par Strategika 51.
Le 19 juillet 2022, la visite du Rab Halouf (général) Aviv Kochavi, chef d’état-major de l’armée israélienne au Maroc vise officiellement à renforcer une coopération militaire et sécuritaire très intense datant de plus d’un demi-siècle.
Dans les faits, elle consacre cette fois-ci une véritable OPA israélienne sur ce royaume d’Afrique du Nord avec pour objectif l’extension stratégique israélienne en Afrique du Nord et occidentale ainsi que le détroit stratégique de Gibraltar.
Vu les états de service du général Kochavi, un ex-parachutiste qui a dirigé le renseignement militaire et qui s’est distingué par des méthodes aussi brutales qu’expéditives à Gaza, au Liban et à Bethléem, le pouvoir marocain en crise de succession profonde commet une très grosse erreur d’appréciation en croyant qu’il va traiter d’égal à égal avec une hydre dont le principal moteur est la domination froide et calculée.
Des analystes estiment que cette domination sera d’autant plus complète que les populations marocaines ne pourront jamais se soulever que de manière fort localisée et disparate et que même dans ce cas de figure, il sera assez facile de transformer les poches rebelles en enclaves assiégées comme à Gaza mais sans milices armées.
La coopération militaire et sécuritaire entre Israël et le Maroc a toujours été ancienne, dense et suivie. Elle a commencé dès le début des années 60 avec le recrutement du Roi Hassan II comme agent du Mossad puis dans l’aide et l’assistance israélienne dans la lutte sans merci contre ses opposants aussi bien au sein des Forces Royales Marocaines (FAR) que dans l’opposition politique (assassinat du leader Mehdi Ben Barka le 29 octobre 1965 à Paris).
Israël a revendu une partie de ses armements et équipements militaires de fabrication française au Maroc après la Guerre de Six jours de 1967 en reconnaissance du rôle qu’avait joué le Roi Hassan II dans la divulgation des plans arabes de 1965 à 1967.
Le 10 juillet 1971, une première tentative de coup d’État militaire contre le régime de Hassan II à Rabat et Skhiret, est avortée avec l’aide d’Israël et de pays occidentaux. Ce premier putsch sanglant est mené par le général Mohamed Medbouh, Chef de la Garde du Palais après avoir été informé lors d’un séjour aux États-Unis de la qualité réelle du Roi et de l’ampleur de la corruption finançant le palais royal, notamment via des compagnies US et un trafic de déchets ferreux.
Ce putsch avorté eut pour conséquence la mise en place d’une garde privée étrangère autour du Roi et une plus grande implication des services spéciaux israéliens dans la gestion des affaires sécuritaires du Royaume. Ce qui irrita au plus haut point certains chefs militaires des Forces royales marocaines. Une année après le coup d’État de Skhiret, l’armée marocaine organise une autre tentative de coup d’État, fort élaborée, à l’aide d’avions de combat Northrop F-5B.
Ainsi le 16 août 1972, le général Mohamed Oufkir, ministre de la Défense du Royaume lance l’opération « Boraq ». Cette opération inédite menée par les pilotes de chasse de la 3e base aérienne de Kénitra avait pour objectif d’abattre le Boeing 727 royal sur lequel se trouvait le Roi Hassan II à son retour de France. Sur les six avions de combat Northrop F-5B, seuls trois étaient armés. Ils rencontrèrent l’avion royal au-dessus de Tétouan. Le Boeing essuya des tirs de canon Pontiac M39A2 de calibre 20 mm avant qu’un des appareils piloté par le commandant Louafi Kouera tenta d’écraser son chasseur léger contre le Boeing 727. Deux des trois réacteurs du Boeing furent touchés par des tirs mais les pilotes cessèrent le feu quand le pilote du Boeing leur annonça faussement « la mort du Tyran par la grâce de Dieu » et que l’équipage de l’avion royal était solidaire avec les mutins. Ce qui permit au Boieng 727 d’atterrir à l’aéroport de Rabat-Salé. Le subterfuge ne tarda pas à être découvert et les F-5 de retour de la base de Kénitra après réapprovisionnement, prirent pour cible le salon d’honneur de l’aéroport de Rabat dans l’espoir d’atteindre le Roi.
