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par Patrick Lawrence.
Les nations qui représentent plus de 80% de la population mondiale et autant ou à peu près du produit intérieur brut mondial sont tout à fait capables de se rendre compte des provocations lourdes de sous-entendus du gouvernement Biden et ne les apprécient pas. Évènement d’une importance capitale, l’Organisation des pays exportateurs de pétrole – désormais connue sous le nom d’OPEP+, en y incluant la Fédération de Russie – s’est récemment réunie à Vienne pour sa première session plénière depuis 2020. Si on se base uniquement sur les nouvelles publiées dans les medias sous contrôle, on n’est pas forcément au courant de ces derniers développements.
Le monde vient donc de prendre un tournant significatif et d’entrer dans le XXIe siècle. Donc, tenons-nous au courant, et laissons ceux qui se refusent à le reconnaître à leurs propres affaires.
Biden, dont l’esprit est apparemment incapable d’appréhender la nouvelle ère qui se profile, étant lui-même indifférent aux intérêts et aux aspirations d’autrui, s’est empressé de semer la pagaille au maximum. La semaine dernière, il a menacé l’Arabie saoudite, qui copréside l’OPEP+ avec la Fédération de Russie, de « conséquences » en rapport avec ce qui s’est déroulé à Vienne. C’est ce que font les impérialistes lorsque leur primauté est menacée – ce faisant, ils stimulent justement les courants de l’histoire qu’ils étaient résolus à perturber.
La décision de l’OPEP+, un problème d’envergure
Comme on le signale un peu partout, l’OPEP+ a décidé de réduire la production de pétrole des nations membres de deux millions de barils par jour à partir du mois prochain. Il se peut que cette réduction se limite en fait à la moitié de ce chiffre, car de nombreux membres de l’OPEP+ – le Nigéria, par exemple – n’ont de toute façon pas atteint leurs quotas. Mais les prix du carburant à la pompe augmentent déjà, et nous le constaterons bientôt dans nos stations-service. L’augmentation du prix au détail risque de compliquer le sort politique de l’administration Biden et des démocrates du Capitole, juste à l’approche des élections de mi-mandat. Bref, un problème massif.
Toutefois, cela ne traduit même pas la moitié de ce qui s’est passé à Vienne il y a deux semaines. L’Arabie saoudite, depuis longtemps le moteur de l’OPEP, a effectivement déclaré que sa longue histoire de soumission à Washington, au travers de laquelle elle troquait sa production de pétrole contre des garanties de sécurité, était en voie de disparition. L’un des alliés fondamentaux de Washington au Moyen-Orient, Israël étant l’autre, vient de franchir une étape majeure vers le rapprochement des nations non occidentales en un bloc cohérent agissant selon ses propres intérêts.
Le nouvel ordre mondial se profile
C’est bien plus qu’un sacré problème. C’est ce qui va nous rapprocher considérablement du nouvel ordre mondial dont la Russie et la Chine, les deux nations non occidentales les plus influentes, discourent depuis plusieurs années et notamment depuis l’arrivée au pouvoir de l’administration Biden en janvier 2021. En l’espace de quelques mois, Pékin et Moscou sont parvenus à la conclusion qu’il était impossible de donner un sens à une nation qui, alors même que sa puissance décline, n’a aucunement l’intention de collaborer avec eux sur un pied d’égalité, dans un souci de mutuel intérêt. Depuis lors, de nombreux autres pays n’ont pas hésité à détecter dans quelle direction soufflait le vent.
La crise ukrainienne a fait l’effet d’une décharge électrique dans ce contexte géopolitique. Les nations qui représentent plus de 80% de la population mondiale et autant ou à peu près du produit intérieur brut mondial sont tout à fait capables de se rendre compte des provocations lourdes de sous-entendus du gouvernement Biden et ne les apprécient pas.
Des partenariats qui se situent juste en deçà des alliances – un terme de diplomatie impliquant des obligations explicites en matière de défense mutuelle – se sont multipliés si rapidement depuis que Joe Biden a pris ses fonctions qu’il est difficile d’en garder la trace. La relation « sans limites » de la Russie avec la Chine en est le premier exemple. La Russie a récemment consolidé ses liens de coopération avec l’Iran, tout comme la Chine d’ailleurs. L’Iran et le Venezuela, la Chine et Cuba, la Chine et le Nicaragua – la liste s’allonge. Pendant que nous avons cette conversation, Moscou et Pékin ont développé des partenariats de divers types en Afrique, au Moyen-Orient et en Asie.
