Féminisme et transsexualisme : origines religieuses et mystiques – La femme dans la Torah et le transgenre dans la Kabbale

Féminisme et transsexualisme : origines religieuses et mystiques – La femme dans la Torah et le transgenre dans la Kabbale

Féminisme et transsexualisme : origines religieuses et mystiques
Partie II : La femme dans la Torah et le transgenre dans la Kabbale

Un article de Youssef Hindi en exclusivité pour le site E&R

Sommaire

La femme dans le judaïsme, de la Torah à la Kabbale

– La création d’Ève dans la Torah

– La femme porte la responsabilité du premier péché

– Messianisme, libération de la femme et dépravation

Féminité et transsexualisme dans la Kabbale

– Les kabbalistes spéculent sur le genre de la divinité

– Les origines platoniciennes et kabbalistiques de la théorie du genre

– Théorie du genre et homosexualité dans la Kabbale

– Considérations eschatologiques en conclusion

*

Le mois dernier nous publiions la première partie de cette étude, qui présentait les principaux mouvements et idéologies LGBT du XIXe siècle à nos jours. Cette seconde partie traitera exclusivement de la généalogie religieuse et mystique du féminisme et du transsexualisme.

Nous commencerons par le commencement, le récit de la création d’Éve et le statut de la femme dans la Torah. Ce qui causera la naissance du féminisme juif comme nous l’avons expliqué dans la première partie ; féminisme juif né en réaction à la misogynie extrême du judaïsme.

Ensuite nous retracerons la généalogie de ce que nous considérons être à l’origine de la théorie du genre, à savoir la mystique juive, la Kabbale, fortement influencée, de ce point de vue, par le platonisme.

La femme dans le judaïsme, de la Torah à la Kabbale

La création d’Ève dans la Torah

Dans la Genèse, le premier livre de la Torah, il existe deux versions de la création. La première version est élohiste, où Dieu est appelé « Élohim » (אֱלֹהִים), et la seconde version yahviste, où le nom de la divinité est « Yahvé » (יְהוָה) [1].

Dans la première version de la création, la version élohiste, il est écrit que Dieu a créé l’homme et la femme en même temps, après avoir créé les plantes et les animaux :

« Élohim (Dieu) créa l’homme à son image ; c’est à l’image de Élohim (Dieu) qu’il le créa. Mâle et femelle furent créés à la fois. » (Genèse, 1:27)

Mais dans la deuxième version, la version yahviste, de la création (qui commence en Genèse, 2:4), il est écrit que Yahvé créa l’homme (Genèse, 2:7), puis les plantes (Genèse, 2:8-9), et afin que l’homme ne soit pas seul, il créa les animaux (Genèse, 2:18-19). Et finalement, Yahvé créa la femme d’une côte (ou d’un côté, selon les interprétations) de l’homme, car parmi les animaux « il ne trouva pas de compagne qui lui fût assortie » :

« L’homme imposa des noms à tous les animaux qui paraissent, aux oiseaux du ciel, à toutes les bêtes sauvages ; mais pour lui-même, il ne trouva pas de compagne qui lui fût assortie.

Yahvé fit peser une torpeur sur l’homme, qui s’endormit ; il prit une de ses côtes, et forma un tissu de chair à la place. Yahvé organisa en une femme la côte qu’il avait prise à l’homme, et il la présenta à l’homme. » (Genèse, 2:20-21)

Dans la version yahviste de la création, la femme n’est donc créée qu’après les plantes et les animaux, car l’homme n’aurait pas trouvé de compagne parmi ces derniers…

La femme porte la responsabilité du premier péché

Selon la Torah, la femme est la première pécheresse, c’est elle qui a provoqué la chute d’Adam en le poussant à commettre ce péché. Dieu leur avait interdit de manger les fruits de l’arbre au milieu du jardin, mais la femme fut facilement tentée par le serpent ; elle mangea du fruit de l’arbre et incita l’homme à faire de même :

« La femme jugea que l’arbre était bon comme nourriture, qu’il était attrayant à la vue et précieux pour l’intelligence ; elle cueillit de son fruit et en mangea, puis en donna à son époux, et il mangea. » (Genèse, 3:6)

Lorsque Dieu demanda à Adam pourquoi il avait mangé de cet arbre, Adam lui répondit :

