L’émotion est forte lorsque je rencontre Ivanka Galadza, artiste canado-ukrainienne. Quelques larmes ravalées discrètement, signe visible que le bon Dieu est là. Pendant notre entretien, conduit en anglais, je confonds sans cesse les mots peacemaker et pacemaker. Grommèlement intérieur. Les deux mots ne sont peut-être pas si éloignés l’un de l’autre, au fond. Les artisans de paix comme Ivanka font bien battre le cœur du monde. Parfois à bout de bras.
Ivanka est une illustratrice ukrainienne catholique de rite byzantin. Ses grands-parents ont quitté l’Ukraine pour l’Amérique du Nord au cours de la Seconde Guerre mondiale. Ils étaient des réfugiés, exilés de leur terre natale pour des raisons semblables à celles qui alimentent l’actuel vague issue du même pays.
Diplômée de l’Université Concordia en gravure, la jeune femme travaille depuis plusieurs années sur un projet de roman graphique qui aborde l’Holodomor, cette grande famine provoquée au caractère génocidaire qui a frappé l’Ukraine sous la gouverne de Staline dans les années 1930. Ivanka n’aurait jamais cru que les images qu’elle crée, tirées des mémoires douloureuses du peuple ukrainien, redeviendraient la réalité en 2022. «Je suis vraiment plongée dans cette atmosphère de guerre et de génocide. Ce n’est pas quelque chose que j’aurais cru voir de toute ma vie. J’ai toujours entendu l’histoire par mes grands-parents et d’autres familles ou des amis survivants de ce pan de l’histoire de l’Ukraine.»
Pour cette artiste ukrainienne, ces illustrations sont passées d’un projet à une «nécessité». «Cela vient tout simplement de mon cœur…»
Artisan d’espérance
«Récemment, j’ai eu une conversation avec une femme arrivée d’Ukraine il y a quelques mois. Sa famille est toujours là-bas. Je me souviens de lui avoir parlé de mon art et d’avoir essayé de lui dire quelque chose du genre: “Tu sais, nous avons à nous rappeler que chacun d’entre nous est un être humain, peu importe ce que nous faisons.” Et cette personne m’a répondu: “Non, en ce moment, je ne crois pas que ces personnes… – elle parlait des soldats russes – qu’un être humain puisse commettre de pareils gestes.”»
Elle est frappée de plein fouet. «Émotionnellement, je comprends d’où elle vient. Je comprends ce sentiment de ne pas vouloir voir ton ennemi comme un être humain.» Pourtant, une profonde conviction que l’issue de chaque vie humaine est la rédemption demeure ancrée dans sa foi.
«Cela m’a rappelé à quel point l’art peut porter la paix.»
«Avec le travail de l’art, on peut représenter cette forme d’harmonie à laquelle on aspire, sans mot, en espérant que cela inspire les gens à voir qu’il y a de l’espérance… C’est dur à expliquer! C’est ce pour quoi je suis une artiste visuelle et non une écrivaine»! Rires.
Un discernement artistique
Ivanka vit tout un discernement à travers sa démarche artistique, qu’elle veut à la fois «pacifique» et «aidante». Il y a ce qu’elle exprime pour elle-même et ce qu’elle partage aux yeux du monde. Si une œuvre peut être «une bénédiction» pour ceux qui la reçoivent, une autre peut être le fruit d’une «impulsion» dans laquelle on déverse sa colère et sa frustration. Cet art «confrontant» n’est pas sa tasse de thé.
«Je crois qu’il y a une différence entre [pratiquer] l’art thérapie et être une artiste qui produit et partage avec le monde. Tout n’a pas besoin d’être public. Je pense que, particulièrement en tant que catholique, il y a ce discernement d’autant plus aiguisé qu’il faut avoir. On ne peut pas splasher tout bonnement sur quelqu’un.»
Faire mémoire? Oublier? Pardonner? Tout cela n’est pas si simple. Ivanka croit que l’art est une voie possible vers une mémoire «plus digeste».