par Karine Bechet-Golovko.
Le conflit qui se joue actuellement est aussi un conflit pour la redéfinition des zones d’influence et la question de la frontière Ouest de la Russie, qui à travers les siècles a été l’objet de nombreuses guerres, notamment avec la Grande-Bretagne et la France, est à nouveau sur le devant de la scène. L’Estonie, membre de l’UE, est lancée pour justement contester une partie de cette frontière occidentale de la Russie, qui est aussi la frontière orientale de la très atlantique Union européenne. Et cela entraînerait la contestation d’une partie du territoire de la Russie des régions de Léningrad et de Pskov.
Aujourd’hui 3 mai, le Parlement estonien va examiner la question du retrait de sa signature de l’accord avec la Russie de 2014 sur la reconnaissance des frontières terrestres et maritimes. À la chute de l’URSS, la question de la frontière entre l’Estonie et la Russie a été d’une actualité brûlante. En 2005, après 10 ans de négociations, un accord avait été trouvé, mais au moment de la signature, l’Estonie avait voulu inscrire dans le préambule de cet accord une mention renvoyant à la validité du Traité de Tartu de 1920, par lequel, suite à la chute de l’Empire russe, l’Estonie était devenue pour quelques années une République indépendante et avait obtenu certains territoires appartenant aux régions russes de Leningrad et de Pskov. En 1940, l’Estonie étant entrée dans l’URSS, le Traité de Tartu a donc perdu sa validité. Suite à cette revendication, la Russie avait retiré sa signature.
Il avait fallu attendre 2014 pour qu’un nouvel accord voit le jour entre la Russie et l’Estonie et donc fixe une partie de la frontière de l’Union européenne. Or, l’Estonie veut retirer sa signature en renversant totalement la logique historique et en s’appuyant sur « l’occupation soviétique » et le retour de l’indépendance. Rappelons que cette indépendance historique a duré de 1920 à 1940 … Mais le rapport à l’histoire est aujourd’hui, comme pour l’Ukraine, distordu : l’histoire récente compte beaucoup plus que l’histoire ancienne, le rapport au temps s’étant transformé en un rapport instantané, ne permettant pas (ou en devant pas permettre) les racines et ainsi faciliter sa réécriture permanente.
L’on peut ainsi lire en explication/réécriture de cette demande adressée en février au Parlement estonien par un parti d’opposition :
« Après la fin de l’occupation et le rétablissement de l’indépendance, le territoire de l’Estonie et la frontière terrestre de jure, sur la base de la succession, sont restaurés comme prévu dans le traité de paix de Tartu ».
Pourquoi ne pas revenir à la période encore antérieure, celle de l’Empire et revenir dans ces frontières ? Aucun critère objectif ne permet de justifier le choix d’une période plutôt que celui d’une autre. Ce n’est qu’un choix, donc subjectif et dicté par des intérêts, en l’occurrence idéologiques.
Le ministère russe des Affaires étrangères souligne cette position pour le moins « non-constructive » du ministère estonien des Affaires étrangères et justifie le caractère purement historique de ce Traité de Tartu :
« Plus tôt, la mission diplomatique russe en Estonie a attiré l’attention sur la déclaration du ministre estonien des Affaires étrangères E.-M. Liimets et de certains autres responsables estoniens, concernant le traité de paix de Tartu. Cela a été indiqué dans un commentaire publié sur le site de l’ambassade. « Signé le 2 février 1920, il est devenu la base juridique des relations entre la RSFSR et la République d’Estonie pendant deux décennies, jouant un rôle important dans leur reconnaissance internationale. Cependant, l’une de ses parties, à savoir la République d’Estonie, a perdu le statut de sujet de droit international en 1940 en raison de son adhésion à l’URSS. Ainsi, les deux parties, qui ont signé le document, ont fini par constituer un seul sujet de droit international et le traité de paix de Tartu a perdu sa force juridique. Il n’est pas dans le registre des traités internationaux de l’ONU. Actuellement, ce document appartient à l’histoire ».
Mais l’histoire se réécrit en fonction des impératifs du moment et aujourd’hui l’impératif est la remise en cause des frontières russes, la remise en cause de la Russie comme État.
À chaque grande crise du XXe siècle, la Russie a dans un premier temps perdu des territoires, avant de se relever et de s’imposer, avec à chaque fois un changement de régime politique profond. La question qui se pose, si l’histoire se répète, étant de savoir si la Russie est dans la deuxième phase de 1991 et de la chute de l’URSS, c’est-à-dire dans une phase de reconquête, ou si elle entre dans un troisième séisme.
source : Russie Politics
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Source : Lire l'article complet par Réseau International
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