« La femme que tu m’as associée, c’est elle qui m’a donné du fruit de l’arbre, et j’ai mangé. » (Genèse, 3:12)

Et la Torah énumère les punitions qui frappent plus la femme que l’homme :

« À la femme il dit : « J’aggraverai tes labeurs et ta grossesse ; tu enfanteras dans la douleur ; la passion t’attirera vers ton époux ; et lui te dominera. »

Et à l’homme il dit : « Parce que tu as cédé à la voix de ton épouse, et que tu as mangé de l’arbre dont je t’avais enjoint de ne pas manger, maudite est la terre à cause de toi : c’est avec effort que tu en tireras ta nourriture, tant que tu vivras ». » (Genèse, 3:16-17)

La femme, première responsable, a plusieurs punitions, l’homme une seule.
Quant aux droits de la femme, il faut examiner minutieusement la Torah pour les trouver. Par exemple, dans la loi torahique la fille n’hérite de rien, à moins qu’elle n’ait pas de frère :

« Si un homme meurt sans laisser de fils, vous ferez passer son héritage à sa fille. » (Les Nombres, 27:8)

Nous avons constaté, dans la première partie, que le Talmud n’a guère élevé le statut de la femme et ne lui a pas octroyé de droits religieux supplémentaires. « La femme apparaît comme un degré intermédiaire entre l’humain et l’animal ou entre l’homme libre et l’esclave ou entre le majeur et le mineur. » [2]

Messianisme, libération de la femme et dépravation

Dans la littérature talmudique, on se questionne sur le statut de la Torah aux temps messianiques : la Torah du Messie, en cette époque de renouveau et de liberté qui accompagnera sa venue, impliquerait-elle l’abolition pure et simple de la loi ou le perfectionnement de la loi dont seul le Messie connaît la signification et qu’il est capable d’expliquer ? [3]

Cette réflexion se poursuivra jusqu’à conclure que la loi n’est plus nécessaire dans une ère où le « mauvais penchant » (yetser hara) a disparu ; si le mal n’est plus, les haies construites par la Torah et la Halakha n’ont plus, elles aussi, lieu d’être.

Les mouvements antinomistes (contre la loi) les plus extrêmes, sabbatéen (XVIIe siècle) et frankiste (XVIIIe siècle), iront jusqu’à considérer que la nouvelle Torah consiste à violer systématiquement les lois de « l’ancienne ». Une conception liée au fameux concept de « rédemption par le péché » : une vision de l’histoire fondée sur l’idée que Satan (aussi appelé Samael dans la Kabbale) se repentirait lui-même et serait à la fin des temps transformé en ange de pureté.

Ainsi, selon les kabbalistes défendant la thèse de la rédemption de Satan (Samael), le mal serait ou « redeviendrait » le bien. Cette idée de la rédemption de Satan se trouve formulée dans un traité kabbalistique, le Kaf ha-Ketorat, rédigé en 1500 et particulièrement dans les Asarah Ma’amarot du rabbin talmudiste et kabbaliste d’Italie Menahem Azariah Fano (1548-1620), qui fut d’ailleurs un disciple du grand kabbaliste Moïse Cordovero. « Une formulation symbolique importante du futur retour de Samael à la sainteté, particulièrement répandue à partir du XVIIe siècle, fut l’opinion selon laquelle son nom serait changé, la lettre mem, signifiant mort (mavet), tombant pour laisser Sa’el, un des soixante-douze Noms saints de Dieu. » [4]

Ces mouvements antinomistes et messianiques sont aussi une réaction à la loi qui pèse sur le peuple juif, qui est une contrainte extrêmement lourde. Les temps messianiques libèrent les juifs de ce carcan législatif. Ils libèrent les hommes mais également les femmes.

Il n’est donc pas étonnant que l’antinomiste Sabbataï Tsevi (1626-1676), prétendu Messie (qui vivait en Turquie), ait accompagné la violation systématique des lois de la Torah avec la « libération » de la femme, une libération synonyme de dépravation.

