Les abus sexuels et culturels aussi bien de l’Église que de l’État nous posent collectivement la difficile question de la réconciliation. Faut-il choisir entre justice ou miséricorde? Pardonner serait-il la faiblesse de ceux qui n’ont pas la force de se venger pour rétablir la justice, comme le pensait Nietzsche, ou encore une astuce de criminels pour s’exempter de procès et de peines?
Nullement. Le pardon véritable ne peut et ne doit jamais faire l’économie de la justice.
Le sacrement du pardon dans la tradition catholique en est un exemple éclairant. Pour qu’il y ait véritable réconciliation, le pénitent doit nécessairement accomplir trois actes de justice: la contrition, la confession et la satisfaction.
La contrition d’abord, c’est-à-dire le douloureux et sincère regret du mal commis avec la ferme résolution de ne plus récidiver. La confession ensuite, où l’on avoue sa faute et regarde en face sa culpabilité pour en assumer la responsabilité. La satisfaction enfin, quand on s’engage à réparer autant que possible les torts causés.
Ce n’est qu’une fois ces trois actes de justice accomplis que la grâce peut opérer son miracle et restaurer la relation perdue. La miséricorde n’est ni magique ni aveugle. Elle s’appuie sur la justice pour la dépasser, là où le poids du péché est trop lourd pour être compensé.
Pardonner n’est donc pas s’excuser. L’excuse cherche des causes ou des circonstances atténuantes pour expliquer et atténuer la faute. Elle est l’arme par excellence des avocats. Le pardon présuppose au contraire l’aveu de la culpabilité et la remise entière ou partielle d’une peine justement méritée.
Les trois caractéristiques du pardon
Pour le philosophe d’origine juive Vladimir Jankélévitch, le véritable pardon possède encore trois caractéristiques: il est un évènement, un don et un rapport interpersonnel.
Pardonner est un évènement. Le temps n’arrange pas les choses de lui-même. Pardonner est un acte de rupture dans le temps qui opère le basculement d’un cycle de vengeances à celui d’un cycle de bienfaisances.
Pardonner est un don. En latin, per donare signifie «donner complètement». L’offensé offre gratuitement sa dette à l’offenseur en retenant pour lui une part de la peine qu’il pourrait exiger. Le pardon est toujours libre et gratuit; aucun pardon forcé de part ou d’autre n’est authentique.
Pardonner est un rapport interpersonnel. Contrairement à la justice, aucun pardon entièrement satisfaisant ne peut être offert par une institution, quelle qu’elle soit. Seules les personnes concernées peuvent se demander et s’accorder le pardon. Pour cette raison, les rencontres de réconciliation face à face ont une valeur beaucoup plus que symbolique.
Par ces trois conditions, on voit bien que pardonner n’a rien à voir avec oublier. L’oubli n’est ni un évènement, ni un don, ni un rapport personnel. Au contraire, le pardon présuppose toujours un travail de mémoire. Les deux partis doivent d’abord s’entendre sur une commune version de l’histoire, sans laquelle l’offenseur et l’offensé ne se croiseront jamais réellement.
Ce n’est que lorsque «miséricorde et vérité se rencontrent» que «justice et paix s’embrassent» (Ps 84,11).
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Source : Lire l'article complet par Le Verbe
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