D’après diverses sources divergentes, c’est des éléments des services secrets français qui auraient exfiltré le Roi de l’aéroport à bord d’une voiture banalisée de type Peugeot 404. C’est alors que six chasseurs F-5 bombardent le palais royal (le Roi n’y était pas). C’est à partir de Skhiret que des forces spéciales étrangères (les mémoires d’un ancien du Mossad attribue beaucoup d’exploits non confirmés à des commandos israéliens) organisent une contre attaque avec aide des Britanniques et des Français.
Les mutins ayant pu fuir à Gibraltar à bord d’hélicoptères sont arrêtés par les autorités britanniques et remis au Maroc où ils furent passés par les armes. Le général Oufkir, ministre de la défense, est exécuté sommairement. Le lieutenant-colonel Amokrane, coordinateur de la tour de contrôle de la base de Kénitra, est exécuté en 1973. Plus de 200 aviateurs furent jugés lors d’un procès expéditif. Onze furent condamnés à mort et le reste connut les affres du terrible bagne de Tazmamart (une cinquantaine parviendront à y survivre). Le Roi Hassan II supprime le poste de ministre de la défense et certains grade d’officiers généraux.
L’échec de ce soulèvement militaire n’arrêta pas les troubles au sein des FAR. En 1975, de concert avec la CIA et le futur roi d’Espagne Juan Carlos I, Hassan II lance le 06 novembre 1975 la fameuse Marche Verte (Opération Ouhod, du nom d’une fameuse bataille du début de l’Islam en péninsule arabique) au Sahara Occidental, une colonie que l’Espagne évacuait dans un contexte marqué par la maladie de Franco. L’un des objectifs de cette marche populaire était de détourner l’attention de l’armée et de redorer le prestige d’une monarchie affectée par des accusations de trahison et de corruption.
De 1975 à 1991, un conflit militaire opposa le Maroc et la Mauritanie au Front Polisario, un mouvement indépendantiste sahraoui qui s’est battu contre la colonisation espagnole et qui se bat désormais pour l’indépendance du Sahara occidental. Le 27 février 1976, le Front Polisario proclame la République arabe sahraouie démocratique (RASD) à Bir Lahlou. Très vite, ce mouvement qui reçut le soutien et l’assistance de l’Algérie et de la Libye, mena une guerre de grande mobilité ayant contraint la Mauritanie à se retirer du conflit et à accepter un Accord de paix. Le Maroc engage de plus en plus d’effectifs dans le conflit.
En 1976, les forces marocaines composées de forces régulières et de forces paramilitaires (auxiliaires) sont estimées à 30 000 hommes. Ce chiffre double en 1978 et ne tarde pas à atteindre 150 000 hommes en 1987-1988. En face le front Polisario mobilise une force variant entre 5000 et 10 000 hommes pratiquant une forme de guérilla mobile. La France assure durant ce conflit la reconnaissance aérienne et dans bien des cas le soutien aérien tactique et l’appui feu (Paris a vendu au Maroc une cinquantaine de Dassault Mirage F-1 durant le mandat de Valéry Giscard d’Estaing). Dès 1982, des conseillers militaires israéliens assistent le général Ahmed Dlimi puis son successeur Abdelaziz Bennani dans la gestion des opérations militaires. L’assistance israélienne proposée dès 1977 avec la visite secrète de Rabin puis de Moshé Dayan, ministre israélien des Affaires étrangères au Maroc (16 septembre), s’est révélée nécessaire après la sévère défaite infligée par le Polisario aux forces armées marocaines dans le Djébel Oukarziz. L’échec de l’opération Iman commandée par le colonel Dlimi marque un point de rupture dans ce conflit et entraîne un changement radical de la stratégie militaire marocaine. Sur les conseils et l’assistance technique des Israéliens, les forces marocaines commence à se retrancher derrière un mur de sable (le Berm) long de 2720 km et comportant des champs de mines antipersonnel et antichar, des tranchées en zig-zag, des remblais, des radars de surveillance, un système électronique de détection fourni par Israël et les États-Unis. Plus de 100 000 hommes sont déployés en permanence le long de ce Berm. L’objectif de ce mur était de transformer la nature du conflit de mobile à statique et empêcher ainsi le Polisario d’avoir l’initiative du terrain. Le conflit armé prit fin avec la signature d’un cessez-le-feu le 06 septembre 1991 sous l’égide de la Mission des Nations unies pour l’Organisation d’un Référendum au Sahara occidental (MINURSO).
