En 1982, le Canada déclarait ses premiers cas de sida, un syndrome qui fera des dizaines de millions de victimes dans le monde. Se mobilisant pour venir en aide aux malades, souvent abandonnés par leur famille, des communautés religieuses, des prêtres et des laïcs ouvrent des maisons d’hébergement. Aujourd’hui, d’autres consacrés prennent la relève, alors que la science permet aux malades de vivre une vie presque normale.
Un des tout premiers acteurs de cette période mouvementée que je rencontre est le père Julien-Claude Bédard. Il est membre de la congrégation des Prêtres du Sacré-Cœur (ou Sacré-Cœur de Jésus, comme ils se font appeler en Europe).
Il découvre l’épidémie en lisant un article publié en 1986 dans le quotidien La Presse. Intitulé «Le sida, cette lèpre moderne», ce reportage l’interpelle, lui qui a été missionnaire au Congo, où il a œuvré auprès des lépreux.
Un 5 étoiles
«Je me suis dit: “Cela m’intéresse.” J’ai alors commencé à lire sur le sida et à visiter les malades», me confie-t-il dans le salon de la Maison Dehon, qu’il fonde en 1988 sur le boulevard Gouin Est à Montréal.
Avec l’aide de sa communauté, il ouvre officiellement la Maison Dehon le 15 aout 1988. À l’époque, on peut y accueillir neuf personnes.
«C’était un 5 étoiles! On les gâtait! Oui, les gens venaient mourir à la Maison Dehon, mais cela n’avait pas l’air d’un mouroir. Ici, on ne mourait pas du sida, on vivait avec le sida jusqu’à la fin.»
Le père Julien-Claude précise que 135 personnes sont décédées entre les murs de la Maison Dehon jusqu’à sa fermeture le 15 aout 2007.
La vie spirituelle était très présente à la Maison Dehon. Le père disait la messe chaque jour. «Venait qui voulait!» Les religieuses accompagnaient spirituellement ceux et celles qui en faisaient la demande. Certains ont reçu le sacrement des malades. D’autres le refusaient.
Les Hébergements de l’Envol
Cet esprit de don de soi est également présent aux Hébergements de l’Envol, un organisme qui accueille son premier résident le Vendredi saint 1988. Dans un document publié en 1993 afin de souligner son 5e anniversaire, l’Envol ne cache pas ses origines: «Les Hébergements de l’Envol sont d’abord un projet chrétien conçu et réalisé par les laïcs engagés au nom de leur foi et soutenu par des communautés religieuses.»
Grâce à l’actuelle présidente Hélène Gagnon, on retrouve l’ambiance des premières années. Lorsqu’on parcourt quelques archives, on s’aperçoit qu’un nom revient sans cesse: sœur Gabrielle Laberge (Gaby, pour les intimes), de la congrégation des Sœurs des Saints Noms de Jésus et de Marie.
Gaby entre en contact avec le sida en 1987, alors qu’elle vient en aide à une mère dont le fils est aux prises avec cette terrible maladie. Alors à la retraite, Gaby rencontre Julien Levasseur, un laïc, qui lui demande de l’aider à créer un centre pour les personnes atteintes du sida.
Responsable de la pastorale, elle explique, dans un numéro du journal L’Envol publié en 1997, en quoi consiste sa mission: «C’est un accompagnement quotidien: écouter, tendre la main, rendre aimablement service.»
Selon sœur Gaby, à l’Envol, «tout le monde fait de la pastorale, même si le terme n’est pas utilisé, car on y est témoin d’un Esprit d’amour, de joie, de paix, de bonté, de fidélité, de douceur, de maitrise de soi.»
Tout comme à la Maison Dehon, la joie de vivre et les fêtes rythment les jours de l’Envol. Il y a aussi la mort qui, chaque semaine, vient faire son tour. Sœur Gaby, dans son journal de bord, relate la fin de vie d’un des résidents.
«Pression de la main et du bras, serviette sur le front, mot d’espoir à l’oreille; préposés et bénévoles à tour de rôle s’approchent du lit… Une larme discrète… Un regard attendri… Un baiser et une croix sur le front… Va en paix, Robert, vers la maison du Père. Et que, sur toi, brille la Lumière!»
Maison La Paix
Accompagner un résident jusqu’à la fin, Mgr Noël Simard, évêque de Valleyfield, en a aussi fait l’expérience alors qu’il était prêtre à Sudbury, en Ontario. Sollicité par un médecin qui voulait ouvrir une maison pour les malades du sida, il accepte de l’aider. À l’époque, il enseigne à l’Université de Sudbury au département des sciences religieuses.
La Maison La Paix ouvre ses portes le 1er décembre 1997, grâce à l’appui des Sœurs de la Charité et des Sœurs de la Sagesse. «L’une des religieuses était infirmière. Nous pouvions offrir des services pratiquement 24 heures sur 24. À l’époque, nous avions six chambres», se souvient Mgr Simard en entrevue.
