Comme c’est bien souvent le cas, c’est au cœur de la guerre et dans l’armée que s’est créé une alliance entre les Tsiganes et la musique nationale hongroise. Tandis que les combats entre les Hongrois et les Turcs perdurent tour au long des XVIe et XVIIe siècles, tantôt sous ascendance chrétienne, tantôt sous ascendance ottomane, les musiciens tsiganes, dont la musique mêle l’Orient et l’Occident, jouent autant pour les pachas turcs que pour les seigneurs hongrois.
Entre Orient et Occident
C’est en 1489, sur ce qui était à l’époque l’île de la Reine-Béatrice (aujourd’hui île de Csepel, au sud de Budapest), qu’est pour la première fois mentionnée la présence d’un groupe de musiciens tsiganes jouant et recevant de l’argent pour leur prestation.
En 1532, des musiciens tsiganes sont recrutés pour un aristocrate par Pal Bakyth, capitaine des hussards. En 1584, un Allemand en voyage à Constantinople rapporte avoir entendu chez le pacha d’Esztergom, comme chez celui de Buda des musiciens tsiganes jouant « à la manière turque ». On retrouve ainsi tout au long de l’histoire des courriers et autres témoignages du passé rapportant la présence des accents orientaux venant colorer le chant Kuruc.
Bien qu’il soit difficile d’imaginer ce que pouvait être cette musique, il est fort possible que les Tsiganes accompagnants les armées aient pris part à son élaboration. Les soldats, suivis de cuivres et tambours, portaient alors des uniformes ornés d’une croix, Kuruc, qui donna le nom à ce genre musical. C’est au tournant des XVIIe et XVIIIe siècles, avec la révolte de Ferenc II Rakoczi contre les Habsbourg, que le Kuruc connaîtra son apogée.
Nous pouvons alors nous demander si le terme recouvre alors une forme musicale bien définie, ou bien si l’unité est offerte par les paroles de ces chants qui exaltent le sentiment patriotique.
Une musique vivante
Selon les historiens de la musique hongroise, les « marches Kuruc », encore présentes dans les répertoires de nombreux orchestres tsiganes, sont des adaptations de chants originaux. Ecrites à la fin du XVIIIe et au XIXe siècle par les géants du Verbunkos, le genre musical qui triomphe à ce moment-là , ces marches donneraient une image du Kuruc fortement imprégnée du Verbunkos, offrant une continuité entre ces deux formes.
La « Marche de Rakoczi », (célèbre pour les orchestrations qu’en ont donné Berlioz et Liszt), incarne l’avenir de l’esprit du Kuruc et de l’esprit patriotique hongrois. François de Vaux de Foletier indique ainsi que le succès des orchestres tsiganes est tel qu’il va s’accroître au XVIIe et XVIIIe siècle. Leur présence deviendra indispensable tant « dans les cabarets de villages que dans les demeures des magnats ». Les grands seigneurs magyars doivent absolument avoir des musiciens tsiganes à leurs services. Avec le succès grandissant du Verbunkos nous pouvons remarquer que ses caractéristiques musicales vont influencer d’autres genres, qui bientôt le concurrenceront en faveur du public et par conséquent dans le répertoire des orchestres bohémiens.
Parmi ces caractéristiques il y a une modulation, une exubérante folie rythmique, un cœur en flamme et une virtuosité dans l’interprétation, toutes des marques de l’identité des musiciens tsiganes et autant d’ingrédients qui composent la chanson populaire hongroise dite Nota, à laquelle ils donnent ce cachet si particulier.
Incarnation de l’esprit patriote hongrois
Une fois de plus, dans la conception de ce genre musical, nous sommes à la frontière du savant et du populaire. Les partitions sont l’œuvre de compositeurs qui connaissent la musique savante de leur époque et en utilisent les procédés. Les textes sont écrits par des lettrés, des intellectuels de la ville ou gentilshommes de la campagne, et ont pour but et effet de glorifier un idéal de la patrie hongroise.
Or, ne perdons pas de vue que nous sommes à une époque où le combat contre l’empire des Habsbourg fait comprendre aux Hongrois qu’ils sont un peuple ayant toujours dû résister à la volonté de conquête et de domination d’une grande puissance. Les musiques dont les Tsiganes se sont rendus maîtres deviennent, curieusement, l’emblème du mouvement national hongrois et marquent, tel un nouveau souffle, une nouvelle ère dans la musique et la société hongroise.
Ainsi, les histoires de la musique attribuent volontiers un rôle majeur aux Tsiganes dans la propagation des traditions populaires, et reconnaissent bien évidemment la virtuosité de ses interprètes, ainsi que leur talent pour l’enjolivement. Leur musique aura un tel succès que les Tsiganes vont devenir les interprètes quasi exclusifs de la musique populaire hongroise.
De nos jours, la Hongrie et sa fabuleuse capitale restent empreintes des sons ravageurs des violons tsiganes, une musique dont l’histoire et les traditions vous explosent au visage et vous emballent la tête, le corps et le cœur.
Ellie L.
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