par Seraj Assi.
Il s’agit de l’un des mythes les plus tenaces concernant la guerre de 1948 : La bataille épique entre un redoutable Goliath arabe et un Israël nouveau-né pour libérer la Palestine. Et c’est une fable qui continue à faire du mal aujourd’hui.
Alors que les Palestiniens célèbrent le 74ème anniversaire de la Nakba et que les Israéliens célèbrent les 74 ans de leur État, nous devrions prendre un moment pour démystifier l’un des mythes les plus tenaces entourant la guerre de 1948 : la légende des grandes armées arabes, unifiées dans leur esprit, envahissant Israël pour libérer la Palestine.
Dans une fable traditionnelle perpétuée par les Arabes et les Israéliens, la guerre est décrite comme une bataille épique entre un David juif et un Goliath arabe. Il s’agit là d’une véritable mythification de l’histoire.
Mais ce n’était pas une guerre entre un petit David israélien et un Goliath arabe géant. C’était un Israël très motivé et relativement organisé qui combattait une coalition arabe fragmentée dont les gouvernements étaient entrés en guerre pour se disputer leur part de la Palestine.
Le roi Abdallah Ier de Jordanie était là pour annexer la Palestine et créer une Grande Syrie hachémite. Les Syriens, qui craignent la Jordanie plus qu’Israël, étaient là pour empêcher la Jordanie d’annexer la Cisjordanie. L’Égypte était là pour bloquer les Hachémites, occuper la bande de Gaza et affirmer sa suprématie sur ses voisins arabes. La Palestine était un champ de bataille par procuration pour leurs ambitions et leurs craintes. Le sort des Palestiniens eux-mêmes ne figurait guère dans les calculs des autocrates arabes.
Le mythe de l’infériorité militaire d’Israël a été démoli par les historiens israéliens eux-mêmes. Selon Avi Shlaim, à chaque étape de la guerre, les forces israéliennes étaient plus nombreuses et mieux armées que toutes les forces arabes mobilisées contre elles. À la mi-mai 1948, le nombre total de troupes arabes en Palestine, tant régulières qu’irrégulières, était inférieur à 25 000, alors qu’Israël alignait plus de 35 000 soldats. À la mi-juillet, Israël comptait 65 000 hommes sous les armes, et en décembre, ses effectifs atteignaient un pic de près de 100 000 hommes.
« L’issue finale de la guerre n’était donc pas un miracle, mais un reflet fidèle de l’équilibre militaire sous-jacent sur le théâtre palestinien. Dans cette guerre, comme dans la plupart des guerres, c’est le côté le plus fort l’a emporté », commente Shlaim, dans The War for Palestine.
À la veille de la guerre, la façade unitaire arabe cachait des divisions et des fissures profondes. Les dirigeants arabes se méfiaient davantage les uns des autres que d’Israël. Les armées arabes ont traversé la Palestine pour se battre entre elles et se saboter mutuellement.
Ils sont entrés en guerre non pas en tant qu’Arabes, mais en tant qu’Égyptiens, Jordaniens, Syriens et Irakiens. Ils n’avaient ni un commandement unifié ni une vision unifiée. Les Arabes ont porté leur guerre froide en Palestine. Ils menaient une guerre dans une guerre. Toute l’entreprise était vouée à l’échec dès le départ. Pour citer l’historien Eugene Rogan : « Les États arabes sont finalement entrés en guerre pour s’empêcher mutuellement de modifier l’équilibre des forces dans le monde arabe, plutôt que pour sauver la Palestine arabe ».
Aucun des États arabes qui sont entrés en guerre ne souhaitait voir émerger un État palestinien viable sur son flanc. La Jordanie hachémite a travaillé dur pour s’assurer qu’un tel État ne verrait jamais le jour. Il s’agissait d’une grande trahison ourdie en secret.
En novembre 1947, à la veille du plan de partage, le roi Abdallah de Transjordanie rencontre secrètement la dirigeante sioniste Golda Meir pour signer un pacte de non-agression : le roi s’engage à ne pas s’opposer à la création de l’État juif en échange de son annexion de la Cisjordanie.
Trois mois plus tard, en février 1948, les Britanniques donnent leur feu vert au plan secret d’Abdallah. Pas étonnant que la Jordanie soit le seul pays arabe à ne pas s’opposer au plan de partage. Trois mois plus tard, les Britanniques quittent la Palestine, et Israël déclare son indépendance.
Le jour suivant, les Arabes ont déclaré la guerre à Israël, soi-disant pour récupérer la Palestine, mais surtout pour s’affaiblir mutuellement. Lorsque la poussière de la guerre est retombée, la Palestine était perdue.
La Transjordanie, quant à elle, a pu s’emparer de la Cisjordanie et de Jérusalem-Est (avec la bénédiction britannique), tandis que l’Égypte s’emparait de Gaza. Il s’avère que les Hachémites sont entrés en guerre avec deux objectifs : annexer la Cisjordanie et empêcher leur rival acharné, Hadj Amin al-Husseini, le mufti de Jérusalem, de créer un État palestinien viable. Les autres États arabes y sont allés pour contenir la Transjordanie plutôt que pour sauver la Palestine. En fin de compte, les Hachémites l’ont emporté.
