La campagne électorale en cours impose une analyse qui intéressera en particulier les militants écologistes sincères, autant que tous ceux qui se réclament de la lutte anti-impérialiste, anti-guerre et euro-critique : voter pour le micro-candidat EELV Jadot, c’est refuser clairement qu’un programme écologique, celui de l’Union Populaire défendu par Jean-Luc Mélenchon, passe le cap du second tour et soit donc potentiellement appliqué. C’est voler objectivement au secours du « fascisme en marche », version Le Pen et du candidat « En Marche » vers le fascisme Macron, dans leur duo concerté et planifié de longue date pour la présidentielle. C’est, enfin, pour Jadot, démontrer par l’acte concret, celui du vote, que les discours sur le climat, l’agriculture saine et la biodiversité sont pour eux de creuses utopies, tout juste utiles à rhabiller une nouvelle sociale-démocratie sur les cendres socialiste, jamais à changer le cours des choses dans le réel. Un peu comme le discours « social » pour le Parti Socialiste des années Mitterrand aux années Hollande.
Le bulletin de vote Jadot n’est bien souvent qu’un acte irrationnel de haine « anti-Mélenchon » dicté par un patient travail de propagande politicomédiatique, voire un acte, irresponsable et coupé des aspirations populaires, dicté par l’esprit de chapelle pour la tristement célèbre « lutte des places » à quelques mois des élections législatives, à la faveur d’une coupable sous-estimation de la menace fasciste et de la prolongation ultra-libérale du règne Macron, dont seul le peuple paiera le prix.
Mais il ne suffit pas de démasquer aux yeux de ceux qui y croyaient encore le parti EELV. Il faut encore bien identifier en quoi la planification écologique de l’Union Populaire est le seul programme véritablement « écologiste » en lice dans la campagne en cours. Mieux, c’est en soi, la planification d’une véritable indépendance nationale énergétique et alimentaire sans lesquelles aucune lutte anti-impérialiste, aucune souveraineté nationale, y compris contre Bruxelles n’est possible (quoique pensent de l’UE les militants LFI eux-mêmes d’ailleurs).
La question du nucléaire
On a longtemps glosé sur la « bifurcation écologique » prônée par Jean-Luc Mélenchon, qui, par une « sortie du nucléaire » mettrait l’indépendance énergétique de la France en péril. Or il faut être clair sur cette question : la défense du nucléaire français est maintenant bien connue et surgit de la gauche comme de la droite, voire des partis fascistes. Elle consiste à préférer le nucléaire à toute autre alternative énergétique, au nom des résultats déjà acquis par la France, et ce quelqu’en soient les risques sanitaires et environnementaux. Oui : c’est une énergie « propre », sans carbone, et oui, elle assure actuellement l’indépendance énergétique de la France, même si c’est une position de courte vue.
Mais l’attitude « anti-nucléaire » se décline en deux positions qu’on pourrait dire antagonistes. Celles que tiennent l’un contre l’autre l’Union Populaire et EELV, à quelques nuances près. Chez ces derniers, sortir du nucléaire passe par le développement d’énergies alternatives à peu de frais, éoliennes, panneaux solaires, dans le cadre d’une « décroissance » qu’on sait funeste pour tous, même déguisée sous les traits de « l’austérité heureuse ». N’importe quel capital privé peut se « verdir » en construisant de maigrelettes éoliennes sans aucun soucis de leur viabilité et de leur productivité énergétique. C’est le propre du capitalisme, vert ou non, de construire des stratégies lucratives de court-terme, avant qu’on se rende compte que ça ne marche pas, totalement à l’opposé d’une véritable planification étatique. Dans cette veine, on valorise toujours l’éolien et le solaire allemand, sans nucléaire, en oubliant que l’Allemagne est une immense consommatrice d’énergies fossiles (locales et importées). Il ne faut pas diaboliser l’éolien ou le solaire non plus : la diversification énergétique, sur des ressources locales, imposée à Cuba par le blocus est un des gages de sa souveraineté actuelle… faute de mieux.
C’est contre une telle vision « naïve », celle d’EELV, que des voix, à gauche, défendent à l’exact opposé, le maintien du nucléaire français, oubliant un peu vite, au-delà des pollutions collatérales et des risques massifs qu’il induit, que l’exploitation de l’uranium est un des aspects majeurs de l’impérialisme français et de la Françafric, avec AREVA. Le sous-sol français ne contient pas d’uranium, chacun le sait.