Mais ces pays, il est facile de s’en rendre compte, se trouvent dans l’ensemble au-delà des poteaux-frontières de Washington : Autrement dit, les clans politiques les considèrent comme des ennemis. Chacun des pays que nous venons de citer est actuellement soumis à des sanctions américaines. Entre parenthèses, je me demande ce qui se produira lorsque la plupart des pays du monde autres que ceux de l’Anglosphère et de l’Europe occidentale se verront ainsi condamnés, mais cela est une autre histoire.
Il faut discerner les faits
Lorsque Vladimir Poutine et Narendra Modi se sont rencontrés à New Delhi en décembre dernier, le président russe et le Premier ministre indien ont supervisé la signature de 28 – pas moins – accords de coopération dans tous les domaines: investissements, transfert de technologies, énergie, défense. Il convient de mentionner l’intention de l’Inde d’acheter une copie du système de défense antimissile russe S-400, ce qui, chaque qu’un pays fait ce genre d’achat, représente un caillou de plus dans le soulier de Washington.
Depuis lors, la Turquie a émis de nombreux signaux qui montrent que, indépendamment de son appartenance à l’OTAN, elle est de plus en plus encline à s’allier à des nations non occidentales. Elle a participé en tant qu’observateur au récent sommet de l’Union économique eurasienne à Samarkand. Il est question pour elle d’adhérer au mini-bloc des BRICS, qui comprend désormais le Brésil, la Russie, l’Inde, la Chine et l’Afrique du Sud. L’Égypte, sous la férule de son président retors, Abdel Fattah el-Sissi, et l’Argentine d’Alberto Fernández le bien-pensant, ont également manifesté l’intention de demander leur adhésion.
L’Inde, la Turquie, l’Argentine, l’Afrique du Sud, l’Égypte : ce ne sont pas des pays que Washington se plaît à qualifier de parias, de voyous, de parias ou d’autocraties dirigées par des « voyous » – épithète favorite de Biden – même si certains d’entre eux le méritent. Cela change la physionomie du processus que je décris. Nous parlons maintenant de pays que les États-Unis considèrent comme leurs amis sous une forme ou une autre.
À cet égard, il faut souligner un aspect essentiel. Les clans politiques et les laquais des médias qui sont à leur service adorent présenter le bloc non-occidental en pleine expansion comme anti-américain, mû par la haine, l’envie ou tout ce que ces gens peuvent imaginer de mauvais. Les comptes rendus de la réunion de l’OPEP+ indiquent que les Saoudiens se sont « rangés aux côtés de la Russie » contre les États-Unis. « Furieux de la décision du royaume de s’allier à la Russie », a rapporté le New York Times la semaine dernière, « le président Biden a indiqué qu’il était ouvert à la prise de mesures de rétorsion ».
Chers lecteurs, comment faut-il qualifier cela ? C’est soit de l’aveuglement, soit du narcissisme, soit les deux, et je penche en faveur de ce dernier. Alors que les non-Occidentaux se rassemblent pour défendre la cause de l’action constructive, du bénéfice mutuel et de (ne pas l’oublier) la non-ingérence, la seule chose à laquelle ils sont opposés est le désordre mondial, et les seuls pays auxquels ils s’opposent sont ceux qui justement sont responsables de ce désordre.
L’Arabie saoudite a agi de son propre chef
Et maintenant, parlons de l’Arabie saoudite. Il s’agit là encore d’un pays que vous ne voudriez pas ramener à la maison pour le présenter à votre mère, mais Washington a eu, en dehors de l’Occident, peu d’amis plus proches que Riyad depuis le début des années 1930, lorsque l’administration Roosevelt et la dynastie des Saoud ont conclu l’accord «pétrole contre sécurité» (et que la Standard Oil de Californie a obtenu une concession de forage). C’est donc à cette vieille fête entre amis que les Saoudiens – qui envisagent également, ne nous y trompons pas, d’adhérer aux BRICS – semblent avoir décidé de ne plus prendre part depuis la semaine dernière.