Pour lui, «la Maison La Paix n’était pas une institution, c’était une maison. Comme une maison familiale où la personne se sentait accueillie, aimée telle qu’elle était, sans les préjugés qui étaient attachés à la maladie. Les personnes arrivaient et nous disaient: “Mon Dieu, Seigneur, on se sent aimés ici! C’est formidable.”»
Ici aussi, l’aspect spirituel était très présent. «Nous organisions les funérailles comme si c’était un frère, une sœur. Nous manifestions la tendresse de Dieu.»
Maison Marc-Simon
Mgr Marc Pelchat, évêque auxiliaire du diocèse de Québec, a lui aussi manifesté l’amour de Dieu aux malades du sida et à leurs familles. Après avoir accompagné un jeune malade du sida et organisé ses funérailles, il est invité à se joindre à l’équipe des bénévoles de la Maison Marc-Simon, fondée en 1988.
«J’ai donné le sacrement du pardon, la communion et parfois le sacrement de malades. Moi, j’étais un acteur très secondaire», me confie-t-il.
Dans une entrevue accordée à la revue Vie des communautés religieuses publiée en octobre 1997, deux religieuses, sœur Jocelyne Laroche et sœur Agathe Côté, toutes deux membres de la congrégation des Sœurs de la Charité, partagent leur vécu au sein de la Maison Marc-Simon.
Sœur Jocelyne Laroche y explique dans quel état d’esprit elle a accepté sa mission au sein de la ressource d’hébergement. «Je ne connaissais ni cette maladie ni la psychologie des malades. […] J’ai accepté de briser mes sécurités, mes compétences, mes résistances pour m’abandonner à l’inconnu dans une attitude de foi et de confiance en Dieu.»
Dans l’entrevue, sœur Agathe ose parler de victoire contre le sida. «Nous pouvons dire que le sida est vaincu chez les résidents lorsque le rire et la joie de vivre éclatent à travers la tristesse; lorsque la tendresse et l’accueil inconditionnel guérissent du rejet et de la solitude; lorsque l’amertume se transforme en pardon; lorsque l’agressivité lâche prise en faveur de la paix.»
*
La Maison Marc-Simon existe toujours, tout comme les Hébergements de l’Envol. Toutefois, grâce aux avancées de la science, qui permettent aux personnes atteintes du sida de vivre une vie presque normale, elles servent de dépannage à ceux qui veulent un répit ou reprendre pied. La Maison la Paix est devenue une maison de soins palliatifs.
Aujourd’hui encore, ici et sous d’autres latitudes, des consacrés œuvrent auprès des malades du sida et de leurs familles. C’est le cas du père Philippe Morinat, oblat. Il est responsable de la paroisse Saint-Pierre-Apôtre, au cœur de ce qu’on appelle encore aujourd’hui le Village. Ouverte aux homosexuels, elle abrite la Chapelle de l’Espoir, destinée à faire mémoire des victimes du sida.
Le père Philippe se rend disponible pour tous, peu importe s’ils sont ou non atteints du sida. En entrevue, il se décrit comme «un curé de campagne» qui, lorsqu’il fait ses courses, est abordé par ceux et celles qu’ils croisent. «J’ai beaucoup plus de discussions personnelles en dehors de mon bureau…», me dit-il.
Le père oblat insiste sur le fait que ses paroissiens «forment vraiment une communauté qui participe, qui chante, qui prie. Ce ne sont pas des consommateurs.»
Vivre dans l’espérance
À des milliers de kilomètres de Montréal, au Togo, sœur Marie Stella, de la communauté des Sœurs hospitalières de Saint-Amand-les-Eaux, consacre sa vie auprès des malades du sida et de leurs proches.
Impliquée dans ce ministère après avoir accompagné son frère atteint par la maladie, sœur Marie-Stella a fondé l’association Vivre dans l’espérance. Si, au début du mouvement, 1 000 personnes mouraient chaque année dans ses locaux, aujourd’hui, c’est moins d’une vingtaine.
En entrevue, elle parle de la période où le sida fauchait des vies par milliers au Togo. «Personne ne voulait s’approcher des cadavres. Personne ne voulait les laver, les toucher. Pour moi, c’est le Christ qu’il fallait laver. Pour moi, c’est le Christ qu’il fallait accompagner jusqu’au tombeau.»
Depuis son ouverture, Vivre dans l’espérance se fait un devoir d’impliquer les familles, qui souvent rejettent le malade, par peur et par ignorance. Les enfants, orphelins ou porteurs du virus, sont accueillis et éduqués par l’association.
Sœur Marie Stella poursuit vaillamment son ministère, qu’elle décrit avec beaucoup de profondeur dans son livre Notre combat nous grandit. Sida, exclusion, pauvreté, qu’elle vient de publier aux Éditions Bayard.
Le père Julien-Claude Bédard, sœur Gaby, Mgr Noël Simard, Mgr Marc Pelchat, sœurs Jocelyne Laroche et Agathe Côté, père Philippe Morinat et sœur Marie Stella, et combien d’autres encore, sont les témoins d’une Église qui se fait humble et pauvre pour servir le Christ en servant plus grands qu’elle: les démunis et les rejetés.
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Source : Lire l'article complet par Le Verbe
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