Les politiciens nous mentent et nous trompent, se plaint-on. Les gens de gauche traitent Éric Duhaime de sophiste, alors que les gens de droite jugent pareillement Gabriel Nadeau-Dubois. Ces accusations manquent souvent d’objectivité, vous le comprendrez…
Nos politiciens usent certainement, dans tous les cas, de rhétorique. Est-ce toujours mauvais? Pas du tout. D’ailleurs, tout le monde aime les bons orateurs, alors qu’un politicien ennuyant reçoit généralement un mauvais accueil.
Il faut dénoncer la rhétorique seulement quand elle devient de la sophistique, quand les discours se veulent trompeurs. Mais pour identifier cette mauvaise rhétorique, il faut avant tout prendre un pas de recul et brosser un portrait général de la rhétorique elle-même.
L’art de convaincre
Pour le dire brièvement, la rhétorique, c’est l’art de convaincre. Convaincre qu’un tel a commis le crime dont on l’accuse, comme le font les avocats; convaincre qu’un tel mérite les honneurs, comme le font par exemple les analystes sportifs; convaincre qu’il faut entreprendre tel projet, comme le font nos politiciens. Dans tous ces cas, s’atteler à convaincre un auditoire, c’est tout à fait légitime, surtout si on le fait au nom du juste, du beau et de l’utile.
Comment le rhéteur convaincra-t-il son auditoire? Aristote identifie trois outils, qu’il qualifie de «preuves»: l’orateur convainc ses auditeurs par son caractère, par les émotions que son discours provoque et par les arguments qu’il utilise.
Nos politiciens n’y échappent pas; ils utilisent tous ces outils, certes avec plus ou moins d’habileté et dans une plus ou moins grande proportion.
Le caractère de l’orateur
Selon Aristote, c’est le caractère de l’orateur qui convainc le plus les gens du commun. De fait, les élections dépendent de l’image que projette chacun des chefs davantage encore – certains auront raison de s’en plaindre – que de leurs idées.
On reconnait digne de confiance un politicien à trois conditions: il doit apparaitre bienveillant, vertueux moralement et prudent. Pour gagner les élections, les politiciens aiment remettre en doute l’une ou l’autre de ces qualités chez leurs adversaires.
Les autres partis vont, par exemple, critiquer la bienveillance de François Legault envers les immigrants. De la même manière, certains accusent le co-porte-parole de Québec solidaire d’envier les riches, voire de les détester.
Les politiciens s’accusent également les uns les autres de manquer de vertu morale. On reproche au chef du Parti conservateur de ne pas avoir payé ses taxes. Comment pourrait-on confier les rênes de l’État à un homme qui manque à un tel devoir? Dans le même esprit, les adversaires de Legault l’accusent d’arrogance. Pour le bien de la nation, il faut un chef de gouvernement plus humble, capable de collaborer avec les autres, ajoutent-ils.
Enfin, les politiciens aiment faire paraitre leurs adversaires comme des imprudents, manquant de discernement. Par exemple, le premier ministre fait cela lorsqu’il affirme que Gabriel Nadeau-Dubois vit au pays des merveilles et croit que l’argent pousse dans les arbres.
Mettre en lumière les défauts de ses adversaires constitue un outil rhétorique légitime, pour autant, bien sûr, qu’on l’utilise pour informer les électeurs, et non pour les tromper, condition que nos politiciens enfreignent sans doute consciemment à l’occasion, lorsqu’ils avancent des accusations partielles ou sans fondement.
Les passions
Convaincre les gens d’agir suppose non seulement de s’adresser à leur raison, mais aussi à leurs émotions. Car les émotions – le nom le dit – mettent en mouvement, font agir.
Nos politiciens le savent très bien et le mettent en pratique. Éric Duhaime en offre un exemple patent. Il a gagné la plupart de ses électeurs en réveillant chez eux colère et indignation. Il l’a même dit explicitement: il veut faire entrer la grogne au parlement.
Paul St-Pierre Plamondon appelle de son côté surtout à l’espoir. En évoquant son rêve de faire du Québec un pays, il scande: «Ce sont les élections de l’espoir!»
Gabriel Nadeau-Dubois, martelant l’importance de la crise climatique, en appelle quant à lui à la peur, voire à une forme d’anxiété. «Ce sont les élections de la dernière chance», répète-t-il.
Susciter les émotions des électeurs, encore une fois, ne comporte rien de mauvais en soi. C’est même nécessaire. Il importe toutefois de le faire de façon raisonnable et légitime, en prenant en considération les dérives possibles. La colère conduit par exemple à la violence si la raison ne la modère pas. Au contraire, l’anxiété paralyse si elle prend trop de place.
Les arguments
De l’avis d’Aristote, démontrer la bonté du caractère de l’orateur et susciter les émotions, aussi légitimes que puissent être ces pratiques, doivent demeurer accessoires en rhétorique. L’essentiel doit consister à argumenter, et à bien le faire. Il existe en rhétorique essentiellement deux types d’arguments: le paradigme et l’enthymème.
Le paradigme, selon l’étymologie même, «montre à côté». Il s’agit d’une comparaison, comprenant deux similitudes. Veut-on prouver, par exemple, que le privé devrait cohabiter avec le public en santé? Éric Duhaime argumente en présentant le cas de la Suède: là-bas, privé et public cohabitent et ça fonctionne. De même, si le Québec adopte cette pratique, le système de santé se portera mieux. Les deux cas comparés sont la Suède et le Québec. Les deux similitudes, déjà présentes pour la Suède et éventuellement futures pour le Québec, sont : 1) le fait de posséder un système de santé à la fois privé et public et 2) le fait qu’un tel système fonctionne bien.
