Par Dmitry Orlov – Le 11 novembre 2022 – Source Club Orlov
Au cours des deux dernières années, une transformation étonnante s’est produite : une gigantesque masse grouillante de virologistes indépendants basés sur Internet s’est spontanément transformée en une masse tout aussi grouillante d’experts en géopolitique. Et maintenant, avec la même soudaineté, ces géopoliticiens sont devenus des experts militaires. Certains de ces nouveaux experts militaires estiment que la décision de la Russie, annoncée il y a deux jours, de retirer ses troupes d’un territoire situé sur la rive droite du Dniepr, dans lequel se situe la ville de Kherson, est une défaite stratégique. Elle est stratégique parce que la stratégie de la Russie à l’égard de cette région est – en fait quoi ? Et c’est une défaite parce qu’une retraite est le contraire d’une victoire, qui, dans le contexte de l’opération spéciale de la Russie dans l’ancienne Ukraine, serait – en fait quoi ? Ils ne le savent pas (ils viennent de sortir de l’œuf), mais l’expression « défaite stratégique » impressionne et vise à nous convaincre que ces virologues, je veux dire ces experts militaires, savent certainement de quoi ils parlent. Et même si ce n’est pas le cas, ajoutez-y un peu de Deep State, quelques Bilderbergers, un Schwab ou deux, assaisonnez, mélangez, et vous obtiendrez une belle salade de mots.
Si vous préférez quelque chose de plus consistant à vous mettre sous la dent, voici quelques informations. Kherson est une région russe située juste au nord de la Crimée. Elle fait partie du pont terrestre qui longe la côte de la mer d’Azov et relie la Crimée au reste de la Russie. Elle relie également la Crimée au puissant fleuve Dniepr par un canal qui lui fournit de l’eau pour son irrigation et permet aux agriculteurs de Crimée de cultiver beaucoup de riz (entre autres choses). Et puis il y a la ville de Kherson, qui est à Kherson ce que Kansas City est au Kansas, à la différence que si Kansas City est à cheval sur le fleuve Missouri, Kherson City est de l’autre côté du Dniepr par rapport au reste du territoire de Kherson. En fait, la ville de Kherson se trouve du mauvais côté du fleuve (qui, dans ce cas, est également le bon côté, si vous êtes dans le sens de son écoulement).
Le Dniepr est en fleuve puissant. Il traverse Kiev, puis décrit un grand arc de cercle jusqu’à la mer Noire, formant une frontière naturelle difficile à franchir et facile à défendre. Les Soviétiques l’avaient enjambé avec une douzaine de ponts et de barrages et y avaient construit des centrales hydroélectriques qui ont contribué à faire de l’Ukraine une puissance économique – pour un temps. Mais cette époque est désormais définitivement révolue et les nationalistes ukrainiens actuels appellent cette période « occupation soviétique » et s’emploient à détruire tout ce qui est soviétique, qu’il s’agisse des statues de Lénine sur les places des villes, les ponts, les barrages, qu’ils bombardent sans relâche. Jusqu’à présent, les dommages subis par les barrages n’ont été que superficiels, mais un de ces jours, ils pourraient réussir à en détruire un, auquel cas un mur d’eau submergerait la ville de Kherson et ses environs, la rendant invivable pour un bon moment.
Les Russes ont donc décidé d’évacuer la ville de Kherson et ses environs. Poutine a donné l’ordre direct d’évacuer tous ceux qui voulaient partir. Ces personnes ont été transportées en Crimée, avec leurs enfants, leurs animaux domestiques et leurs parents âgés, dans des ambulances si nécessaire. Elles ont été logées et nourries, ont reçu un traitement médical si nécessaire, puis ont reçu des bons de logement et des cartes de paiement avec un peu d’argent pour leur permettre de tenir jusqu’à ce qu’elles trouvent un emploi et qu’elles soient envoyées dans une région russe où les emplois sont nombreux. Comme Kherson fait désormais partie de la Russie, ils sont tous automatiquement des citoyens russes dotés de tous les droits inaliénables et de tous les privilèges qui s’y rattachent, ce qui les rend, selon les normes ukrainiennes contemporaines, ridiculement riches. Inversement, qu’est-ce que cela fait de ceux qui ont refusé l’offre d’évacuation et ont décidé de rester dans une ville complètement délabrée, partiellement détruite, bombardée sans relâche, complètement minée, semi-abandonnée, qui sera noyée lorsque le vieux barrage cédera ? Une stupidité embarrassante, je suppose… Du point de vue russe, l’évacuation était essentiellement un rapatriement des Khersoniens qui se considèrent comme russes ; quant aux autres – quel est déjà ce mot vulgaire que Victoria Nuland aime prononcer ?
