Le 14 décembre marque le 22e anniversaire de la Loi sur les droits et les prérogatives du peuple et de l’État du Québec. Adoptée sous le gouvernement de Lucien Bouchard, cette loi apparaît dans un contexte particulier. Québec veut répondre à la loi sur la clarté d’Ottawa, qui limite ses pouvoirs référendaires.
Les lecteurs de Vigile sont nombreux à savoir que la loi 99 a été contestée devant les tribunaux puis défendue avec succès par l’avocat Maxime Laporte. C’est l’histoire connue, celle que l’on trouve, par exemple, sur un site comme Wikipédia. Ce qui est moins connu c’est qu’elle n’a pas que des qualités.
Maintenant que les poursuites sont tombées, le temps est venu d’approfondir la critique de cette loi et d’en réclamer la révision. Lucien Bouchard a bien dit que « c’est la loi la plus fondamentale que l’Assemblée nationale ait adoptée. » Mais attention. Nous verrons que cette loi a des lacunes qui peuvent engendrer de graves injustices. Nous allons tenter d’expliquer ici de manière compréhensible les failles de la loi 99. Avec ce court texte, l’examen se limitera aux premiers considérants, qui tentent de définir le peuple québécois avec un manque de rigueur qui fait alterner la générosité avec de graves omissions.
Quelques considérants qui posent un problème
Figure 1 Les 7 premiers considérants de la loi 99 (2000)
Nous allons traiter du premier, des cinquième, sixième et septième considérants.
Au cinquième considérant viennent onze Premières Nations indigènes spécifiquement nommées, nous y reviendrons plus loin.
Au sixième considérant on apprend qu’une communauté anglophone se trouve gratifiée d’énigmatiques « droits consacrés », elle seule, sans qu’on nous dise pourquoi. Une discrimination positive perpétuelle pour la minorité la plus choyée du monde ?
Le septième considérant se lit comme suit : « CONSIDÉRANT que le Québec reconnaît l’apport des Québécoises et des Québécois de toute origine à son développement ; » Fort bien.
Pas d’objection. On peut certes reconnaître l’apport des immigrants. Mais les Canadiens issus de la Nouvelle-France et les Canadiens-Français qui suivent n’ont-ils eu aucun « apport » digne de mention ? En tout cas, leur apport autant que leur existence ne sont mentionnés nulle part. J’ai eu l’occasion de parler de cette curieuse absence du peuple fondateur du Canada avec quelques souverainistes. On m’a répondu que je me trompais. J’aurais dû comprendre qu’il s’agissait d’eux, eux les Canadiens-Français, lorsque dans le premier considérant on fait état d’une population « majoritairement de langue française. » Mais rend-on vraiment justice aux Canadiens-Français par la simple désignation d’une population majoritairement de langue française ?
Pour répondre à la question, il faut d’abord définir les termes Canadiens-Français et une majorité de langue française.
D’abord, pour Canadiens-Français, gardons les choses simples, on prendra la définition de René Lévesque de 1963, pour qui les Canadiens-Français c’est 80 % de la population du Québec. (N. Toupin)
Ensuite, pour le sens à donner à une majorité francophone dans le contexte des valeurs d’Ottawa, on peut facilement admettre que la majorité peut accéder à un pouvoir provincial composé de francophones. En revanche, une telle majorité ne peut désigner une identité nationale, car l’expression se limite à reconnaître une caractéristique linguistique qui, à elle seule, ne peut être une nationalité.
Du trudeauisme !
Pour mieux comprendre, un bref retour en arrière nous éclairera sur les concepts de majorité et de minorité linguistique. Ce sont des concepts qu’on pourrait croire inscrits dans l’ADN du Canada. Ils ont été formulés dès 1969 dans la loi sur les langues officielles du gouvernement Trudeau. Pour Trudeau, la langue était un simple moyen de communication entre individus libres.
Figure 2 Daniel Johnson
Figure 3 Pierre Elliot Trudeau
Figure 4 André Laurendeau, co-président de la
Commission sur le bilinguisme et le biculturalisme
En opposition à la doctrine Trudeau, une vision différente du Canada circulait largement à l’époque. C’était celle de Daniel Johnson, celle des États généraux du Canada français, celle que reprenait aussi l’introduction générale de la Commission Laurendeau-Dunton sur le bilinguisme et le biculturalisme.
Selon cette approche politique, la dualité linguistique au Canada était le reflet de la dualité nationale. Trudeau, farouchement opposé à l’idée, profitera de la loi sur les langues officielles pour bien séparer la langue de toute identité. Par la force d’une loi qui tient de l’ingénierie sociale, il voudra en finir avec le Canada binational, dont on voit des évocations partout, comme dans le Bas et le Haut-Canada, par exemple. J’imagine que pour des êtres incarnés comme vous et moi, et pour la tradition canadienne-française, la langue n’est pas un électron libre. Elle se trouve bien au contraire au centre d’un ensemble socio-culturel particulier, à préserver et à transmettre.
