par Nicolas Bonnal.
« C’est tout à fait ça ! Mourons tous pour ça ! Il ne demande jamais qu’à mourir le peuple ! » (Céline, le Voyage)
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Patrick McGoohan est connu pour le Prisonnier (on en reparlera) et l’énigmatique série british Destination danger. Il y a un épisode, la colonie trois, où l’espion est envoyé dans un village d’espions où l’on apprend à être Anglais (ça existait encore). L’un des sinistres chefs de ce village lui explique alors qu’il n’y a pas de nation, que tout est lié à la géographie, au timbre-poste, à des leçons apprises. Bref, la nation est une notion, la nation est le fruit d’un simple conditionnement. On se demande d’ailleurs ce que viendrait faire à Londres aujourd’hui un espion déguisé en citoyen de l’empire britannique. Moins de la moitié de cette population londonienne est aujourd’hui britannique. La déprogrammation du nationalisme (à qui on doit tant de tueries) à l’école a été remplacée par une programmation du mondialisme, du transhumanisme et de l’écologie génocidaire.
Le début du XXe siècle avait été marqué par une énorme et dévastatrice vague scolaire-universitaire de nationalisme : cette vague donna le tsunami des deux guerres mondiales qui succédait à la guerre de 1870 et à la volonté française de récupérer l’Alsace-Lorraine. Comme je l’avais dit dans mon livre sur le coq hérétique et l’exception française, la nation n’était pas une volonté de vivre, mais de mourir ensemble. Le nationalisme devenant comme l’antisémitisme ou le colonialisme un genre littéraire qui servait à programmer les esprits en vue d’une guerre perpétuelle appuyée aussi sur le darwinisme de l’époque (seuls les forts survivent).
Aujourd’hui nous en sommes à une autre donne : la nation est diabolisée et déprogrammée par le mondialisme marchand, qui s’appuie sur la fantastique vague migratoire et la volonté d’aboutir à l’unité du genre humain, comme disait déjà Chateaubriand avant Fukuyama (Conclusion des Mémoires, voyez mon texte).
Au XIXe siècle, par contre, on a appris au paysan l’histoire de « son pays » (alors qu’il n’était jamais sorti de son village et ne savait que son patois) et c’est grâce à cette programmation mentale « par les philosophes » et surtout les instituteurs de la IIIe république qu’on a pu l’envoyer se faire tuer sur les champs de bataille. Aujourd’hui on nous traite physiquement moins mal (ça ne va pas durer comme on sait), mais on nous programme toujours autant : nous devenons des primates non déterminés sexuellement, des citoyens du monde, des immigrés qui s’ignorent ou qui se sont oubliés, et de futurs transhumains (même des cannibales, puisqu’on prépare le téléphage à ça) de toute manière. C’est dans cette perspectives de programmation et de reprogrammation mentale qu’il faut interpréter les décisions sur le mariage ou autre. L’instinct maternel n’existait pas au XVIIIe siècle, expliquait Elisabeth Badinter. Rappelons qu’on envoyait les nourrissons se faire allaiter à la campagne et que le tiers de ces bébés mouraient en route. Aujourd’hui on leur écrase la tête à neuf mois…
Les charniers du siècle dernier ont ainsi été la conséquence de l’histoire et de la philosophie.
