Quelques commentaires sur les informations fournies par le reporter de guerre russe Alexandre Kots, un vétéran des guerres du Kosovo, d’Afghanistan, de Tchétchénie, de Libye, de Syrie et du Nagorno Kara-Bagh et actuellement le conflit de haute intensité en cours en Ukraine:
1. Les forces ukrainiennes disposent de très bonnes unités d’artillerie, aussi bien en équipement qu’en termes d’entraînement. Ils disposent également d’une meilleure coordination entre les artilleurs et les drones de reconnaissance chargés de la correction des tirs d’artillerie. En général, tous les pays issus de l’ex-Union Soviétique ont hérité d’une excellente maîtrise de l’arme de l’artillerie ;
2. Les forces armées ukrainiennes utilisent les tactiques des petites unités. Ces tactiques ont ralenti l’avancée russe au début de la guerre. Détail très important, les tracés de l’offensive russe ont tous coïncidé avec ceux des exercices de préparation de l’OTAN. Cela veut dire que les conseillers de l’OTAN chargés de la formation et la préparation de armée ukrainienne à une éventuelle guerre avec la Russie ont fait un excellent travail en anticipant toutes les scénarii possibles d’une éventuelle invasion russe et ont concentré leurs efforts sur le scénario le plus plausible. Les manœuvres conjointes avec l’OTAN ont donc sauvé l’Ukraine d’une invasion éclair. Moscou avait donc de très bonnes raisons de se plaindre des agissements de l’OTAN en Europe orientale en général et en Ukraine en particulier puisqu’ils s’inscrivaient dans une logique de préparatifs de guerre avec la Russie par le biais des armées nationales des pays voisins de la Russie. Le cas ukrainien est particulièrement aigu vu l’animosité idéologique poussé à l’extrême opposant le nouveau régime ukrainien issu du coup d’État de 2014 allant jusqu’à interdire la langue russe et à modifier l’histoire ancienne et récente de la région en inventant un lien mythique entre des ancêtres scandinaves supérieurs aux slaves et les Ukrainiens dans une tentative d’imposer la croyance en une supériorité raciale vis à vis des différents peuple de Russie. Cette préparation minutieuse du conflit par Kiev et ses alliés, lesquels ont jamais caché leur volonté à reprendre le Donbass et la Crimée par la force démontre que la décision de déclencher une opération militaire par Moscou n’a été ni précipitée et encore moins irréfléchie. Si Vladimir Poutine avait attendu deux mois de plus, c’était l’Ukraine qui aurait déclenché une offensive sur le Donbass et la Crimée et probablement sur le territoire occidental de la Russie en coordination avec les forces de l’OTAN stationnées dans les pays Baltes et la Roumanie.
3. Les zones frontalières entre l’Ukraine et la Russie sont truffées de caméras et de dispositifs de surveillance opto-électroniques qui transmettaient en temps réel des données sur le mouvement des forces russes et la répartition des unités. Les Russes ont sous-estimé cet aspect au début. Là encore, on ne saurait sous-estimer la révolution de type T induite par la mise en place de technologies nouvelles pour le maintien des communications et la surveillance électronique des frontières avec l’appui notable de la société SpaceX mais également du DARPA et des fleurons du complexe militaro-industriel US, britannique et européen.
4. Une libération complète des territoires des Républiques de Donetsk et de Lugansk ne mettra pas fin au pilonnage de l’artillerie ukrainienne puisque celle-ci dispose de systèmes d’artillerie à longue portée. La livraison par des pays de l’OTAN de systèmes similaires lui permettra toujours de le faire. Les récents pilonnages ukrainiens visant une zone urbaine de Donestk vise à provoquer le mécontentement des habitants en accentuant le sentiment d’impuissance à protéger de la partie russe; Le bombardement de zones d’habitation à Donetsk par des roquettes ukrainienne mais egalement des obus tirés de M777 fournis par l’Alliance Atlantique visait à provoquer un effet de choc au sein de la population.
5. La capture de Lisichansk marquera l’achèvement de l’unité territoriale de la république de Lugansk. La Russie affirme qu’elle contrôle 97% du territoire de cette république mais les combats persistent en raison des lignes fortifiées ukrainiennes, établies et renforcées depuis 2014.
6. La nouvelle stratégie russe des petits chaudrons et l’avance lente sont des choix délibérés mais ne constituent pas pour autant une stratégie de choix. Cette option dérange des partisans de la guerre des forces spéciales et des coups de main fulgurants comme le président tchétchène Ramazan Kadyrov et d’autres chefs militaires russes mais elle s’impose comme la solution la plus adaptée pour réduire les pertes subies au début de la guerre et obtenir de manière sûre une avancée sur le terrain face à un adversaire uni dans sa haine des Russes. A titre de comparaison, les forces US ayant envahi l’Irak en mars 2003 avaient acquis avant l’offensive le soutien et l’allégeance de 80% du commandement militaire et sécuritaire irakien.
