manière transparente. Dans ses rapports quotidiens Il reflète tout ce qui se passe dans la réalité, sur le terrain. Voilà ce qu’il en est, objectivement, à cet égard. Je n’ai rien à ajouter.

Quant au processus de règlement en général – oui, il sera probablement compliqué et prendra un certain temps. Mais d’une manière ou d’une autre, les parties à ce processus devront accepter les réalités qui se dessinent sur le terrain. Voilà pour la première partie de votre question. »

Commentaire COMAGUER : Sur la vidéo le Président russe est impavide. Pour lui, la mission a été fixée, l’heure est aux militaires qui l’exécutent et informent sur son déroulement, ensuite viendra le temps des diplomates.

Vladimir Poutine : « Maintenant, sur votre seconde question. Je comprends que tout le monde soit inquiet et l’ait toujours été depuis l’avènement des armes nucléaires, et des armes de destruction massive en général. Les gens, toute l’humanité, se sont inquiétés de ce qui allait arriver à la planète et à nous ? Mais écoutez ce que j’avais en tête, je vais vous expliquer certaines choses.

Les États-Unis ont cette théorie de la frappe préventive (ou première frappe). C’est le premier point. Maintenant, le deuxième point. Ils sont en train de développer un système pour une frappe de désarmement. Qu’est-ce que cela signifie ? Cela signifie frapper les centres de contrôle avec des armes modernes de haute technologie pour détruire la capacité de l’adversaire à contre-attaquer, et ainsi de suite. »

Commentaire COMAGUER : « Frappe de désarmement ». Cette expression qui peut paraitre anodine ou imprécise dans le vocabulaire auquel le lecteur non militaire est habitué est le cœur de la réflexion stratégique. Pour lui donner sa véritable importance il faut utiliser un terme très fort utilisé, dit-on, entre militaires dans les écoles de guerre qui est celui de « décapitation ». La métaphore est limpide : dans un champ clos deux adversaires armés d’un sabre s’affrontent. Le premier qui coupe la tête de l’autre a gagné. Des images du Kenjutsu, ancêtre du kendo, pratiqué par les samouraïs, viennent aussitôt à l’esprit.

L’affrontement entre deux États modernes ne met pas face à face deux personnes mais deux entités qui ont toutes deux une tête : l’état-major et l’exécutif politique et un cerveau d’où partent toutes les impulsions nerveuses qui vont mettre en mouvement la machine de guerre sous toutes ses formes. La « décapitation » consiste donc à détruire le cerveau nécessairement très centralisé de l’adversaire. Le cerveau détruit, sa machine de guerre s’arrête dans l’instant.

Vladimir Poutine : « Quelles sont ces armes modernes ? Ce sont des missiles de croisière que nous n’avions pas à une certaine époque – nous n’avions pas de missiles de croisière basés à terre. Nous les avions supprimés ; nous les avions mis au rebut. Pendant ce temps, les Américains étaient plus malins lorsqu’ils menaient des discussions avec l’Union soviétique. Ils ont mis au rebut les missiles terrestres mais ont conservé les missiles aériens et maritimes qui n’étaient pas couverts par le traité, et nous sommes devenus sans défense. Mais maintenant nous les avons et ils sont plus modernes et encore plus efficaces. »

Commentaire COMAGUER : Très succinctement Poutine fait allusion au traité ABM signé entre les États-Unis et l’URSS en 1972 qui stipulait que la défense anti-missile pouvait être mise en place uniquement pour la protection de la capitale de chacun des deux pays. Il s’agissait bien d’une renonciation à la « décapitation ». Mais profitant au fil des mises à jour du traité ABM de l’affaiblissement de l’URSS puis de sa disparition les États-Unis poursuivirent le déploiement des missiles anti-missiles un peu partout et pour finir George W. Bush dénonça le traité ABM en 2002. À partir de ce moment-là les Etats-Unis pouvaient lancer librement leurs missiles balistiques sur la Russie et détruire au plus près de la frontière russe surtout après l’entrée en 2004 de la Pologne, de la Hongrie et de la Roumanie dans l’OTAN tous les missiles balistiques que la Russie aurait imaginé de leur envoyer pour riposter et de toute manière bien avant que ces missiles atteignent le sanctuaire : le territoire des États-Unis. En Fait la Russie les avait démantelés. Elle était donc sans défense

