par Luis Basurto.
La position du général de Gaulle concernant la Russie-URSS, cette « Russie éternelle » qu’il reconnaissait dans le grand espace de l’Europe, allant de l’Atlantique à l’Oural, fut centrale dans la réflexion géopolitique des années 40 à 60. L’énonçant en 1942, puis en 1950 et en 1966. Au delà les régimes politiques, refusant toute diabolisation-ostracisation de la Russie.
A- La Russie, puissance d’équilibre… dont la France doit se féliciter ! (Londres, BBC, 20 janvier 1942)
Charles de Gaulle le 20/01/1942 :
« … Mais si, dans l’ordre stratégique, rien ne s’est encore produit de plus fructueux que l’échec infligé à Hitler par Staline sur le front européen de l’Est, dans l’ordre politique l’apparition certaine de la Russie au premier rang des vainqueurs de demain apporte à l’Europe et au monde une garantie d’équilibre dont aucune Puissance n’a, autant que la France, de bonnes raisons de se féliciter … »
Texte intégral :
20 janvier 1942 : de Gaulle dit que l’URSS est une alliée
Dans un discours prononcé à la BBC au cours de l’émission « Les Français parlent aux Français », le 20 janvier 1942, le chef de la France libre évoque l’URSS comme une alliée sûre.
« Il n’est pas un bon Français qui n’acclame la victoire de la Russie.
L’armée allemande, lancée presque entière à l’attaque, depuis juin dernier, d’un bout à l’autre de ce front gigantesque, pourvue d’un matériel énorme, rompue au combat et au succès, renforcée d’auxiliaires enchaînés au destin du Reich par l’ambition ou par la terreur, recule maintenant, décimée par les armes russes, rongée par le froid, la faim, la maladie.
Pour l’Allemagne, la guerre à l’Est, ce n’est plus aujourd’hui que cimetières sous la neige, lamentables trains de blessés, mort subite de généraux. Certes, on ne saurait penser que c’en soit fini de la puissance militaire de l’ennemi. Mais celui-ci vient, sans aucun doute possible, d’essuyer l’un des plus grands échecs que l’Histoire ait enregistrés.
Tandis que chancellent la force et le prestige allemands, on voit monter au zénith l’astre de la puissance russe. Le monde constate que ce peuple de 175 millions d’hommes et digne d’être grand parce qu’il sait combattre, c’est-à-dire souffrir et frapper, qu’il s’est élevé, armé, organisé lui-même et que les pires épreuves n’ébranlent pas sa cohésion. C’est avec enthousiasme que le peuple français salue les succès et l’ascension du peuple russe. Car la libération et la vengeance deviennent de ce coup pour la France de douces probabilités. La mort de chaque soldat allemand tué ou gelé en Russie, la destruction de chaque canon, de chaque avion, de chaque tank allemands, au grand large de Leningrad, de Moscou ou de Sébastopol, donnent à la France une chance de plus de se redresser et de vaincre.
Mais si, dans l’ordre stratégique, rien ne s’est encore produit de plus fructueux que l’échec infligé à Hitler par Staline sur le front européen de l’Est, dans l’ordre politique l’apparition certaine de la Russie au premier rang des vainqueurs de demain apporte à l’Europe et au monde une garantie d’équilibre dont aucune Puissance n’a, autant que la France, de bonnes raisons de se féliciter. Pour le malheur général, trop souvent depuis des siècles l’alliance franco-russe fut empêchée ou contrecarrée par l’intrigue ou l’incompréhension. Elle n’en demeure pas moins une nécessité que l’on voit apparaître à chaque tournant de l’Histoire.
Voilà pourquoi la France qui combat va lier son effort renaissant à l’effort de l’Union soviétique. Il va de soi qu’une telle coopération ne nuira aucunement – bien au contraire – à l’action qu’elle mène en commun avec ses autres alliés. Mais, dans l’année décisive qui vient de s’ouvrir, la France Combattante prouvera sur les champs de bataille actifs et passifs de cette guerre qu’elle est, malgré son malheur provisoire, l’alliée désignée de la Russie nouvelle.