La planification écologique de Jean-Luc Mélenchon est d’une tout autre nature : elle acte que les risques planant sur les populations priment sur toute autre considération, justifiant, non pas un arrêt brutal de la production nucléaire, mais une sortie industriellement organisée, parce que la France, pays riche, en a les moyens. Cette sortie progressive est compensée par des grands chantiers d’Etat, centrés sur l’immense énergie de la mer l’hydrolien, technologie de production massive d’énergie tout à fait sérieuse scientifiquement, compte-tenu de la géographie locale et de l’ingénierie française. Comme le ministre communiste Marcel Paul l’avait déjà impulsé dans l’immédiat après-guerre avec les chantiers des barrages hydroélectriques, autre technologie de production massive, propre, souveraine et non intermittente d’énergie électrique, le développement de l’hydrolien est une bifurcation concrète, moderne, faisable, souveraine, non-décroissante, de la politique énergétique française, une bifurcation qui ne rompt pas avec la ligne d’indépendance nationale. Ligne qui est l’exacte opposé à celle, pro-européenne écheuvelée, de Jadot et EELV (comme le rappelle le premier « E » de son nom).
La proposition de Jean-Luc Mélenchon est donc alternative, anti-impérialiste – il faut le souligner–, souveraine et tournée vers l’avenir et le travail industriel. Le terme « planification » n’a ici rien d’anodin : il révèle que le capitalisme ne peut que nous conduire dans le mur avec ou sans (capitalisme vert) le nucléaire, et que seul l’Etat peut financer à la juste hauteur d’immense travaux de restructuration industrielle. Même dans la fuite en avant du nucléaire macroniste, ce dernier, conscient qu’aucune impulsion de nouveaux chantiers coûteux de centrales à l’uranium, ne saurait se passer, a-t-il annoncé, d’une renationalisation d’EDF ! Aucun capital privé, assoiffé de profit maximal et immédiat, ne financera les chantiers trop coûteux de nouvelles centrales nucléaires, ou de nouvelles centrales à hydroliennes, ou de nouveaux barrages hydroélectriques.
Ajoutons que la « sortie du nucléaire en France » ne suppose pas forcément qu’on soit « anti-nucléaire ». Les chinois le démontrent depuis des décennies, en finançant presque seuls désormais le coûteux projet international ITER pour une fusion nucléaire, propre, massive, non impérialiste, et en développant chez eux le nucléaire à « sels dissous » (thorium largement disponible plutôt qu’uranium nécessitant le pillage de sous-sols étrangers), mille fois moins polluant, plus sûr (autoextinction du système en cas de surchauffe). L’important est de savoir comment on peut sortir du nucléaire à l’uranium (tant chéri par le lobby militaro-industriel pour ses sous-produits au plutonium dans l’armement, lobby qui interdit obstinément la recherche française sur le nucléaire au thorium ne laissant pas de sous-produit exploitable par l’armée) sans perte transitoire de souveraineté énergétique. Mais même cette question ne peut être réglée que par un Etat lui-même souverain.
La question agricole
Là encore, le programme à courte vue du candidat Jadot démasque son incohérence tragique, son caractère anti-écologique. Car pour installer une agriculture saine et durable au service du peuple comme pour garantir son autosuffisance alimentaire, il faut, à la fois se départir du poids de l’agrobusiness européen et étasunien, et développer en tenant compte du terrain, de la géographie locale, des sols existant (à protéger sur le long terme plutôt qu’à détruire par les pesticides) richesse nationale fondamentale, une agriculture nationale adaptée, saine, durable, indépendante, diversifiée (et non axée sur l’exportation exclusive de céréales).
Rester inféodé aux traités européens, c’est tuer dans l’œuf toute velléité de production agricole souveraine. Or l’agroécologie, comme nous l’enseignent nos camarades cubains depuis des décennies, ne naît pas de vagues romances sur la « beauté de la nature », mais sur la base d’une indispensable souveraineté alimentaire. Elle sauve à la fois les peuples du joug impérialiste (y compris de celui de son propre impérialisme, pour le peuple français) et l’environnement – qui conditionne nos vie et avec lequel il faut construire une « harmonie » active, comme nous y invitent par exemple les plans chinois- du court-termisme assassin du capital.