Vladimir Poutine : « Il était prévu d’effectuer une frappe préventive de désarmement avec des armes hypersoniques. Les États-Unis ne disposent pas de ces armes, mais nous nous en avons. En ce qui concerne une frappe de désarmement, nous devrions peut-être penser à utiliser les réalisations de nos partenaires américains et leurs idées sur la manière d’assurer leur propre sécurité. Nous sommes en train de réfléchir à ce sujet. Personne ne s’est gêné pour en discuter à haute voix dans le passé. C’est le premier point. »

Commentaire COMAGUER : Poutine insiste sur le fait que la « décapitation » était au cœur du traité ABM (Anti Balistic Missiles) initial d’où son expression « discuter à haute voix ». La négociation, la signature et la publication d’un tel traité n’ont évidemment aucun caractère confidentiel.

Vladimir Poutine : « Les États-Unis ont une théorie et même une pratique. Ils ont le concept d’une frappe préventive dans leurs documents stratégiques et dans d’autres documents politiques. Ce n’est pas notre cas. Notre stratégie parle d’une frappe de représailles. Il n’y a aucun secret. Qu’est-ce qu’une frappe de représailles ? C’est une frappe de riposte : c’est à dire que lorsque notre système d’alerte avancé, le système d’alerte d’attaque de missiles, détecte des missiles lancés vers le territoire de la Fédération de Russie. Il détecte d’abord les lancements, puis les actions de riposte commencent. 

Nous organisons régulièrement des exercices de nos forces nucléaires. Vous pouvez les voir tous, nous ne cachons rien. Nous fournissons des informations dans le cadre de nos accords avec tous les pays nucléaires, y compris les États-Unis. Nous informons nos partenaires que nous effectuons ces exercices. Soyez assurés qu’ils font exactement la même chose.

Après que le système d’alerte précoce ait reçu un signal indiquant une attaque de missiles, des centaines de nos missiles sont lancés et ils ne peuvent pas être arrêtés. Mais ça reste une frappe de représailles. Qu’est-ce que cela signifie ? Cela signifie que les têtes de missiles ennemis tomberont sur le territoire de la Fédération de Russie. Cela ne peut être évité. Elles tomberont de toute façon. Mais comme il est impossible d’intercepter des centaines de missiles, il ne restera rien de l’ennemi. Et c’est, sans aucun doute, un puissant moyen de dissuasion. »

Commentaire COMAGUER : Poutine souligne que la Russie dans sa doctrine stratégique actuelle n’a pas prévu de frappe nucléaire préventive mais simplement des frappes de riposte, mais des frappes suffisamment massives pour que les deux adversaires soient anéantis. Cette affirmation est le cœur même de la déclaration officielle commune des cinq chefs d’État (Biden, Poutine, Xi Jinpjng, Macron, Johnson) du 3 janvier 2022 qui peut être résumée par cette sentence qui met fin à la culture du western : « Celui qui tire le premier meurt aussi. »

Vladimir Poutine : « Mais si un adversaire potentiel croit qu’il est possible d’utiliser la théorie de la frappe préventive, alors que nous ne le faisons pas, cela nous fait quand même réfléchir à la menace que de telles idées dans la sphère de la défense d’autres pays représentent pour nous.

C’est tout ce que j’ai à dire à ce sujet. »

Commentaire COMAGUER :  Le président russe est encore plus elliptique dans cette dernière phrase qui tombe comme un couperet.