La mort de Hassan II et l’arrivée au trône de son fils Mohamed VI avait généré un début d’enthousiasme au sein du Maroc tant ce dernier rompait avec les pratiques de son père qui avait instauré une dictature sanglante. Mais Mohamed VI n’a jamais été intéressé par le pouvoir. Ce qui a permis la prise de contrôle effective de l’État profond marocain par des coteries sous-traitant pour des puissance tierces. Le Maroc est un allié majeur hors-OTAN et ses forces ont participé plus ou moins secrètement aux guerres d’Irak et d’Afghanistan, en Côte d’Ivoire, au Congo et en Syrie en tant que forces auxiliaires ou supplétives.
La coopération militaire et sécuritaire israélienne se renforcera d’une manière plus significative à partir des années 2010 et ne cessera de monter en gamme et en puissance. La livraison par Israël de logiciels espions comme Pegasus de NSO permettra au Royaume d’espionner les smartphones de personnalités et d’officiels en Algérie, en Espagne et en France. Grâce à un financement assuré par des pays du Golfe, le Maroc s’arme massivement et a bénéficié de la technologie militaire israélienne bien avant la normalisation « formelles » des relations avec Israël. En 2014, le Maroc avait reçu des drones israéliens Heron1 construits par Israel Aerospace Industries (IAI). Ces drones comme les Bayraktar TB-1 turcs ont été utilisés contre le Front Polisario au Sahara occidental. Le Maroc a également reçu des drones kamikazes Harop d’IAI. Ces drones suicide se sont illustrés lors de la guerre du Nagorni Karabagh lorsqu’il furent utilisés par l’Azerbaïdjan pour détruire des batteries de missiles Sol-Air de longue portée S-300. Un système d’arme que détient l’Algérie.
Selon le quotidien israélien Haaretz, le Maroc serait équipé du système Barack MX, un système d’arme développé conjointement par l’Inde (DRDO/Bharat Dynamics) et Israël (IAI/Rafael/Elta systems) et mis en service en 2016. Ce système est conçu pour lutter contre toutes formes de menaces aériennes (aéronefs, hélicoptères, drones, missiles antinavire, missiles balistiques, etc.)
Cette coopération ne s’arrêtera pas à ces aspects et inclura certainement l’accès et l’usage d’infrastructures militaires marocaines existantes ou en extension programmée avec la possibilité d’une installation militaire israélienne plus ou moins durable comme c’est le cas pour les bases abritant des drones d’attaque et de reconnaissance. Le Maroc cherchera par contre à obtenir un transfert de technologie concernant la fabrication sous licence de drones kamikazes et d’autres systèmes d’armes relevant de l’aérospatiale. Cependant la plupart des observateurs estiment que cette coopération sera toujours à l’avantage d’Israël puisque les objectifs stratégiques marocains restent étroits, à court terme et sans envergure tandis que ceux d’Israël sont larges et à long terme. Le Maroc sera t-il un nouveau Kibboutz israélien ? Et quelle sera l’attitude ou la réaction d’une large partie de l’opinion marocaine à ce sujet ? Ce sont là des contingences impossibles a évaluer pour le moment mais il est tout à fait possible que le Maroc puissent connaître d’autres tentatives de coups d’État, à fortiori avec la maladie du Roi Mohamed VI et le peu d’intérêt qu’il a toujours accordé aux affaires de l’État et la crise de succession autour de son fils, le prince héritier Moulay el-Hassan (futur Hassan III ?), né le 08 mai 2003 à Rabat, qui suscite de grands espoirs mais aussi des luttes internes à mort entre les dirigeants des services sécuritaires, dont l’ambition est de diriger le pays en sous-main avec l’appui de mentors étrangers et profiter de la mise en coupe réglée de l’économie du royaume.
source : Strategika 51
illustration : le Rab Halouf Aviv Kochavi, passant en revue un détachement des Forces armées royales (FAR) du Maroc. Un garde du corps de Kochavi s’est infiltré parmi les militaires marocains pour parer à un éventuel aléa… Une méprise du protocole qui démontre que la sécurité est un domaine pris très au sérieux quand il s’agit d’officiels israéliens.
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Source : Lire l'article complet par Réseau International
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