Sur la question agricole comme sur la question énergétique, le ligne véritablement « écologique » est forcément anti-impérialiste et sociale. A contrario, dans le contexte de la conflagration impérialiste imminente, inaugurée par la guerre russo-ukrainienne, attisée par l’OTAN, les EU et l’UE pour des raisons géostratégiques mais aussi directement financières et intéressées, tous les peuples, et d’abord ceux des semi-colonies soumises à la chaîne impérialiste occidentale, comprennent que la « mondialisation » n’offre aucune prospérité mais au contraire une gigantesque dépendance alimentaire, au moins aussi fondamentale que la dépendance énergétique. Les Français ne peuvent s’en rendre compte directement parce que l’agriculture française, intensifiée à l’extrême, est fondamentalement exportatrice et dominatrice. Pas encore ici de pénuries alimentaires en vue, ou de famines comme cela s’annonce en Afrique par exemple ces mois-ci.
L’exemple d’un pays comme la Tunisie est beaucoup plus significatif pour mettre cette contradiction en évidence. La Tunisie est un grenier à blé pour l’Europe depuis l’empire romain, et produit encore aujourd’hui massivement des céréales, et notamment du blé. Un blé endémique, le « blé Karim », prisé pour ses qualités nutritionnelles et son adaptation au terrain et au climat. Or toute cette production est destinée à l’exportation sous contrainte, pendant que la totalité du blé servant à nourrir le peuple tunisien vient d’Europe. Jusqu’au début du vingt-et-unième siècle, la Tunisie était exclusivement sous dépendance française pour l’importation de blé, puis une diversification a permis jusqu’à un certain point de s’approvisionner auprès de la Russie et de l’Ukraine notamment. Pour autant, en cas de guerre, le cours du blé s’imposera à tout pays dépendant et, si le prix du pain est fixé (compensé par l’Etat) en Tunisie depuis longtemps pour tenter d’éviter les « révoltes du pain », on observe aujourd’hui, et c’est nouveau, que le poids de la baguette baisse (puisqu’on ne touche pas au prix).
L’angoisse est forte, dans un pays, comme tant d’autres, où le souvenir des révoltes de la faim est encore dans toutes les têtes. L’un des acteurs essentiels de la dépendance néocoloniale du pays est la France (l’ALECA, accord de libre échange complet et approfondi, avec un volet agricole dominant), dans le cadre impérialiste de l’Union Européenne, tant chérie par les EELV.
Non seulement la guerre est, on le sait depuis Lénine, la conséquence directe des contradictions de l’impérialisme agonisant, stade suprême du capitalisme (impérialisme qui cherche, dans sa crise structurelle, à écraser le développement de puissances comme la Chine ou la Russie), guerre que la « mondialisation » n’a jamais stoppée (et qu’elle a au contraire encouragée), mais la dépendance alimentaire ou énergétique des pays semi-colonisés du Sud induit forcément le développement d’énergies alternatives locales et de l’agroécologie durable, garantie d’autosuffisance alimentaire pour les peuples. Sur ces deux questions, l’Union Populaire de Jean-Luc Mélenchon est conséquente et visionnaire, moyennant sans doute des critiques de classe bien sûr, sur les voies et moyens de la « bifurcation » à engager, pendant que les EELV participent dans les faits au camp belliciste et impérialiste des zélateurs de l’Union Européenne et de l’OTAN.
Réciproquement, et c’est peut être le plus important, pour répondre aux forces progressistes qui critiquent le « zèle écologiste » de la France Insoumise, la planification écologique représente concrètement les bases matérielles incontournables d’une véritable indépendance nationale et populaire, sans lesquelles aucune sortie de l’Union Européenne et de l’OTAN n’est possible au-delà de décrets formels et inapplicables, et ce même si les aspirations à en sortir (claires pour l’OTAN) sont encore légères, inavouées, ou largement insuffisantes concernant l’Union Européenne, à l’heure où le « plan B » de la France Insoumise 2017 de sortie de l’UE n’est en effet plus explicite.
La planification écologique est la trajectoire obligée d’une possible sortie de l’UE, quoiqu’en pense la FI elle-même, tout comme l’agroécologie fut dans les années 2000 la seule politique de survie face au blocus des États-Unis à Cuba, pionnière de l’écologie réelle (jamais saluée par EELV bien sûr) quoique sans l’avoir jamais clamé sur tous les toits.
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