Examinons maintenant la ville de Kherson du point de vue de la logistique. L’hiver arrive, les ponts sont détruits et le Dniepr gèle, mais la ville est située assez loin au sud par rapport aux normes russes, et donc elle ne gèle pas très rapidement ni de manière fiable. Pendant une grande partie de l’hiver, le fleuve sera fermé à la navigation, mais la glace sera trop fine pour permettre le passage de camions lourds et de chars. Il n’y a pas non plus d’aéroport [Il y en a bien 1 au nord de la ville mais dans quel état ? NdT]. Il n’est pas nécessaire d’être un expert militaire (ni un virologue de talent) pour comprendre que l’évacuation et le retrait de Kherson étaient la seule option viable. Oui, il s’agit d’une retraite, et certaines personnes pensent qu’une retraite est en quelque sorte toujours une mauvaise chose. La retraite de Koutouzov de Moscou en 1812 était-elle une mauvaise chose ? Elle l’a certainement été pour Napoléon ! Et puis, en 1942, il y a eu la retraite en traversant la Volga, à Stalingrad. Comment cela c’est-il passé pour Hitler ?
Ainsi, la ville de Kherson est du mauvais côté du fleuve, impossible à réapprovisionner, complètement dépeuplée, avec des infrastructures délabrées par trois décennies de corruption, de vol et de négligence ukrainiennes, à moitié détruites par les bombardements ukrainiens incessants de ces derniers mois, et sera potentiellement inondée lorsque le barrage cédera. D’un autre côté, les prix de l’immobilier y sont assez raisonnables en ce moment, et c’est toujours un territoire russe – une partie de la région de Kherson, qui a été acceptée dans la Fédération de Russie le 4 octobre 2022, sur la base des résultats d’un référendum public. Selon la constitution russe, aucune partie du territoire russe ne peut être vendue, aliénée ou échangée. Les hostilités se poursuivront donc jusqu’à ce que ce territoire soit à nouveau sous contrôle russe et que le drapeau russe flotte à nouveau sur ce qui restera de la ville de Kherson.
Et si ce morceau de terre particulier du mauvais côté du Dniepr est un territoire russe, alors qu’en est-il du reste ? Que diriez-vous d’une belle bande de terre agricole dépeuplée et démilitarisée de quelques centaines de kilomètres de large le long de la mauvaise rive du Dniepr, patrouillée par des drones et périodiquement labourée, plantée et récoltée par des machines agricoles robotisées ? Ce plan semble parfaitement réalisable ; il ne reste plus qu’aux fiers propriétaires de ce qui reste de l’Ukraine (qui en réalité se trouvent à Washington) à réaliser que c’est la meilleure offre qu’ils puissent recevoir. Les Russes sont toujours assez raisonnables au début, puis le deviennent de moins en moins, et leur offre finale n’est généralement pas une offre du tout – juste la mort.
Maintenant, supposons que les Washingtoniens ne se mettent pas allègrement sur le dos, pour laisser Poutine leur gratter le ventre et ensuite se pisser dessus dans une joie de chiots. Après tout, l’Ukraine est une terre américaine ! Ils ont acheté ces terres à des oligarques ukrainiens, ou les ont gagnées en jouant au poker avec eux, ou les ont simplement prises parce qu’elles leur plaisaient… Supposons qu’au lieu de cela, ils impriment d’énormes liasses de dollars et les donnent aux Ukrainiens, qui s’assoient sur place et envoient d’un air maussade ces liasses de dollars en direction des Russes, qui sont confortablement installés sur la bonne rive du Dniepr (celle de gauche), profitant des douillettes mitaines de laine que des millions de grands-mères russes sont en train de leur tricoter. Alors comment la Russie peut-elle établir cette belle et large bande de terre ? Je ne suis pas un virologue et je ne pourrais pas distinguer l’ARN messager de l’ARN ordinaire, mais je sais reconnaître une protéine de pointe (elle a des pointes, bien sûr !) et je sais aussi lire une carte. Et en la regardant, je vois clairement que le moyen le plus rapide et le plus direct pour la Russie de faire cela est de lancer une attaque depuis le Belarus, en passant par Kiev, puis descendre jusqu’à Odessa sur la mer Noire. La côte de la mer Noire étant déjà bloquée par la marine russe, les voies de réapprovisionnement des forces ukrainiennes/OTAN à l’est de cette ligne seraient coupées et l’action militaire sur le territoire de l’ancienne Ukraine prendrait fin peu après.
