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par Daniel Kersffeld.
Pour l’Argentine, l’adhésion aux BRICS pourrait être l’une de ses initiatives les plus marquantes en matière de politique étrangère de ces dernières années.
Les BRICS, composés du Brésil, de la Russie, de l’Inde, de la Chine et de l’Afrique du Sud, forment actuellement un axe mondial d’une dimension exponentielle. Dans les décennies à venir, leur impact politique et économique sera de plus en plus tangible lorsque se consolidera une nouvelle géopolitique multipolaire capable de rivaliser avec la place prépondérante de première puissance qu’incarnent aujourd’hui les États-Unis.
Selon la Banque mondiale, les pays membres des BRICS représentent 22% de la superficie terrestre mondiale, 42% de la population mondiale, 26% du PIB mondial et disposent de 4000 milliards de dollars en devises.
Selon le Fonds monétaire international, au sein de ce groupe, la première place sur le plan économique est occupée par la Chine avec plus de 70% de la puissance économique agrégée, suivie de l’Inde avec 13%, de la Russie et du Brésil à hauteur d’environ 7% chacun, et enfin de l’Afrique du Sud avec 3%.
En ce moment crucial, la force de cette alliance réside avant tout dans le partenariat entre la Chine, première nation commerciale du monde et la Russie, premier fournisseur mondial d’énergie. Alors que l’Inde est d’ores et déjà l’une des principales puissances exportatrices de ressources naturelles et de céréales, le Brésil renforce sa position d’acteur global dans l’agroalimentaire et l’Afrique du Sud est en passe de se positionner comme une nation-clé dans la fourniture de métaux et de minéraux aux applications technologiques de grande envergure.
L’adhésion de l’Argentine aux BRICS, soutenue principalement par l’Inde, la Russie et la Chine (cette dernière assurant actuellement la présidence de ce groupe de pays), repose sur sa capacité à fournir des produits agroalimentaires tels le soja et les céréales, ainsi que des ressources naturelles stratégiques: gaz naturel, gaz de schiste, différentes sortes de minéraux et surtout du lithium, un métal de plus en plus demandé. En outre, l’Argentine dispose d’un potentiel scientifique hautement qualifié qui englobe en particulier une spécialisation en biotechnologie et des technologies logistiques appliquées.
L’Argentine n’a toutefois pas été le seul pays désireux de se joindre aux BRICS ces dernières années : il y aurait actuellement une vingtaine de nations de tous les continents dont les gouvernements demanderaient leur adhésion. Et contrairement à l’idée reçue selon laquelle seuls les gouvernements sympathisants de l’axe Moscou-Pékin souhaiteraient leur adhésion, il suffit de comparer les diverses orientations de certains des gouvernements candidats, par exemple au Proche-Orient.
Dans cette optique, en plus de l’Iran, certains gouvernements membres de l’OTAN se sont prononcés en faveur de cette adhésion, comme la Turquie, ainsi que des pays historiquement alliés des États-Unis, notamment l’Arabie saoudite et, plus récemment, l’Égypte et même les Émirats arabes unis, l’un des protagonistes des Accords d’Abraham signés à Washington en 2020.
La force d’attraction exercée aujourd’hui par les BRICS menace de transcender les alliances traditionnelles et même les rivalités historiques, par exemple celles qui sont toujours d’actualité entre plusieurs pays du Moyen-Orient. Par conséquent, il ne serait pas si étonnant que l’élargissement de ce bloc contribue à réécrire une grande partie des relations internationales au travers desquelles les États-Unis ont façonné la carte géopolitique de la majeure partie du monde au cours de ces trente dernières années.
Les BRICS ne sont plus ce groupe de pays émergents, lancé en 2006 et fondé en 2009 en réaction à la crise financière qui avait éclaté un an plus tôt aux États-Unis, avant de se propager rapidement à l’ensemble du globe. Aujourd’hui, les BRICS prônent un modèle de développement remettant en question les valeurs fondamentales du capitalisme néolibéral.
Les BRICS préconisent ainsi aujourd’hui un modèle de développement basé sur la coopération Sud-Sud et l’établissement exponentiel de liens entre pays aux économies complémentaires et aux objectifs économiques, politiques et sociaux similaires.
Pour cette raison, que la FAO a reconnue, l’un des objectifs les plus ambitieux de ce bloc est de jouer un rôle de premier plan dans la politique d’éradication de la faim et de la pauvreté d’ici 2030, grâce à la production commune de plus d’un tiers des céréales mondiales.
Bien que les BRICS aient connu, depuis la création de leur alliance, plusieurs passes difficiles, marquées par la guerre commerciale entre la Chine et les États-Unis et par les conséquences économiques et sociales de la pandémie du Covid-19, l’actuelle crise en Ukraine constitue cependant le principal défi à leur survie.
Cependant, les sanctions prises par les États-Unis et les gouvernements de l’OTAN à l’encontre de la Russie, les restrictions qui en ont résulté, ainsi que la nécessité d’y trouver des solutions ont eu pour conséquence directe le renforcement des liens entre partenaires du bloc, lequel s’est projeté dans l’avenir sur la base de propositions concrètes et d’initiatives à long terme.
L’admission de l’Argentine au sein des BRICS adviendrait donc au milieu de la faillite progressive du système financier international, qui montre déjà des signes évidents d’usure et qui est devenu incontrôlable en raison de la faiblesse croissante du dollar, de la menace d’une inflation entretenue par l’expansion de la masse monétaire et d’un déficit budgétaire qui, selon le Congressional Budget Office américain, devrait dépasser les 1000 billions de dollars en 2022.
En ce sens, le projet le plus ambitieux, porté notamment par la Russie et la Chine, vise précisément à une sortie du dollar comme élément central de toute souveraineté, afin de protéger les moyens de production essentiels contre l’hégémonie des États-Unis et leur politique de perpétuel asservissement économique.
En agissant de la sorte, les BRICS ne font qu’anticiper un processus que de nombreux analystes politiques et économiques considèrent comme irréversible. L’introduction d’une ligne différenciée de devises en tant qu’alternative au dollar contribuera à construire un monde multipolaire, tout en apportant la sécurité aux pays qui composent ce bloc en expansion, sans conditions imposées de l’extérieur, et qui plus est, sans aucune sorte de chantage.
Aujourd’hui, les BRICS suscitent à nouveau l’espoir de créer dans le monde des rapports de force plus équilibrés, au sein desquels des puissances apparemment invincibles pourraient trouver leurs limites et leurs contraintes. Le démantèlement du néolibéralisme et de ses pires conséquences, la faim et la misère pour des millions de personnes à travers le monde, pourrait devenir une réalité dans les décennies à venir. L’adhésion prochaine de l’Argentine à ce bloc est donc incontestablement une bonne nouvelle.
source : Horizons et Débats
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