A l’ombre des moustaches de John Bolton
14 juillet 2022 (16H15) – Comme je suis un mauvais citoyen, je lis assez souvent ‘Russia Today’ (le site RT) que je trouve assez bien fait, – tout en gardant une main sur mon Colt .45, prêt à flinguer la première FakeNews qui se glisse dans un titre … A propos de titre, celui-ci, du RT d’hier :
« John Bolton admet avoir planifié des coups d’État à l'étranger. – L’ancien haut fonctionnaire de la Maison Blanche a déclaré que renverser un gouvernement demande “beaucoup de travail”. »
Je trouvai l’information assez amusante, d’abord parce que je pouvais ainsi m’imaginer Bolton croulant, chancelant sous le travail de la minutieuse et bureaucratique préparation d’un coup d’État dans une sorte de Zelenskan ; et ensuite parce qu’ainsi, – et c’est dans ce sens qu’allait la déclaration complète, qu’on lit ci-dessous, – il dédouanait, sans doute sans grand plaisir, Trump de toute tentative de coup d’État (le 6 janvier 2021, au Capitole)… En effet, parce qu’il y a quelque chose d’inattendu, de rigolo veux-je dire, d’entendre cette vieille crapule moustachue défendre son professionnalisme, pour ne pas être confondu avec l’amateurisme de l’ancien président : “moi, je suis sérieux, je sais ce qu’il faut faire pour faire un coup d’État, et ça demande du boulot, les capacités, etc…. Trump, c’est un clown, un bon à rien, n’est capable de rien du tout…”
« S'adressant à Jake Tapper de CNN après l'audience du Congrès sur l'émeute du 6 janvier au Capitole, Bolton a insisté sur le fait que [Trump] n'aurait pas pu réussir un “coup d'État soigneusement planifié”, car “ce n'est pas la façon dont Donald Trump fait les choses”.
» Lorsque l'animateur de télévision a soutenu qu’“il n’est pas nécessaire d'être brillant pour tenter un coup d’État”, Bolton a maintenu sa position, affirmant qu'il avait personnellement participé à l'éviction de gouvernements étrangers et que de tels projets nécessitent une planification importante.
“Je ne suis pas d'accord avec vous. En tant que personne ayant aidé à planifier des coups d'État, – pas ici, vous savez, mais dans d’autres endroits, – je peux vous dire que cela demande beaucoup de travail”, a poursuivi l'ancien fonctionnaire. “Et ce n’est pas la façon dont [Trump] fonctionne. Lui, il ne fait que sauter d’une idée à l’autre.” »
Enfin, je passai à autre chose…
Puis, dans l’après-midi, l’affaire, oubliée un instant, s’impose à nouveau à moi. Au long de mes recherches habituelles, un article là-dessus me passe sous les yeux, empruntée à ‘Epoch Times’ avec quelques bribes de Reuters, repris par ‘ZeroHedge.com’ qui le place à cette heure-là en deuxième position dans son menu. Ce n’est pas du tout que j’appris quelque chose de nouveau par rapport à ce qu’en disait RT, puisqu’il s’agit dans les deux cas d’une retranscription de CNN ; c’est simplement que m’est venue à l’esprit, à cet instant, cette question pourtant évidente que je me posais aussitôt à moi-même, comme si j’étais une sorte d’examinateur, – courroucé, pour cette occasion : “Mais comment est-il possible que tu n’aies pas réagi plus vigoureusement ?” [Je me tutoies, dans ces instants-là.]
Oui, comment est-ce possible, et d’autant plus qu’alors, ayant posé cette question je décidai implicitement et confirmai de ne pas en venir à “réagir plus vigoureusement” (c’est-à-dire, par un article vengeur, quelque chose du genre) ? Autre question intéressante, justement, à propos de la première question. Tout cela peut paraître anodin mais, à la réflexion, pas du tout…
Il a souvent été question de Bolton sur ce site : le moteur de recherche l’identifie dans 117 articles, le premier le 15 juillet 2004, le dernier le 24 octobre 2020. C’est considérable pour un “personnage secondaire” du Système et de sa politiqueSystème, c’est-à-dire un personnage qui joue un rôle considérable, à la fois activiste idéologique et bureaucrate expérimenté, dans les intrigues américanistes sans atteindre les postes institutionnels les plus hauts et sans posséder l’aura et la visibilité d’une grande personnalité de pouvoir, – un peu dans la même catégorie, si l’on veut, d’une Victoria Nuland (citée dans 60 articles, sur à peu près la même période [2006-2022]). La fonction la plus importante de Bolton fut météorique et absolument à contre-emploi par rapport au président justement décrit comme fantasque par lui, un peu plus d’un an (2018-2019) comme conseiller de la sécurité nationale de Trump. Ce fut pour Bolton une sorte de ‘revenez-y’ sans grande conséquence, Trump s’opposant systématiquement à ses initiatives et orientations.