Je ne caricature rien et il se trouve que de bons esprits parfois très différents avaient déjà fait les mêmes remarques. Je pense bien sûr à Paul Valéry et à ses Regards sur le monde actuel qui valent bien plus que ses civilisations qui sont mortelles. Valéry écrivait dans sa prose impeccable :
« L’Histoire est le produit le plus dangereux que la chimie de l’intellect ait élaboré. Ses propriétés sont bien connues. Il fait rêver, il enivre les peuples, leur engendre de faux souvenirs, exagère leurs réflexes, entretient leurs vieilles plaies, les tourmente dans leur repos, les conduit au délire des grandeurs ou à celui de la persécution, et rend les nations amères, superbes, insupportables et vaines. »
Il est de notoriété publique que les tyrans sont des amateurs d’histoire et de fins connaisseurs en cette matière explosive, surtout les nouveaux tyrans démocratiques de l’époque romantique et nationaliste. Car on trouve dans l’histoire de quoi faire un opium du cerveau et il est toujours facile de l’interpréter à sa manière. Par exemple depuis les débuts de la mondialisation, on a mis à la mode l’école des Annales et Braudel, pourtant si trivial avec ses cinquante tonnes de sel qui se baladent en Méditerranée : mais il s’agit, avant tout, d’orienter nos petits esprits scolaires vers les courants d’échange, le commerce, etc., comme le fait Voltaire dans le sous-estimé Mondain. Paul Valéry continue durement :
« L’Histoire justifie ce que l’on veut. Elle n’enseigne rigoureusement rien, car elle contient tout, et donne des exemples de tout. »
Valéry encore :
« Que de livres furent écrits qui se nommaient : La Leçon de Ceci, Les Enseignements de Cela !… Rien de plus ridicule à lire après les événements qui ont suivi les événements que ces livres interprétaient dans le sens de l’avenir. »
Céline aussi, un esprit légèrement différent, comprend à la même époque que l’on se retrouve à se faire massacrer sur les routes du Nord de la France à cause de l’histoire et de la philosophie. Il fait parler un interlocuteur étonnant :
« Et vive aussi Carnot qui organise si bien les victoires ! Et vive tout le monde ! Voilà au moins des gars qui ne le laissent pas crever dans l’ignorance et le fétichisme le bon peuple ! Ils lui montrent eux les routes de la Liberté ! Ils l’émancipent ! Ça n’a pas traîné ! Que tout le monde d’abord sache lire les journaux ! »
C’est un prof d’histoire nommé Princhard qui s’adresse ainsi à Bardamu-Céline, qui lui laisse un long monologue pour s’exprimer. Princhard parle de la nouveauté de la bataille de Valmy :
« Tellement nouveau que Goethe, tout Goethe qu’il était, arrivant à Valmy en reçut plein la vue. Devant ces cohortes loqueteuses et passionnées qui venaient se faire étripailler spontanément par le roi de Prusse pour la défense de l’inédite fiction patriotique… »
Les électeurs populistes ou les nationalistes de tous les pays découvrent incidemment aujourd’hui qu’ils sont les seuls à croire encore à la fiction patriotique qui progressa avec l’homme typographique de Macluhan ; ce dernier s’appuie sur les travaux de l’américain Carlton Hayes pour expliquer comment on créa le nationalisme belliqueux en occident (guerres mondiales et colonialisme).
Céline conclut superbement :
« La religion drapeautique remplaça promptement la céleste. »
Nous sommes dans les temps post-drapeautiques, si j’ose dire. Mais malgré l’horreur des guerres, nous savons que la grande Europe est liée à la religion drapeautique. L’Europe de Byron, Beethoven ou bien Pouchkine c’était tout de même autre chose. Depuis, plus rien ou pas grand-chose. On a les Simpson à la place de Victor Hugo. Une science pas très ambitieuse nous a reprogrammés pour autre chose, des laboratoires et les MIT de tous les pays, pour aimer/manger notre lointain à défaut de notre prochain, pour des temps sans famille, sans patrie et même sans travail. Des temps sans idéal et sans beauté (dans la laideur l’homme dégénère, écrit Nietzsche). On veut bien nous laisser un Dieu à aimer de très loin comme ça. Le peuple nouveau sera une prolongation de son iPod avant de n’être plus rien du tout : une extension de prothèse qui deviendra néant. Nietzsche attendait le surhomme, nous aurons le non-homme. L’individu spirituellement inanimé mais connecté. Mais ce n’est pas bien grave, puisque presque personne ne semble s’en rendre compte.
Nicolas Bonnal
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Source : Lire l'article complet par Réseau International
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