Ce qui freine ce plan, c’est la population : il reste encore quelques millions de personnes dans ces territoires, et qui, à votre avis, est censé les nourrir ? Les Russes ? Pas question ! Ces gens ont eu l’occasion de se déclarer russes et de se joindre aux Russes dans la lutte contre les nazis ukrainiens (qui ont toujours été plutôt peu nombreux mais, étant donné leur soutien occidental généreux, plutôt influents). Mais ils ont laissé passer cette chance, et il faut maintenant les persuader de faire leurs valises et de rejoindre l’Union européenne. La façon la plus simple de le faire est de leur présenter la perspective d’un hiver long et froid, sans électricité, sans chauffage, sans eau courante, sans nourriture dans les magasins et sans argent. (La situation pourrait bientôt être sensiblement la même dans une grande partie de l’Union européenne elle-même, mais laissons leur l’opportunité de le découvrir par eux-mêmes). C’est exactement ce que fait la Russie, qui a déjà mis hors service 40 % de la capacité de production d’électricité de l’Ukraine tout en infligeant de nombreux autres dommages à l’infrastructure, principalement à l’aide de missiles lancés depuis des navires et des avions, et de nouvelles mobylettes volantes fantaisistes appelées Geranium 2 (un drone suicide iranien alimenté par un moteur à deux temps bon marché de fabrication chinoise).
Jusqu’à présent, il ne s’agit que de tactique, mais qu’en est-il de la stratégie ? Eh bien, d’un point de vue stratégique, c’est un signal pour les États-Unis et l’OTAN, et ces mandataires et mercenaires que la Russie combat actuellement en Ukraine. (Grâce à la dissuasion nucléaire de la Russie, les guerres par procuration sont tout ce qu’ils peuvent risquer). Ce que la Russie leur signale, ainsi qu’à son propre peuple et au reste du monde, c’est que cette opération militaire spéciale est un engagement à durée indéterminée, sans échéance précise, mais avec un objectif défini : assurer la sécurité de la Russie. La Russie peut la maintenir, littéralement, à l’infini. De plus, c’est probablement une bonne chose pour elle : le peuple devient plus uni, l’économie se dédollarise, le rouble est plus fort qu’il ne l’a été en 22 ans, l’influence culturelle occidentale est éliminée, les ennemis internes sont éliminés et la machine militaire russe reçoit une mise au point bien nécessaire. Pendant ce temps, le reste du monde peut prendre tout son temps pour se faire à l’idée que l’Occident collectif est en train de disparaître. La Russie a tendance à remporter ses plus grandes victoires au cœur de l’hiver. Sa victoire peut venir cet hiver, ou le suivant, ou celui d’après…
Quant à moi, j’adore l’hiver ! J’ai hâte d’aller skier et patiner. Je viens de mettre des pneus cloutés sur mon van militaire Bukhanka, pour le préparer aux aventures hivernales. Je pourrais même faire le traditionnel plongeon dans un trou de glace le 6 janvier (Épiphanie). Cet hiver devrait être bon.
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Déclaration complète du ministère de la Défense sur le passage du Dniepr :
- Aujourd’hui à 5 heures du matin, heure de Moscou, le transfert des unités russes sur la rive gauche du Dniepr a été achevé.
- Pas une seule pièce d’équipement militaire et d’armes n’a été laissée sur la rive droite, tous les militaires russes ont traversé vers la rive gauche, aucun abandon de personnel, d’armes, d’équipement militaire et de matériel du groupe russe n’a été autorisée.
- Les forces russes qui ont traversé occupaient des lignes et positions défensives préparées à l’avance en termes de génie.
- Tous les civils qui souhaitaient quitter la partie de la rive droite de la région de Kherson ont reçu une aide pour leur évacuation.
- La nuit, l’ennemi a tenté de perturber le transport des civils et le transfert des troupes vers la rive gauche – les militaires ukrainiens ont frappé 5 fois aux points de passage avec des roquettes HIMARS, la défense aérienne russe a abattu 28 obus, 5 autres ont été déviés de leurs cibles au moyen de la guerre électronique.
- Au cours des deux derniers jours, l’avancée des unités ukrainiennes dans certaines zones [de la région de Kherson] – n’a pas été de plus de 10 km.
- L’artillerie et les frappes aériennes russes ainsi que l’utilisation de mines et de barrières explosives ont arrêté les unités ukrainiennes à 30-40 km de la zone de traversée du Dniepr.
- Les drones Lancet et les tirs de roquettes MLRS ont détruit 3 obusiers tractés américains M777, 2 véhicules de combat d’infanterie et 3 camionnettes ennemies pour la journée, plus de 20 soldats ukrainiens, 2 chars, 2 affûts d’artillerie automoteurs et 3 véhicules de combat blindés ont sauté sur des champs de mines.
Dmitry Orlov
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Il vient d’être réédité aux éditions Cultures & Racines.
Il vient aussi de publier son dernier livre, The Arctic Fox Cometh.
Traduit par Hervé, relu par Wayan, pour le Saker Francophone
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Source : Lire l'article complet par Le Saker Francophone
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