La presse occidentale a fait grand cas de la présence à Vienne d’Alexander Novak, vice-premier ministre à Moscou, qui aurait fait des pieds et des mains avant la décision de l’OPEP+ de réduire les quotas de production. Mais l’idée que ces Rrrrrrusses ont fait passer la réduction de la production par la force n’est rien d’autre qu’une réaction épidermique face à une réalité que Washington a du mal à supporter. Les Saoudiens ont agi de leur plein gré, purement et simplement. Mohammed bin Salmane (MbS), le prince héritier et le dirigeant de facto du royaume, est une personne aux multiples facettes, et l’un d’entre eux est un homme libre d’esprit (pour le meilleur et pour le pire). Le prince Abdulaziz ben Salman, le ministre saoudien du Pétrole, est le demi-frère de MbS.
Il y a de nombreuses raisons pour lesquelles Riyad, en tant que coprésident de l’OPEP+, a pris la décision qu’il a prise. Son intention déclarée est de maintenir les prix alors que le monde se dirige vers une chute brutale de la demande en pétrole en raison du ralentissement de la croissance et de la hausse de l’inflation – le syndrome de stagflation – que le régime de sanctions des États-Unis contre la Russie impose au monde entier.
Il y a aussi le plafonnement des prix que Washington propose d’imposer aux exportations de pétrole russe – l’une des idées les plus stupides, parmi tant d’autres, qui aient été émises par les élites politiques américaines depuis des décennies. Depuis quand l’acheteur dicte-t-il au vendeur le prix des marchandises ? Dites voir un peu ? Cette idée n’a pratiquement aucune chance de fonctionner, mais MbS se pose très certainement la question suivante : Si en 2022 les Américains plafonnent le prix du pétrole russe, dans combien de temps vont-ils s’en prendre à nous ?
Le problème avec Biden
Il y a aussi le problème que pose Joe Biden – celui qui a dit : « Personne n’emmerde un Biden » (un président bien élevé, non ?). Je n’arrive pas à décider s’il est un Schlemihl ou un Schlimazel – comme l’explique un ami parlant yiddish, le type qui renverse une bouteille de vin à table ou l’homme sur les genoux duquel le vin se répand. Soit : un crétin ou un pauvre type. Après avoir suivi le parcours de Joe pendant ses années au Sénat et ses pas, ces deux ans à la Maison Blanche, je capitule: Il peut tout à fait être les deux.
Pendant sa campagne de 2020, Biden a qualifié l’Arabie saoudite de paria pour calmer sa galerie de chochottes progressistes qui s’excitaient sur la guerre au Yémen, mais sans avoir l’intention de réduire le soutien des États-Unis à ce pays. Lorsque les choses se sont envenimées à la suite des sanctions contre la Russie, notre président s’est rendu à Djeddah, a tendu le poing à MbS à son arrivée au sommet manifestement éprouvant, et a apparemment pensé que tout se passerait bien du côté de la production de pétrole. Avant la session de l’OPEP+, des représentants du gouvernement se sont rendus à Riyad et ont pratiquement supplié MbS de ne pas annoncer de réduction de la production, ou d’attendre au moins jusqu’après les élections de mi-mandat.
Comme on fait son lit, on se couche – et c’est dans ce lit que notre Joe et les crétins patentés qui dirigent la politique étrangère américaine se sont couchés – et nous avec. Une fois de plus, le natif de Scranton prouve ce qu’il a toujours été, un politicien provincial qui pense pouvoir vendre sa poudre de perlimpinpin dans le monde entier, tout comme il l’a si longtemps fait dans le Delaware, sans avoir jamais eu la moindre idée de ce qu’était l’art de gouverner.
Le monde bouge
Je ne doute pas que le mépris de MbS pour un clown aux capacités mentales en diminution lui a permis de réagir plus facilement à l’encontre de ce que voulaient les États-Unis et plus particulièrement la Maison-Blanche de Biden. À mon avis, il a en fait rejoint les Russes et les Chinois en constatant qu’il était tout simplement impossible de travailler avec ce genre de régime irresponsable. Mais les Saoudiens ne semblent pas plus enclins à élaborer une stratégie politique par dépit ou par mépris que ne le serait n’importe quel autre pays du bloc non-occidental. Riyad a agi dans son propre intérêt, comme il l’entendait.
Interrogé après l’une des sessions lors d’une conférence de presse ce qui avait motivé – était-ce un acte d’agression ? – la décision de l’OPEP+, le prince Abdul Aziz, ministre saoudien du Pétrole, a répondu : « Mais où donc voyez-vous un acte agressif ? »
Tout juste. Je te parie une bière (comme a dit l’un de mes rédacteurs) que c’était un journaliste américain qui a posé la question : Il faut vraiment être américain pour interpréter les événements avec un tel degré d’égocentrisme, comme si le monde tournait autour de Washington de la même manière que Ptolémée pensait que le soleil et toutes les planètes tournaient autour de la terre. « Les Saoudiens se sont ralliés à la Russie » n’est rien d’autre qu’une variation sur le thème de Ptolémée, une répétition du binaire « vous êtes avec nous ou contre nous » de Bush II – que beaucoup d’entre nous ont ridiculisé à l’époque mais que nous considérons aujourd’hui comme une façon parfaitement rationnelle de se répartir le monde.