7. Les Russes ont un désavantage numérique face aux Ukrainiens et ne peuvent espérer avancer qu’avec un ratio de 1:1 dans le meilleur des cas; à Mariupol, ce ratio était nettement défavorable pour les Russes.
8. Il n’y a pas d’échanges massifs de prisonniers de guerre. Cependant des petits échanges locaux ont été signalés : ils concernaient des échanges de 15 contre 15 ou au maximum 30 contre 30. Jamais la devise Vae Victis! (Malheur aux vaincus!) ne s’est appliquée que dans cette confrontation enragée entre deux peuples qui appartenait au même empire. Un prisonnier de guerre russe capturé subit des sévices et des tortures bien pires que la mort entre les mains de militaires ukrainiens rendus fous furieux par une idéologie raciste, les pilonnages russes et l’incompétence, voire les négligences criminelles de leur propre commandement dans une guerre à très haute intensité. La violence appelant toujours plus de violence, les militaires russes sont aussi happés par ce phénomène et il est certain que certains d’entre-eux, voire beaucoup ne sont pas d’accord avec la manière dont le haut commandement a mené l’opération au début mais dans l’ensemble, ils demeurent en colère contre les agissements et les provocations à la haine des Ukrainiens et adhèrent à la guerre.
Autre particularité observée, le refus des forces armées ukrainiennes de récupérer les cadavres de ses membres, même en cas de cessez-le-feu temporaire à cette fin. Ce refus d’enterrer les morts serait sans doute lié, comme l’avancent certains observateurs du conflit, à un refus de reconnaissance d’une mort au combat pour la patrie et donc l’obligation d’une incidence financière pour les ayants-droit du militaire ou du milicien tué.
Selon Kots, le niveau d’expérience au sein des forces armées ukrainiennes aurait baissé de façon significative depuis le début de la guerre. Le pourcentage des forces professionnelles serait de 20% contre 80% pour les conscrits. Pour le reporter de guerre russe, l’infanterie ukrainienne souffre de lacunes et serait de très mauvaise qualité en termes de formation et de moral. Cet état contraste avec celui des artilleurs et des membres des forces spéciales ukrainiennes dont le niveau est jugé comme très bon. Il observe que les forces ukrainiennes refusent le combat rapproché et opèrent un retrait ordonné à chaque qu’il est possible de le faire.
En conclusion, pour Alexandre Kots, qui, en dépit de son expérience de plusieurs conflits, n’a jamais connu un conflit d’une telle intensité qui rappelle celle du front oriental de la Seconde Guerre mondiale, la Russie n’est pas en guerre avec l’Ukraine mais l’ensemble de l’infrastructure de l’Organisation du Traité de l’Atlantique Nord (OTAN) en termes de renseignement, de collecte du signal, de capacités d’écoutes, de satellites, de systèmes de communication, de matériel et d’armement militaires, de systèmes de guerre électronique, de contre-batteries, etc. Enfin, il juge les drones Bayraktar assez mal en affirmant qu’un système Sol-Air efficace “peut en faire un carton”, ce qui ne doit pas faire plaisir aux propriétaires de Baykar, le fabricant turc, qui a ordonné à Kiev à préserver l’image de marque de ce drone en l’engageant que dans des conditions de protection optimales. Ce que font aussi d’autres fabricants d’avions de combat.
Une autre conclusion est qu’un contrôle total du Donbass par la Russie ne mettra pas fin à la guerre, même en optant pour un scénario à la coréenne avec une Ukraine divisée en deux camps retranchés.
Cette perspective d’un conflit susceptible de durer jusqu’en 2032 oblige Moscou à des choix difficiles: soit continuer à alimenter un rouleau compresseur lourd, lent et peu économe en ressources jusqu’au Dniepr et au-delà et à partir de là avoir maille à partir avec la Pologne dont le leadership est profondément russophone pour des raisons historiques qu’il serait long d’expliquer ici; soit se contenter d’une partie de l’Ukraine, certes riche, mais en reportant encore le conflit face à une autre partie de l’Ukraine qui ne cessera jamais de tenter de récupérer les territoires perdues avec l’aide de l’OTAN.
La solution médiane n’est pas non plus facile car cette situation induit une guerre d’usure, susceptible de mobiliser et de drainer les ressources de la Russie. Ce qui est l’objectif à moyen terme de Washington pour la phase de la prochaine décennie. C’est des éléments dont les Russes semblent conscients. Ce dilemme explique à lui seul toute la difficulté de la géostratégie appliquée dans le cadre d’une rivalité puis d’une guerre d’hégémonie où l’escalade est évitée à tout prix et où les conditions économiques des belligérants semblent amorties par une plus haute capacité de résilience simulées lors de la crise du C19.
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