Un homme a tout vu venir. Fawzi Qawuqji était le commandant de l’Armée de libération arabe. Alors que l’ALA était une armée de volontaires créée par la Ligue arabe pour contrer l’Armée de la guerre sainte du Mufti, les gouvernements arabes ont empêché des milliers de recrues arabes de rejoindre l’une ou l’autre de ces forces.
Comme beaucoup de ses camarades arabes, Qawuqji a traversé vers la Palestine avec des promesses grandioses de libération. Pourtant, une fois en Palestine, il s’est trouvé aux prises avec la guerre d’usure de l’unité arabe. « Elle était là pour empêcher une guerre entre les États arabes », écrit-il à propos de l’ALA. Au lieu de combattre les sionistes, le commandant arabe devait maintenant se frayer un chemin entre les Hachémites et les nationalistes syriens.
Le climat politique arabe qui a donné naissance à l’ALA a posé un grand dilemme à Qawuqji. Il écrit dans ses mémoires : « Le roi Abdallah était déterminé à réaliser son projet de Grande Syrie par le biais de la Palestine. Cette possibilité, plus que toute autre, inquiétait le gouvernement syrien. Quant à l’Irak, qui enverrait son armée sur le champ de bataille en Palestine en passant par la Transjordanie, comment pourrait-il agir ? Aiderait-il la Jordanie dans la réalisation de ce projet ? »
C’était une préoccupation réelle. Après tout, les Irakiens n’étaient pas disposés à contrarier leurs cousins hachémites pour le bien de la Palestine, ni le Mufti, envers lequel ils nourrissaient une profonde méfiance.
Réfléchissant aux réticences mutuelles qui prévalaient entre les États arabes à la veille de la guerre, Qawuqji s’est amèrement lamenté : « Chaque État arabe craignait son soi-disant État frère. Chacun convoitait le territoire de son frère, et conspirait avec d’autres contre son frère. Telle était la situation dans laquelle se trouvaient les États arabes lorsqu’ils se préparaient à sauver la Palestine, et c’est ce qui les a troublés avant tout. Ce n’est qu’après cela, très loin après cela, qu’est venu le problème de la Palestine elle-même ».
Le choc de la défaite a été biblique. Aucun autre événement de l’histoire arabe moderne n’a été aussi inévitable et pourtant si complètement imprévu.
Pour reprendre les termes de l’intellectuel syrien Constantin Zureiq, qui a inventé le terme « Nakba » dans son livre fondamental The Meaning of the Nakba, il s’agit du « pire désastre qui ait frappé les Arabes dans leur longue histoire ». Il a noté, avec précision : « Sept pays [arabes] partent en guerre pour abolir la partition et vaincre le sionisme, et quittent rapidement la bataille après avoir perdu une grande partie de la terre de Palestine ».
C’était une défaite arabe, mise en scène et orchestrée par les régimes arabes, un désastre auto-infligé pour lequel les Palestiniens ont payé le prix ultime, depuis lors.
En fin de compte, la défaite arabe avait été scellée dès le départ. Comme le grand nationaliste arabe Sati al-Husari le dira plus tard : « Les Arabes ont perdu la Palestine parce que nous étions sept États ».
En fait, il ne s’agissait guère d’États arabes, mais d’États clients, sous des auspices coloniaux. En 1948, l’Égypte, l’Irak et la Jordanie étaient encore sous contrôle britannique. L’armée jordanienne, connue sous le nom de Légion arabe, était dirigée par un officier britannique, John Bagot Glubb, alias Glubb Pacha, dont la loyauté était partagée entre les Hachémites et ses supérieurs britanniques.
Il était crédule d’attendre des Arabes qu’ils libèrent la Palestine alors qu’eux-mêmes n’étaient pas libérés. Comme Gamal Abdel Nasser, le futur président égyptien qui a combattu pendant la guerre, l’a dit plus tard dans ses mémoires : « Nous nous battions en Palestine, mais nos rêves étaient en Égypte ».
Ainsi, les armées arabes qui ont envahi « Israël » n’étaient pas des Goliaths. En fait, il n’y avait pas d’armées arabes, seulement un méli-mélo de groupes paramilitaires non coordonnés, qui étaient mal armés et à peine entraînés, hautement improvisés, largement surpassés en nombre et submergés. L’engagement militaire arabe officiel en Palestine était au mieux timide. Les États arabes naissants, qui étaient encore dominés par d’anciens généraux coloniaux et des dirigeants fantoches, n’avaient pas de véritable combativité en eux.
La guerre de 1948 n’était pas tant une guerre israélo-arabe qu’une guerre arabo-arabe. Pour paraphraser la célèbre phrase de Jean Baudrillard : la guerre de 1948 n’a pas eu lieu. Pendant des décennies, depuis 1948, les États arabes ont imposé aux Palestiniens – en exigeant leur gratitude et leur obéissance – leurs sacrifices en temps de guerre au nom de la Palestine. Mais l’histoire montre que l’engagement arabe en faveur de la Palestine relève largement de la légende.
source : Haaretz
traduit par Fausto Giudice pour Tlaxcala
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Source : Lire l'article complet par Réseau International
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