Bien entendu, dans ce domaine, la France n’attend des traîtres et des lâches qui l’ont livrée à l’ennemi rien autre chose que leur fureur. Ces gens-là ne manqueront pas de crier que notre victoire aux côtés de la Russie entraînerait chez nous ce bouleversement social dont ils ont peur par-dessus tout. La nation française méprise cette insulte supplémentaire. Elle se connaît assez bien pour savoir que le choix de son propre régime ne sera jamais que sa propre affaire. Et, d’ailleurs, elle n’a payé que trop cher l’alliance honteuse des privilèges et l’internationale des Académies. La France qui souffre est avec la Russie qui souffre. La France qui combat est avec la Russie qui combat. La France, sombrée au désespoir, est avec la Russie qui sut remonter des ténèbres de l’abîme jusqu’au soleil de la grandeur ».
• http://lhistoireenrafale.lunion.fr/2016/01/19/20-janvier-1942-de-gaulle-dit-que-lurss-est-une-alliee
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B- L’Europe de l’Atlantique à l’Oural
« … sa formule préférée consistait à le faire partir [l’Europe, le continent] de l’Atlantique pour le projeter jusqu’à l’Oural. L’expression fut prononcée dès 1950, elle retint l’attention, et de Gaulle la répéta en public une bonne quinzaine de fois.
… En revanche, il croyait en une relation singulière de la France et de la ‘Russie éternelle’. »
Texte intégral :
« De l’Atlantique à l’Oural » : pour marquer que l’Europe était un ensemble déterminé par sa géographie, il est arrivé au général de Gaulle d’utiliser toutes sortes de formules.
Pour marquer que l’Europe était un ensemble déterminé par sa géographie, il est arrivé au général de Gaulle d’utiliser toutes sortes de formules : il a même parlé une fois d’un continent qui allait de l’Islande à Istanbul. Mais sa formule préférée consistait à le faire partir de l’Atlantique pour le projeter jusqu’à l’Oural. L’expression fut prononcée dès 1950, elle retint l’attention, et de Gaulle la répéta en public une bonne quinzaine de fois.
Le magicien du verbe n’entra d’ailleurs jamais dans le détail de ce que la formule recouvrait précisément.
En revanche, il croyait en une relation singulière de la France et de la « Russie éternelle ». Comme, d’ailleurs, en une relation particulière avec l’Allemagne – sauf qu’avec la Russie, malgré les campagnes de Napoléon Ier et de Napoléon III, nous n’entretenions aucun vrai grief. Nos intérêts pouvaient même souvent coïncider. Aussi, au nom de l’histoire et de la géographie, la Vème République mit-elle en œuvre une politique « de détente, d’entente et de coopération ».
Aujourd’hui que revient le refrain de l’Atlantique et de l’Oural, il importe néanmoins de souligner que la politique gaullienne ne signifiait nullement fascination pour le régime alors au pouvoir à Moscou. Au contraire, l’espoir formulé était que disparut à terme le régime que la Russie s’imposait à elle-même et imposait à l’Europe de l’Est, dont on souhaitait qu’elle rejoigne l’Europe de l’Ouest. D’ailleurs, au total, sous de Gaulle, les années de difficultés avec Moscou furent nombreuses et, après l’occupation soviétique de la Tchécoslovaquie, le règne s’acheva sous le signe du refroidissement. En tout cas, on ne voit pas que le général ait jamais fait applaudir en meeting les dirigeants de Moscou.
Les invités Gaël-Georges Moullec, Historien
Les références
• Pour une Europe de l’Atlantique à l’Oural – Les relations franco-soviétiques (1956-1974) écrit par Gaël-Georges Moullec( Paris – Max Chaleil)
• De Gaulle et la Russie écrit par Maurice Vaïsse(Editions CNRS)
• De Gaulle et la diplomatie par l’image(Editions Ina)
• https://www.franceinter.fr/la-marche-de-l-histoire-29-mars-2017
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Source : Lire l'article complet par Réseau International
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