Dans la prison doré où il a été placé par les autorités ottomanes, Tsevi et les membres de sa secte se livraient à des actes de débauches collectif – Tsevi eut des rapports à la fois avec des filles (vierges) et des garçons parmi ses disciples – qualifié dans les plaintes déposées auprès des autorités turques comme « des abominations insoutenables commises à la cour du Roi (c’est à dire Sabbataï) ». À cela s’ajoutait d’autres comportements antinomistes comme le piétinement des tefilin (des boîtiers avec des passages bibliques attachés par des lanières de cuir autour du bras et de la tête durant la prière) et des rouleaux de la Torah préalablement déchirés. La femme de Sabbataï Tsevi, Sarah, une souillon notoire, présidait, telle une reine, ces scènes d’orgie sexuelle. Peut-être que Tsevi « fut aussi influencé par sa femme, et ses propres idées ayant trait à l’affranchissement messianique de la femme, libérée du joug de son mari » [5].

Le successeur de Tsevi, l’antinomiste Jacob Frank (1726-1791), né à Korolivka (Podolie, dans l’actuelle Ukraine), prétendue réincarnation de Sabbataï Tsevi et Messie autoproclamé, s’est adonné, avec ses sectateurs, à des orgies sexuelles et blasphématoires. La veille de son départ pour le baptême à Lvov, pour se convertir faussement au catholicisme, le 14 juillet 1759, Jacob Frank organisa à Iwany une célébration secrète de rite orgiastique (décrit en détail dans un manuscrit frankiste). « Frank et tous les assistants, se dévêtirent complètement, se mirent à genoux, baisèrent la croix et se livrèrent devant elle à un rite effréné de débauche. Des célébrations rituelles de cette sorte, qui tournent en dérision la religion que les sectaires allaient embrasser, furent organisées à plusieurs reprises lorsque Frank fut détenu à Czestochowa, et par la suite à Brünn. » [6]

Devons-nous en supposer que ce sont là les racines du féminisme juif, et plus précisément du féminisme de la deuxième vague qui a lutté pour la « libération sexuelle », et dont les promotrices et les grandes figures, comme nous l’avons vu dans la première partie, sont juives ?

Ce ne serait pas là une supposition hasardeuse. Le féminisme juif, qui est né principalement aux États-Unis, est directement issu du judaïsme réformé. Et ce judaïsme réformé est le produit du sabbato-frankisme :

« Les frankistes de Bohême-Moravie ou d’Autriche qui viennent de familles aisées ne se convertissent pas au christianisme, alors que les frankistes polonais issus des pauvres Shtels ou bourgades, se convertissent et connaissent des ascensions sociales fulgurantes. Les premiers prépareront le terrain au judaïsme réformé, et les seconds à un conservatisme teinté de réforme, mais les deux resteront constamment en parallèle… Les descendants de la famille Brandeis (NDA : Louis Brandeis, 1856-1941, fut juge de la Cour suprême des États-Unis de 1916 à 1939) adhèrent au judaïsme réformé américain, pendant qu’au même moment un Iwaskiewicz devient écrivain célèbre en Pologne, où il prône un catholicisme plus ouvert et plus tolérant. Les deux sont frankistes et représentatifs des deux religions. À ceci, nous pouvons inclure également les sabbataïstes devenus musulmans (NDA : ils suivirent l’exemple de leur maître, Sabbataï Tsevi, qui s’est faussement converti à l’islam) de l’Empire ottoman, qui rentrent dans la franc-maçonnerie et préparent le terrain à la laïcité turque…

Des États-Unis, en passant par la France, la Grande-Bretagne, la Pologne, voire l’Allemagne, le frankisme et ses adhérents, convertis ou non convertis, se sont répartis aux quatre coins du monde. » [7]

Féminité et transsexualisme dans la Kabbale

Le judaïsme antique a évolué au milieu des religions cananéenne, égyptienne, arabe et mésopotamienne… Leurs panthéons étaient composées de divinités qui ont voyagé, d’une région à l’autre, d’une religion à l’autre. Les Hébreux ont ainsi adopté certaines divinités et croyances païennes. Par exemple, la déesse mésopotamienne Ishtar fut adorée par les Hébreux sous le nom d’Ashérah [8], laquelle devint la parèdre (compagne) de Yahvé [9].