Soyons clairs, l’idéologie n’a rien à voir avec la décision de l’OPEP+ et n’a rien à voir non plus avec le rassemblement des pays non occidentaux en une espèce de réseau indéterminé de partenariats. L’intérêt personnel avisé – cette vieille expression replacée dans un nouveau contexte – est le moteur de cette évolution des affaires mondiales.
J’affirme depuis des années, au risque de me répéter, que la parité entre l’Occident et le non-Occident est un impératif du XXIe siècle – un impératif inévitable, que cela soit voulu ou non par qui que ce soit. Ce qui s’est passé à Vienne au début du mois nous offre une illustration de la manière dont cette évolution va se dérouler.
La Russie et la Turquie envisagent un accord de distribution de gaz et d’engrais russes
À la fin de la semaine dernière, Vladimir Poutine et Recep Tayyip Erdogan se sont rencontrés à Astana, la capitale du Kazakhstan. En deux mois, c’était la seconde rencontre des présidents russe et turc. Dans la foulée, Poutine a proposé de faire de la Turquie une plaque tournante énergétique pour la distribution du gaz russe, maintenant que les gazoducs Nord Stream I et II reliant la Russie à l’Europe sont hors service. Erdogan a également fait valoir que la Turquie peut servir de point de transit pour acheminer les engrais russes vers ceux des pays moins développés qui en ont le plus besoin. À propos de ces questions, voici les conclusions qu’Erdogan, toujours soucieux de paraître influent sur la scène internationale, a tirées lors de son entretien avec Poutine:
« Nous pouvons travailler ensemble parce que nous nous préoccupons davantage des pays pauvres que des pays riches. C’est comme cela que nous devons voir les choses, et si nous le faisons, nous pourrons opérer de grands changements – faire pencher la balance en faveur des pays pauvres. La Turquie et la Russie sont solidaires. Je sais que certaines mesures que nous prenons vont inquiéter certains groupes et certains pays, mais nous sommes pleinement déterminés. Nos organismes compétents, nos collègues [dans nos ministères], établiront des contacts et renforceront leurs relations ».
Vous voyez à présent ce que je veux dire à propos de la direction dans laquelle le vent souffle ? Ce que je veux dire à propos de la convergence des pays non-occidentaux ?
Il serait intéressant de voir comment tout cela va évoluer maintenant que les Saoudiens se sont joints à la fête et ont mis une certaine distance entre eux et les Américains. On ne peut guère s’attendre à une rupture brutale des relations. Ces gens semblent simplement se libérer d’une étreinte qui les étouffe, comme un ambassadeur britannique a un jour décrit l’évolution des relations du Japon avec les États-Unis.
La sortie du dollar toujours plus proche
Une dernière remarque au sujet des BRICS et de l’intérêt apparent des Saoudiens à y adhérer. Il est de notoriété publique que, dans sa composition actuelle, le groupe travaille à l’élaboration d’un système de devises destiné à servir d’alternative au dollar dans le commerce international. Cela aussi a l’air d’être un très gros problème en gestation.
Depuis qu’en 1945, les Saoudiens ont accepté que le prix du pétrole soit fixé en dollars, le marché pétrolier a été absolument essentiel à la suprématie de la devise américaine en tant que monnaie de réserve – ce qui a, à son tour, été la clé de la promotion de l’hégémonie américaine par Washington.
Et maintenant ? Des amis spécialistes des marchés avaient l’habitude de me dire que la sortie du dollar, bien qu’inévitable à long terme, ne se produirait pas de mon vivant. Je n’en entends plus beaucoup parler. Ce qui, il y a seulement quelques années, semblait être une perspective lointaine, paraît à présent plus proche d’année en année. Peu importe le nombre de coups de poing donnés sur la table par Washington : En règle générale, ils n’empêchent pas la roue de l’histoire de tourner, comme l’a appris Biden à ses dépens.
source : Horizons et Débats
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Source : Lire l'article complet par Réseau International
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