Pour attaquer un paradigme, on montre que les deux cas comparés diffèrent trop pour que la première similitude entraine la seconde. Par exemple, après que François Legault a argumenté en faveur de son troisième lien en donnant l’exemple de Montréal, qui possède plusieurs ponts, certains journalistes lui ont fait remarquer: 1) que Montréal est une ile et 2) qu’elle compte le double d’habitants de Québec.
Les enthy quoi ?
Encore plus importants et convaincants que les paradigmes sont les enthymèmes. Le mot parait savant, mais il désigne une réalité bien simple et quotidienne. Conclure que je suis enceinte parce que j’ai des nausées, c’est faire un enthymème. Il en va de même lorsqu’on croit que tel garçon s’intéresse à telle fille parce qu’il lui écrit souvent sur Instagram. Ou encore, avancer qu’il faut accueillir plus d’immigrants parce que cela fera augmenter le poids démographique du Québec dans le Canada.
Il s’agit, dit simplement, de déductions vraisemblables. Et ces déductions portent le nom d’enthymème parce qu’on retient une proposition dans l’esprit, le thumos. En affirmant qu’on est enceinte du fait qu’on a des nausées, on n’énonce pas que «toute femme qui a des nausées est enceinte», proposition pourtant nécessaire pour conclure. Le plus souvent, on ne mentionne pas explicitement cette idée parce qu’on en connait la faiblesse. Cette proposition comporte seulement de la vraisemblance, car toute femme qui a des nausées n’est pas nécessairement enceinte.
La politique souffre de la même carence. Qu’accueillir moins d’immigrants fasse diminuer le poids démographique du Québec dans le Canada, c’est très vraisemblable, mais pas nécessaire. Qui sait, peut-être le Québec vivra-t-il un autre babyboom? Ou peut-être le Canada révisera-t-il lui aussi sa politique d’immigration à la baisse? En politique, les surprises n’arrêtent jamais.
C’est ce qui rend pour certains ce domaine si passionnant. On peut toujours débattre, à la différence des mathématiques, par exemple.
Sophisme de l’homonymie
Évidemment, les arguments de nos politiciens contiennent parfois des petits tours de passepasse. On tombe alors dans la sophistique, surtout quand l’intention consiste à tromper.
On argumente de façon fallacieuse, notamment en jouant sur les mots. Par exemple :
- James, crois-tu que le bonheur constitue la fin de la vie humaine?
- Oui.
- Bon! Un autre chrétien qui croit que le bonheur, c’est de mourir! Tout le monde sait en effet que la fin de la vie humaine, c’est la mort!
Ici, vous l’aurez deviné, l’argument trompe en utilisant deux sens du mot «fin»: le but ou le terme d’une chose. Il s’agit d’un sophisme de l’homonymie.
Nos politiciens jouent parfois eux aussi volontairement avec les mots. Quand par exemple, on reproche à Éric Duhaime de vouloir ramener les gens en 1950, on joue sur deux sens du mot «conservateur». Car le chef du PCQ se veut conservateur du point de vue économique, non pas moral.
Sophisme de l’absolu et du relatif
Les politiciens aiment également absolutiser les idées de leurs adversaires, pour les faire paraitre ridicules, voire manifestement fausses. Legault va par exemple répéter ad nauseam que la taxe orange va pénaliser la classe moyenne, sans évidemment préciser de combien elle le fera et quelle est l’étendue de cette «classe moyenne».
Absolutiser une proposition, c’est un processus qu’on voit également dans la publicité ou sur Internet. Une influenceuse intitulera par exemple sa vidéo Youtube «Nous nous sommes quittés», sachant très bien qu’elle suscitera ainsi la curiosité. On clique sur la vidéo, pensant qu’elle et son chum ont rompu et on découvre… qu’ils se sont quittés pour trois mois, parce qu’elle part en voyage dans le Sud.
Aristote appelle ce type de procédé un sophisme de l’absolu et du relatif.
Les mots
Je pourrais énumérer et exemplifier encore bien d’autres sophismes – Aristote en identifie 11 types. Je préfère cependant souligner un autre point en terminant: le choix même du vocabulaire qu’utilisent nos politiciens.
Confucius, rapporte-t-on, aurait dit que la première prérogative d’un chef d’État devrait être la rectitude des noms. Un bon gouvernement devrait redonner aux mots leur juste sens, pour qu’ils représentent correctement la réalité. Qu’est-ce à dire?
En fait, il faut voir que les mots influencent notre façon de voir la réalité. Le cas le plus évident, aujourd’hui, c’est l’aide médicale à mourir. Cette pratique, ainsi nommée, parait certes plus sympathique que lorsqu’elle reçoit le nom de «suicide assisté» ou pire, comme je l’ai déjà entendu suggérer, «meurtre consenti».
C’est évident: nos politiciens connaissent la portée des mots. Ce n’est pas pour rien qu’un fédéraliste utilise l’expression «séparatiste» plutôt qu’«indépendantiste». Le premier a un caractère péjoratif, à l’inverse du second.
De la même façon, Legault a frappé fort dans cette élection en dénichant et en martelant l’expression «taxe orange» pour ridiculiser Québec solidaire.
Nommer la réalité, ce n’est pas faire un sophisme, ni même argumenter. Mais c’est influencer, de façon légitime ou non, la pensée des auditeurs.
En somme, s’informer en politique, ça ne consiste pas seulement à écouter le contenu des idées, mais à réfléchir sur la manière dont les politiciens les présentent quand ils veulent nous convaincre…
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Source : Lire l'article complet par Le Verbe
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