Dans le livre du prophète Osée, qui vivait dans le royaume d’Israël au VIIIe siècle av. J.-C., on retrouve une description des temps messianiques, un monde utopique, pacifié, accompagné de l’union amoureuse entre Yahvé et le peuple d’Israël :

« À cette époque, je ferai un pacte en leur faveur avec les animaux des champs, avec les oiseaux du ciel et les reptiles de la terre ; arcs, épées, tout attirail guerrier, je les briserai dans le pays, et je ferai en sorte que chacun y dormira en paix. Alors, je te fiancerai à moi pour l’éternité ; tu seras ma fiancée par la droiture et la justice, par la tendresse et la bienveillance ; Ma fiancée en toute loyauté, et alors tu connaîtras Yahvé. » (Osée 2, 20-22)

Dans la tradition mystique juive on retrouvera cette idée avec la Shekinah (présence divine), incarnée par le peuple juif qui est la « fiancée de Dieu ».

Les kabbalistes spéculent sur le genre de la divinité

L’anthropomorphisme de la Bible hébraïque, concevant Yahvé avec un corps, sera la cause d’aberrations théologiques comme le Chi’our Qomah (mesure du corps de la divinité) à laquelle vont s’adonner les « gnostiques juifs » entre le Ier et le IIIe siècle de l’ère commune [10]. Car s’il « créa l’homme à son image », cela implique que la divinité, dans la conception juive, aurait un corps et qu’il serait « genré ». En conséquence, les kabbalistes vont spéculer sur le genre de la divinité.

En effet, dans la tradition kabbalistique, l’on trouve l’idée que « le corps humain en général, à l’image du corps divin, comprend « sept » formes qui correspondent à ses membres principaux, or l’une d’elle est la femme considérée comme l’un de ses côtés. Il est remarquable que la femme soit conçue comme l’une des sept formes constitutives du corps divin et humain, au même titre que sa tête ou que ses jambes. Le féminin est intrinsèquement partie intégrante de la plénitude cosmo-divino-humaine, il constitue, en étant lié au masculin, l’identité substantielle de tout être, quel que soit son rang dans la hiérarchie universelle. Partant de ces prémices, il n’est pas surprenant que le mariage et l’accouplement aient été considérés par les kabbalistes postérieurs comme une façon de reconstituer l’homme bisexuel dans sa plénitude d’avant sa venue au monde où il a été coupé en deux parties disjointes. Ainsi, un texte important de R. Joseph Gikatila (1248-1325), kabbaliste castillan et commentateur de Maïmonide, son petit opuscule sur le Secret du mariage de David et Bethsabée, va nous montrer comment la « chair une » du verset de la Genèse (2:24) se rapporte tout d’abord à la nature de l’âme » [11].

Cette théologie de l’androgynie s’installera durablement dans la tradition kabbalistique et au-delà. On la retrouvera dans les milieux féministes du judaïsme réformé.

En 1976, Rita Gross, universitaire juive américaine, publie un article titré « Female God Language in a Jewish Context » (Davka Magazine 17), en français « Le langage féminin de Dieu dans un contexte juif » [12].

La femme rabbin Rebecca Albert, faisant partie du judaïsme reconstructionniste écrit ainsi :

« L’expérience de prier avec le Siddour Nashim [le premier livre de prière du sabbat se référant à Dieu en utilisant des pronoms et des images féminins]…. a transformé ma relation avec Dieu. Pour la première fois, j’ai compris ce que signifie être fait à l’image de Dieu. Penser à Dieu comme à une femme comme moi, La voir à la fois puissante et nourricière, L’imaginer avec le corps d’une femme, un utérus, des seins – ce fut une expérience d’une importance capitale. Était-ce là la relation que les hommes ont eue avec Dieu pendant tous ces millénaires ? C’est merveilleux d’avoir accès à ces sentiments et à ces perceptions. » (Reform Judaism, hiver 1991)

En 1990 la femme rabbin Margaret Wenig écrit un sermon, « Dieu est une Femme et elle est en train de vieillir », celui-ci a été publié en 2011 dix fois (trois fois en allemand) et prêché par des rabbins allant de l’Australie à la Californie [13].