Il faut le reconnaître et le dire sans méchanceté, avec la loi 99, le gouvernement de Lucien Bouchard reprenait à son compte la doctrine Trudeau. Or, dans le contexte d’un parti pris péquiste pour la continuité nationale, on aurait cru que la langue française devait représenter l’attribut inséparable d’une identité historiquement constituée. Malheureusement, les considérants de la loi 99 vont en sens inverse, vers un trudeauisme qui officie le divorce entre la langue française et l’identité canadienne-française. En réalité, la loi 99 témoigne du passage d’une époque où Québec assumait le mieux notre identité nationale, celle des courtes années Johnson, à une autre époque, celle d’un État plurinational qui a intégré tous les codes d’un mondialisme qui mène à la disparition des nations enracinées. En Amérique, les trois siècles des Canadiens de la Nouvelle-France et leurs héritiers, c’est fort long et fort impressionnant. Mais apparemment pas digne de la moindre mention dans des considérants qui décrivent un peuple québécois amputé de sa principale composante.
De l’ethnicité des nations
Mais revenons sur les Premières Nations, au cinquième considérant, afin de bien mettre en relief les deux poids, deux mesures de la loi 99. Bien que certaines de ces Premières Nations comptent moins de 2000 membres, elles sont reconnues comme des nations. On pourrait ajouter, reconnus comme des nations ethniques qui s’affirment et se revendiquent comme telles. Mais pas de fausse indignation ici ! Sauf les bigots, tous comprennent que le caractère ethnique est constitutif des réalités nationales. Et d’ailleurs, en présence de menaces à son existence, une ethnie qui s’affirme peut se réfugier dans un repli défensif salutaire.
Donc, les quelque 1300 Malécites et les 2800 Abénakis forment des nations. En comparaison, si on s’en tenait seulement au nombre, les Canadiens-Français vaudraient bien une reconnaissance nationale officielle ? Mais certains nous disent : les Malécites et les Abénakis existent, eux, mais pas les Canadiens-Français. Faudrait-il amener ces incrédules dans une grande bibliothèque, où, pour les convaincre, on leur montrerait des rayons entiers consacrés aux Canadiens-Français et aux Canadiens de la Nouvelle-France ? En fait, la congruence, voire la rigueur parlementaire, aurait voulu que Québec ne traite pas ses nations internes avec d’aussi grossières et injustifiables différences.
« Québécois francophone » n’a pas de dimension nationale
Au regard de ce qui précède, il faut conclure avec regret que le statut résiduel des Canadiens-Français historiques, endossé par Québec, les refoule dans une simple et misérable appartenance linguistique. Quelle déchéance pour ce peuple qui avant la Conquête était l’un des plus intrépides du monde ! L’hypothèse du refoulement de la plénitude nationale dans la langue se vérifie entièrement quand on pense au syntagme du « Québécois francophone ». Pensons-y, on juxtapose l’identité générique d’un habitant du Québec, le Québécois, à celle d’un locuteur du français, le francophone. L’expression Québécois francophone ne possède donc pas de dimension nationale au sens sociologique.
Mal écrite ou très politiquement correcte ?
La cerise sur le gâteau, que je gardais pour la fin, se trouve dans le premier considérant dont l’essentiel se lit comme suit :
CONSIDÉRANT que le peuple québécois, majoritairement de langue française, possède des caractéristiques propres et témoigne d’une continuité historique enracinée dans son territoire…
Il faut lire avec attention ce segment qui pourrait facilement tromper un lecteur pressé. En réalité, ce que le législateur nous dit c’est que les « caractéristiques propres » et la « continuité historique enracinée dans son territoire », qu’on serait d’ailleurs bien en peine de définir puisqu’ils s’appliquent aux anglophones, aux autochtones, aux immigrants, et incidemment à la majorité de langue française. En somme, ça s’applique indistinctement à tous les Québécois. Est-ce juste mal écrit ou qu’on s’est fendu pour appliquer jusqu’à l’absurde le concept de nation civique ?
Un fiasco issu d’un compromis plurinational bâclé
En terminant, la loi 99 est un faux-pas constitutionnel parce qu’elle est un compromis de l’Assemblée nationale sur la plurinationalité du Québec, mais réalisé sans les Canadiens-Français. Ils n’en sont pas partie prenante, même pas dans le sens historique le plus général et le moins compromettant du terme.
Certes, les Québécois francophones qui se réclament de la plénitude nationale canadienne-française sont encore peu nombreux mais, compte tenu de la générosité de l’Assemblée nationale, apparemment ouverte à toute forme de diversité, il n’y aurait aucune raison valable d’en exclure plus longtemps les Canadiens-Français. Il faut leur rendre l’existence nationale, de la même manière qu’on l’accorde par exemple, aux Malécites et aux Abénakis, sans que cela fasse débat. La prochaine fois, la nation canadienne-française devra avoir des représentants en commission parlementaire pour veiller au grain. Elle pourra alors s’assurer de ne pas être oubliée par Québec et de prendre sa place au sein de toute nouvelle initiative constitutionnelle.
Fin
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