La véritable période grandiose de Bolton reste celle des deux présidences de GW Bush, où il eut beaucoup d’influence et fut le maître d’œuvre peu connu de certaines décisions très importantes (particulièrement la décision d’implanter des missiles antimissiles en Europe, aboutissant à deux bases, – en Pologne et en Roumanie, – tout contre la frontière russe mais officiellement pour stopper des missiles iraniens qui n’existent pas, – l’argument faisant éclater Poutine en un énorme fou-rire).
Enquête sur les moustaches de Bolton
Le vrai est qu’il fut dans tous les coups fourrés de cette époque de GW Bush, et même d’après, et notamment, comme il le dit lui-même, ceux des opérations de ‘regime change’ (y compris l’énorme gâchis de la tentative-bouffe contre Maduro, au Venezuela). Par conséquent, ceci est tout aussi vrai : sa “révélation” venant officialiser ce que tous les commentateurs sérieux connaissent sous toutes les coutures, – la pratique des coups d’État, ou “révolution de couleur”, ou ‘regime change’, montés et provoqués dans les pays indisciplinés, en toute illégalité-légale, exceptionnaliste et américaniste, – cette “révélation” qui n’en est pas une aurait dû déclencher une avalanche de communication parce qu’elle met à nu, dans le circuit officiel, une pratique qu’on pourrait croire honteuse, et dissimulée de toutes les façons possibles.
Ce ne fut pas le cas, ce qui s’explique assez aisément pour la presseSystème mais beaucoup moins pour les indépendants-résistants, et pour mon cas par conséquent. J’ai donc l’occasion directe, en m’interrogeant sinon en me psychanalysant, d’avancer quelques hypothèses explicatives. Je dirais d’ailleurs, pour en introduire certaines, ma croyance intuitive que Bolton a dit ce qu’il a dit à CNN sans véritable intention politique, de façon assez naturelle, par inclination personnelle…
Je comparerais volontiers, du point de vue du comportement et de la psychologie, le comportement de John Bolton à celui de l’ancien président ukrainien Porochenko (sur les accords de Minsk) et celui du secrétaire général de l’OTAN Stoltenberg (sur l’engagement de l’OTAN en Ukraine dès 2014), tous deux lâchant eux aussi deux énormes précisions, officialisant ce que tous les gens sérieux savaient bien, et moi-même commentant :
« Moi, ce qui m’intéresse ici, c’est un “pourquoi” : pourquoi les pieds-nickelés Porochenko-Stoltenberg (quel sera le troisième ?) ont-ils dit ce qu’ils ont dit ? Certes, cela n’a pas eu grand écho ni forces démonstrations d’étonnement scandalisé, parce que nous avons les presseSystème les plus librement soumises absolument à la bienpensance du pouvoir, parce qu’on ne veut pas en entendre parler, notamment de ces affaires de Minsk et des besogneuses entreprises de l’OTAN en Ukraine depuis 2014.
» Eh bien, je soupçonne des réponses assez simplistes à cette question “pourquoi les pieds-nickelés Porochenko-Stoltenberg ont-ils dit ce qu’ils ont dit ?”… De l’inattention ici, un peu de vanité là, un goût pour une réplique qui surprend un peu, un de “faire le fanfaron”, un zeste de complète inconscience et d’abrutissement bienheureuse, voire de béatitude du Rien qui se mélange au Vide, et là-dessus l’aveuglement-standard, du type qui ne pense pas plus que les 5 minutes à venir… Tout cela se retrouve, se mélange, badaboum, on s’en fout ! On-va-ga-gner ! »
Deux précisions : Bolton n’est pas “troisième pieds-nickelés” évoqué et les derniers mots de la dernière phrase (« …badaboum, on s’en fout ! On-va-ga-gner ! ») ne sont pas pour lui qui est peu impliqué dans les machinations ukrainiennes, – même s’il les approuve de toute la force de ses moustaches. J’en reste donc aux comportements humains, trop humains, et alors l’on entre dans le domaine des hypothèses de savoir pourquoi on n’a pas (je n’ai pas) réagi plus fortement à sa “révélation”.
Psychanalyse des moustaches de Bolton
Ce qu’il importe de dire sinon de répéter d’abord, pour Bolton comme pour Porochenko-Stoltenberg, c’est que sa “révélation” n’a fait aucune vague au niveau officiel. On laisse passer, on laisse dire, on s’en lave les mains, on a d’autres chats à fouetter et d’ailleurs tous les gens de la communication s’occupent d’autres choses. En un sens, cela passe comme une lettre posthume à la poste et ne laisse aucune trace sur l’instant ; mais à plus long terme, et dans le fouillé des arguments qu’on développera plus tard, cela pèsera lourd et nos interprétations ne cessent de se structurer de confirmations de cette sorte. Je considère cette inattention de la part du Système comme un signe de décadence, sinon de dégénérescence assez prononcé ; cela d’autant plus que ce Système ne brille pas aujourd’hui par ses victoires irrésistibles et son influence triomphante.
