J’espère sincèrement me tromper : ce serait mieux pour tout le monde. Mais je soupçonne que si nous prenons correctement la mesure de ce qu’ont eu comme effet sur les élèves la COVID-19 et l’enseignement à distance, nous aurons cet automne de bien mauvaises surprises. Elles confirmeraient ce que disent déjà bien des gens sur le terrain.
Pour le penser, on peut — et hélas, faute d’un nombre suffisant de recherches fiables et crédibles menées ici, on doit — largement s’en remettre à des études internationales sur le sujet.
La conclusion qu’elles nous imposent de tirer est que des retards, souvent considérables, vont être constatés, et que cela sera particulièrement vrai pour les élèves qui étaient déjà plus faibles, pour les élèves plus jeunes, pour ceux et celles ayant des troubles d’apprentissage ou provenant de milieux défavorisés.
Il y a un an, Christian Boyer et Steve Bissonnette proposaient une synthèse de ce qu’on savait alors des effets du premier confinement, de l’enseignement à distance et de la pandémie de COVID-19 sur le rendement scolaire dans plusieurs pays.
On en sait plus aujourd’hui, ce n’est guère réjouissant et cela va dans le même sens que ce que décrivaient Boyer et Bissonnette. La prestigieuse revue Nature vient d’intervenir dans la discussion avec un percutant article résumant la situation. La COVID-19, y lit-on, a fait dérailler l’apprentissage de 1,6 milliard d’élèves et pourrait bien être la plus grande perturbation de l’éducation de l’histoire. Je vous invite fortement à le lire.
Chez nous ? On me corrigera au besoin, mais on n’a pas, pour le moment du moins, beaucoup de données crédibles. Je salue toutefois un travail mené par une équipe dirigée par Catherine Haeck, qui est professeure en sciences économiques, et qui montre que « la pandémie a fait baisser de 8 points de pourcentage la moyenne des élèves de quatrième année du primaire à l’épreuve ministérielle en lecture (de 77 % à 69 %). Le taux de réussite a aussi chuté de 11 points : 72 % des élèves ont obtenu la note de passage en 2021, comparativement à 83 % en 2019. » D’autres recherches sont annoncées par elle et son équipe, et c’est tant mieux.
On me permettra de formuler quelques souhaits pour ce qui s’en vient. Je les pense importants.
Ce qu’on devrait faire
Nous devrions, et notamment le ministère et les chercheurs préoccupés par le sujet, nous atteler à prendre la plus exacte et la plus juste possible mesure des effets de la pandémie et de l’apprentissage à distance sur les performances scolaires des élèves. Qu’en est-il selon les matières ? Selon les niveaux ? Pour telle ou telle catégorie d’élèves ? Au public et au privé ?
Cela étant posé, on devrait, dès que possible, examiner les mesures qui peuvent être prises pour corriger ce qui doit l’être.
Ne lésinons pas là-dessus : si les dommages sont importants, comme il est vraisemblable qu’ils le soient, au moins dans certains cas, leurs effets à long terme tant sur les personnes concernées que sur nous tous collectivement pourraient être dramatiques.
Un remarquable article paru il y a quelques jours dans The Atlantic, sous la plume de Thomas Kane, économiste et directeur du Center for Education Policy Research de l’Université Harvard, jette sur tout cela un éclairage important. Il y est bien entendu question des États-Unis, mais on devrait prêter attention à ce qui s’y dit sur les immenses retards accumulés et qui sont particulièrement terribles chez les plus pauvres, où ce serait jusqu’à 22 semaines d’école qu’il faudra rattraper ! On parle donc en gros d’une demi-année scolaire.
Cet article est aussi à lire pour le rappel qu’il donne de ce que dit la recherche sur les mesures de rattrapage et leur efficacité.
Un certain type de tutorat, pratiqué par un tuteur correctement formé, qui travaille avec un à quatre élèves à la fois à raison de trois séances par semaine durant toute l’année, vient en première place des mesures de rattrapage. Il permettrait de rattraper jusqu’à 19 semaines de retard — hélas, pas 22…
On pourrait aussi opter pour l’école d’été que des élèves choisissent de fréquenter — on peut en espérer cinq semaines de rattrapage. Ou choisir d’y aller avec une période de plus par jour dans certaines matières ; ou avec une école d’été obligatoire ; ou encore avec une prolongation de l’année scolaire pour les deux prochaines années.
Toutes ces mesures ont bien entendu des coûts, économiques et sociaux, dont il faudra tenir compte. À tout cela s’ajoute chez nous la dramatique pénurie d’enseignantes et d’enseignants que nous connaissons.
Avec quelques autres, je vois néanmoins dans ce qui précède une raison d’espérer. C’est que pour prendre les décisions qui s’imposent, il nous faudra examiner les faits (quels sont réellement les retards encourus ? Quels ont été les effets réels de l’enseignement à distance ?) et s’informer de l’efficacité des mesures envisagées avant de choisir celles que nous retiendrons. Cela pourrait signaler un virage bienvenu par lequel nos décisions en éducation se fonderaient sur des données de recherche crédibles. Il serait temps.
Dans la foulée, on pourrait décider de suivre de près l’efficacité des mesures que nous aurions choisi de prendre, de manière à corriger ce qui doit l’être le cas échéant.
Bref : de pratiquer une gestion axée sur les résultats. J’entends d’ici des enfants qui disent merci.
<h4>À voir en vidéo</h4>
Source : Lire l'article complet par Le Devoir
Source: Lire l'article complet de Le Devoir