On le sait tous, la visite du pape François au Canada vise une réconciliation véritable entre l’Église catholique et les peuples autochtones. Cette visite sera bien évidemment chargée en émotion et en symbolisme. Un symbole plus discret, ou du moins qui saute moins aux yeux d’emblée, est le rôle que tient la bonne sainte Anne dans le processus.
Le symbole le plus évident de cette volonté d’apaisement entre les communautés est le fait même que le dirigeant de l’Église universelle se déplace en personne pour rencontrer les victimes des divers abus du système des pensionnats.
Un symbole plus discret, ou du moins qui saute moins aux yeux d’emblée, est le rôle que tient la bonne sainte Anne dans le processus. Le simple choix des dates du voyage n’est pas innocent: celui-ci coïncide avec la fin de la neuvaine annuelle dédiée à sainte Anne qui culmine aujourd’hui, le 26 juillet, avec sa fête liturgique. Le souverain pontife célèbrera d’ailleurs ce matin une messe en l’honneur de la sainte dans la ville d’Edmonton, avant de se rendre en pèlerinage au lac Sainte-Anne plus tard en journée.
Ce pèlerinage, fondé en 1887 par les missionnaires oblats, est très prisé par les communautés autochtones de l’Ouest et du Nord-ouest canadiens. On parle encore de nos jours d’une fréquentation de plusieurs dizaines de milliers de pèlerins chaque année. En effet, on estime à 40 000 le nombre de pèlerins venus sur les rives du lac en 2019, lors de la dernière édition ayant eu lieu avant la pandémie.
Avant l’arrivée du christianisme, le site servait déjà de lieu de rassemblement estival aux Premières Nations. L’endroit a ainsi toujours été considéré par eux comme un lieu de régénération spirituelle, culturelle et sociale pour leurs communautés. Le choix du pape de se rendre sur les rives de ce lac albertain est donc très lourd de sens dans la démarche de réconciliation voulu par l’Église catholique.
Dans quelques jours, le pape François sera dans l’est du pays, au Québec, où il visitera le sanctuaire de Sainte-Anne-de-Beaupré, autre important lieu de pèlerinage attirant des dizaines de milliers de visiteurs autochtones et allochtones chaque année. Mais pourquoi ce choix de mettre, sous un certain rapport, le voyage papal au Canada sous le patronage de la bonne sainte Anne ?
Le rôle d’Anne dans l’histoire chrétienne
Pour répondre à cette question, rappelons-nous d’abord le rôle joué par Anne dans l’histoire du salut. D’emblée, il faut mentionner que les évangiles canoniques – les textes qui font autorité pour l’Église catholique – ne mentionnent jamais Anne et son époux Joachim. Il nous faut plutôt consulter les textes dits apocryphes – qui ne font pas autorité – pour connaitre le rôle d’Anne dans l’histoire chrétienne.
Les deux principales sources textuelles à propos d’Anne sont le Protévangile de Jacques, traditionnellement attribué à l’apôtre Jacques le Mineur, et un manuscrit latin ayant pour titre De Nativitate Mariae.
Ce second texte débute avec le récit de la conception de la Vierge, épisode ayant bien évidemment pour acteurs les parents de cette dernière, Anne et Joachim. Cependant, comme le titre du manuscrit l’indique, le personnage principal en est la Vierge Marie, et non Anne. La majorité du texte porte donc sur l’enfance de la Sainte Vierge. Anne et Joachim apparaissent dès lors comme des personnages plus secondaires après la naissance de leur enfant.
Ainsi, si la dévotion envers Anne s’est développée au fil du temps, c’est avant tout en raison de son rôle en tant que mère de la Vierge. Ces deux récits ont contribué au développement du culte marial dans les Églises d’Orient et d’Occident, notamment en lien avec le dogme de l’Immaculée Conception.
Grand-mère bonne sainte Anne
Ce n’est cependant pas le rôle de mère de la Vierge qui est le plus important dans le développement de la dévotion envers Anne, si présente parmi les peuples autochtones. C’est plutôt en sa qualité de grand-mère du Christ qu’Anne est vénérée. La langue innue l’exprime parfaitement; Anne y est nommée Tshu kuminu tshithitua Anne, ce qui signifie grand-mère bonne sainte Anne.
La figure des grands-parents, et particulièrement celle de la grand-mère, est importante dans toutes les communautés autochtones du Canada.
D’une part, les personnes âgées et les ancêtres sont traditionnellement perçus par les communautés autochtones comme détenteurs de savoir et de sagesse. Dans ce contexte, Anne, en tant que matriarche de la famille du Christ, avait toutes les prédispositions nécessaires pour devenir une figure de dévotion particulière dans les communautés.
D’autre part – et c’est ici un élément distinctif, propre aux peuples autochtones – il faut considérer toute la question des pratiques d’adoption coutumière pour bien saisir la grande dévotion envers Anne parmi ces communautés. Comme le mentionne l’Observatoire des réalités familiales du Québec (ORFQ), pour les peuples autochtones, l’adoption d’un enfant par des proches, comme les grands-parents ou la fratrie, est fréquente.
Cette adoption, dite coutumière, peut être permanente, temporaire ou réversible, et varie d’un peuple autochtone à l’autre.
Cette prise en charge des enfants par les grands-parents, majoritairement par les grands-mères, selon des études sur le sujet, est ainsi une réalité courante pour les peuples autochtones. Il n’est donc pas étonnant qu’une figure comme Anne, qui est la définition même de la grand-mère bienveillante, trouve facilement écho dans un tel cadre culturel.
Sainte Anne, un pont entre les cultures
Cela nous ramène à la visite du pape François. Choisir de mettre ces rencontres avec les victimes d’abus sous le patronage de sainte Anne était la chose naturelle à faire dans la mesure où elle est, d’une certaine manière , un pont déjà bien solide entre les communautés autochtones et l’Église catholique.
Cette sainte, qui est parmi les plus populaires depuis les tout débuts du christianisme, est toujours aussi pertinente aujourd’hui, puisque le modèle qu’elle nous propose est on ne peut plus humain; il s’agit tout simplement de l’histoire d’amour d’une mère et d’une grand-mère pour ses enfants et petits-enfants. D’une matriarche qui, pendant les périodes de difficultés, tente d’apaiser les tensions en nous rappelant que nous faisons tous partie de la même famille, que nous sommes tous enfants de Dieu.
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Source : Lire l'article complet par Le Verbe
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