Arcade Fire: exorciser l’angoisse par la communion

Arcade Fire: exorciser l’angoisse par la communion

Il y a un véritable réconfort à écouter un groupe qui partage notre sensibilité à la dimension spirituelle de la crise qui caractérise notre époque. 

WE est le tout dernier album lancé par le groupe montréalais Arcade Fire en mai dernier. Un album nouveau, sans être un album neuf. Et c’est justement ce qui le distingue du reste de l’œuvre. Dans WE, la formation musicale ne semble pas chercher à se réinventer, à innover comme dans les albums précédents. 

Mais ceci n’est pas une critique musicale. 

Je suis davantage captivé par la poésie d’Arcade Fire que par sa musique. En fait, «poésie» n’est pas approprié. Ce qui distingue le groupe, c’est sa capacité quasi prophétique à saisir le Zeitgeist de notre époque. 

Couverture de l’album We.

Peut-être parce que j’ai appris à lire avec la Bible, je ne peux pas m’empêcher de constater les riches correspondances entre elle et l’approche artistique du groupe montréalais. En ce sens, WE serait le nouveau «livre» ajouté au «canon» de l’œuvre du groupe-prophète.

Intertextualité discographique

Il y a, en théologie biblique, ce qu’on appelle «l’intertextualité»: le fait que les différents livres de la Bible font continuellement référence les uns aux autres, à travers l’usage d’images communes, l’allusion et la citation d’autres textes. Le livre devient un riche filet d’hyperliens (illustré ci-dessous). Le groupe qui nous a donné Neon Bible semble bien faire la même chose. Chaque piste produite étant liée par ses thèmes, ses allusions et son imaginaire avec des albums précédents. 

Visuel qui illustre les liens d’intertextualité dans la Bible

Par exemple, la piste Rabbit Hole fait référence au passage qu’emprunte Alice pour entrer au Pays des Merveilles. Toutefois, cette image d’un voyage sous-terrain, passage quasi initiatique qui transforme la personne qui l’emprunte, réapparait continuellement dans les «écritures» d’Arcade Fire, toujours évoquée par une allusion à la littérature classique. 

Dans la piste End of Empire IV (Sagittarius A), on peut entendre «Virgil says let’s take a ride», qui fait cette fois référence à l’Inferno de Dante, tandis que l’album Reflektor était en entier une remise en scène du mythe d’Orphée. Un voyage aux enfers… pas dans la souffrance, mais comme observateur d’un mystère. 

On retrouve ainsi d’autres images familières, les mêmes lieux de pensée, comme ce labyrinthe qu’on trouve dans Age of Anxiety (référence indirecte au penseur de l’Angoisse, Soren Kierkegaard) «It’s a maze of mirrors, it’s a hologram of a ghost». Il s’agit en fait du même lieu évoqué deux albums plus tôt « I thought I found a way to enter, it’s just a reflektor». 

Le langage biblique, apocalyptique, auquel Arcade Fire nous a habitués est toujours bien présent. Après avoir chanté l’Antichrist Television Blues dans Funeralavoir dessiné la grande vague noire qui allait nous avaler (There’s a big black wave in the middle of the sea, for me, for you), End of Empire IV (Sagittarius A*) pointe vers un trou noir détecté au cœur de la voie lactée.

Prophétisme musical

Pour reprendre l’illustration biblique, WE est au corpus d’Arcade Fire ce que l’Apocalypse est à la Bible : la formation se pose comme un voyageur anxieux qui cherche un guide face aux visions infernales d’un monde enflammé.

Le groupe est comme un prophète qui parle à une ère angoissée, mélancolique, endeuillée qui, comme l’Apocalypse de Jean, oscille entre images d’espoir et de gloire céleste et l’affirmation de notre destruction inévitable. L’album se pose ainsi dans la même lignée que plusieurs œuvres de notre époque, dont Melancholia de Lars Von Trier. 

Dans End of Empire III, par exemple, le «prophète» se console devant la désolation de notre monde qui est, au final, pas si mal

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