Explicitons : la doctrine nucléaire des États-Unis prévoit explicitement la frappe nucléaire préventive. Toujours le western : « Je tire le premier ». Les armes hypersoniques russes aujourd’hui opérationnelles rendent possible la décapitation de l’adversaire donc de ses centres de commandement par une arme nucléaire de faible puissance ou même par une arme conventionnelle. Dans ce nouveau contexte pour se défendre si elle est   gravement menacée, la Russie peut envisager une « décapitation préventive » des États-Unis. La Russie y réfléchit. À bon entendeur. …

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POUR CONCLURE

Mais dans ce nouveau cas la métaphore de la « décapitation » est invalide. Un corps sans tête meurt, un pays sans dirigeants ne meurt pas. Il les remplace. Qu’est-ce à dire ?

Tout simplement que le long chapitre de la menace d’extermination nucléaire de masse écrit par les États-Unis depuis 77 ans à Hiroschima et auquel l’URSS avait répondu par une menace symétrique est clos. FIN DE PARTIE !

Les États-Unis qui ne savent que détruire et menacer d’annihiler vont devoir faire de la politique comme les autres grands États : en tenant compte des rapports de force internationaux, en se résignant à l’idée jusqu’alors proprement impensable que la guerre peut atteindre leur territoire et sans faire courir à l’humanité le risque d’une fin atomique.

La déclaration du 3 Janvier 2022 des cinq puissances nucléaires annonçait ce virage historique. Poutine vient d’en confirmer l’immense portée.

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Deux articles sur le sujet

Why Putin Says Russia Could Adopt US-Style Preemptive Strike Doctrine – South Front
Russia may borrow US idea of disarming strike — Putin – Russian Politics & Diplomacy – TASS
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Source : Lire l'article complet par Réseau International

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À propos de l'auteur Réseau International

Site de réflexion et de ré-information.Aujourd’hui nous assistons, à travers le monde, à une émancipation des masses vis à vis de l’information produite par les médias dits “mainstream”, et surtout vis à vis de la communication officielle, l’une et l’autre se confondant le plus souvent. Bien sûr, c’est Internet qui a permis cette émancipation. Mais pas seulement. S’il n’y avait pas eu un certain 11 Septembre, s’il n’y avait pas eu toutes ces guerres qui ont découlé de cet évènement, les choses auraient pu être bien différentes. Quelques jours après le 11 Septembre 2001, Marc-Edouard Nabe avait écrit un livre intitulé : “Une lueur d’espoir”. J’avais aimé ce titre. Il s’agissait bien d’une lueur, comme l’aube d’un jour nouveau. La lumière, progressivement, inexorablement se répandait sur la terre. Peu à peu, l’humanité sort des ténèbres. Nous n’en sommes encore qu’au début, mais cette dynamique semble irréversible. Le monde ne remerciera jamais assez Monsieur Thierry Meyssan pour avoir été à l’origine de la prise de conscience mondiale de la manipulation de l’information sur cet évènement que fut le 11 Septembre. Bien sûr, si ce n’était lui, quelqu’un d’autre l’aurait fait tôt ou tard. Mais l’Histoire est ainsi faite : la rencontre d’un homme et d’un évènement.Cette aube qui point, c’est la naissance de la vérité, en lutte contre le mensonge. Lumière contre ténèbres. J’ai espoir que la vérité triomphera car il n’existe d’ombre que par absence de lumière. L’échange d’informations à travers les blogs et forums permettra d’y parvenir. C’est la raison d’être de ce blog. Je souhaitais apporter ma modeste contribution à cette grande aventure, à travers mes réflexions, mon vécu et les divers échanges personnels que j’ai eu ici ou là. Il se veut sans prétentions, et n’a comme orientation que la recherche de la vérité, si elle existe.Chercher la vérité c’est, bien sûr, lutter contre le mensonge où qu’il se niche, mais c’est surtout une recherche éperdue de Justice.

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