De la part de Bolton (comme des deux pieds-nickelés), c’est aussi un signe de laisser-aller, de manque de vigilance, qui vous fait préférer des satisfactions personnelles de faire-valoir assez piètres à la mission sacrée de tout faire pour protéger le Système contre les malfaisants, les chevaliers de l’indépendance-résistance qui ne cessent de lancer des FakeNews dont il faut tout faire pour éviter qu’elles se révèlent véritables vraiesNews. Ces gens ne ressentent plus l’impératif sacré du devoir de servir en toute discrétion le Système, sans ébruiter les vices de leur servitude.
De ma part enfin, je suis conduit à considérer que l’intervention de Bolton, toute importante qu’elle soit en elle-même et qu’elle eût certainement été avec un intérêt important des observateurs il y a cinq ou dix ans, est devenue sans beaucoup d’importance aujourd’hui, depuis quelques mois, depuis quelques semaines qui sait… Pour nous, pour moi, elle est une trace désormais lointaine de l’histoire très-récente, parce que l’histoire très-récente s’éloigne de nous à une vitesse formidable. La rapidité des temps à se transformer, la contraction de l’histoire en métaHistoire laissent sur place des acteurs folkloriques certes, bureaucrates impitoyables sans nul doute, mais désormais devenus sans-emploi comme se trouvent être les moustaches de Bolton.
Nous sommes à une époque où tous nos gogos de l’autre temps vous offrent des tartines sur le G7, considéré comme événement d’une considérable importance, tandis qu’ils ne disent mot sur la réunion des BRICS qui regroupent les puissances qu’on sait et plus de 40% de le population mondiale… Mais l’époque va si vite qu’ils n’y voient que du feu ! Lesquels BRICS, – tiens, faux coq à l’âne pas si bête, – annoncent aujourd’hui, par la voix de sa présidente Purnima Anand, que l’Arabie Saoudite, la Turquie et l’Égypte vont suivre l’Iran et l’Argentine en déposant leur demande d’adhésion au groupe (amusez-vous à imaginer l’acronyme qu’on obtiendra alors). Pensez que cette nouvelle tombe au moment où Biden doit rencontrer ou rencontre d’ores et déjà, qui sait s’il a ou non trébuché, l’un ou l’autre en Arabie pour obtenir un peu plus de pétrole et un peu moins de bienveillance pour la Russie !
« “Tous ces pays ont manifesté leur intérêt pour l'adhésion aux [BRICS] et se préparent à demander leur adhésion. Je pense que c'est une bonne chose, car l'expansion est toujours bien accueillie ; elle renforcera certainement l'influence mondiale des BRICS”, a dit madame Anand au journal russe ‘Izvestia’. […]
» La présidente du forum des BRICS a déclaré qu'elle espérait que l'adhésion de l'Arabie saoudite, de la Turquie et de l'Égypte ne prendrait pas beaucoup de temps, étant donné qu'ils “sont déjà engagés dans le processus”, tout en doutant que les trois pays rejoignent l'alliance en même temps.
» “J’espère que ces pays rejoindront les BRICS assez rapidement, car tous les représentants des membres principaux sont intéressés par l'expansion. Cela viendra donc très bientôt”, a-t-elle ajouté. »
Vous comprenez que nous ne sommes plus dans l’époque de John Bolton, plus du tout, fini tout ça… Vous comprenez qu’il est plus important de mesurer l’importance de l’annonce de l’entrée de l’Égypte dans les BRICS, possibilité jusqu’alors rarement évoquée alors que l’Égypte (comme l’Arabie) est (était) un allié fidèle de l’hyperpuissante américaniste, que d’apprendre de la bouche de Bolton que les scandaleux et sans nombre coups fourrés US que l’on dénonce depuis des années sont bien les coups fourrés que l’on dénonçait.
Je n’ai rien de personnel contre Bolton, après tout, mais je sais que lorsque les USA tels qu’en eux-mêmes disparaîtront, nous penserons de Bolton et des USA : “Bon débarras !”. Charge à d’autres, s’il y en a, de comptabiliser pour l’histoire les innombrables vilenies dont ils furent les stupides organisateurs et qui firent d’eux les compagnons et les obéissants serviteurs d’une force démoniaque.
Source: Lire l'article complet de Dedefensa.org