Une autre femme rabbin, Paula Reimers, commente :

« Ceux qui disent « Elle » pour parler de Dieu veulent affirmer la féminité et l’aspect féminin de la divinité. Ils le font en mettant l’accent sur ce qui distingue le plus clairement l’expérience féminine de l’expérience masculine. Une divinité masculine ou féminine peut créer par la parole ou par l’action, mais la métaphore de la création qui est uniquement féminine est la naissance. Une fois que Dieu est appelé femme, la métaphore de la naissance et l’identification de la divinité avec la nature et ses processus deviennent donc inévitables. » (« Féminisme, Judaïsme, et Dieu la Mère », Judaïsme massorti 46, 1993)

Les spéculations kabbalistiques sur le genre divin ont été influencées par le platonisme au Moyen Âge, et ont eu par la suite une répercussion sur la vision sexuelle de l’âme humaine. « L’Un (et donc la divinité) a été très tôt perçu, dans l’histoire de la kabbale, telle une matrice comportant deux puissances dont la différenciation et les déterminations se disent en termes de polarités sexuelles. L’Homme, pour les kabbalistes, a été créé à l’image du Dieu Un, ce qui implique à leurs yeux qu’il ait été formé au départ comme cet être Un, en tant qu’il réunit en lui les forces masculines et féminines. » [14]

Les origines platoniciennes et kabbalistiques de la théorie du genre

Le traité kabbalistique Sefer Ha-Bahir (fin du XIIe siècle) « recèle l’idée que le masculin et le féminin peuvent coexister dans une même entité » [15].

Le Zohar, l’un des livres les plus importants de la Kabbale, rédigé à la fin du XIIIe siècle, est imprégné de ce transsexualisme. Voici un extrait du Zohar où l’auteur, un kabbaliste d’Espagne, livre une interprétation transsexuelle du passage sur la création de l’homme dans le premier livre de la Torah, la Genèse :

« « Faisons l’homme à notre image et à notre ressemblance » (Gen. I:26). « Faisons l’homme » en tant qu’association du principe mâle et femelle. « À notre image », riche ; « à notre ressemblance », pauvre. Du côté Mâle, il est riche, du côté Femelle, il est pauvre. De même que le Mâle et la Femelle sont des associés unis, que l’un se soucie de l’autre, que l’un donne à l’autre et le comble de bien, ainsi doivent être les hommes ici-bas, le riche et le pauvre joints ensemble, se donnant l’un à l’autre et se comblant de biens. » (Zohar, I, 13b)

Les chercheurs ont relevé l’influence platonicienne et du mythe de l’androgyne exercée sur le Zohar en particulier et la Kabbale en général. Charles Mopsik, spécialiste de la Kabbale, souligne que ce passage du Zohar est un décalque du mythe de la naissance d’Éros tel quel, proposé par Diotime dans Le Banquet de Platon. Et le professeur de philosophie Jean Libis remarque que ce passage platonicien du Zohar rappelle le récit mythique de l’union de Poros et Pénia (parents d’Éros) [16].

Ce type de discours que l’on retrouve chez les kabbalistes depuis le XIIe siècle, « qui doit évidemment beaucoup au mythe d’Aristophane dans Le Banquet de Platon, sans pourtant s’y réduire totalement, recèle les germes d’un ébranlement de la séparation tranchée entre un sexe masculin et un sexe féminin » [17].

Théorie du genre et homosexualité dans la Kabbale

La théorie du genre est directement liée à l’homosexualité. D’ailleurs, comme nous l’avons vu dans la première partie, nombre de théoriciens du genre et militants LGBT sont homosexuels, bisexuels ou transsexuels.

Au début du XVIIIe siècle, le rabbin Jacob Koppel de Pologne avance dans un texte l’idée de coprésence des « principes sexuels » dans chaque individu. D’après lui, « le masculin est attiré par le masculin, le féminin par le féminin, et non l’inverse. C’est parce que l’homme comporte en lui l’élément féminin que son désir va être orienté vers la femme, il en va de même de l’autre sexe. Sans doute, l’antique maxime d’origine grecque, selon laquelle chaque espèce est attirée par ce qui lui est semblable, se trouve à l’arrière plan de son développement ».

Cette maxime se rencontrait déjà dans le Zohar, par exemple dans I, 137b : « Chaque espèce aime son espèce, chaque genre est attiré par le même genre. »

Et « sa source rabbinique est sans doute le Talmud de Babylone, Baba Batra 92b », nous dit Charles Mopsik [18].

Un philosophe néoplatonicien du IVe siècle, Proclus, avait attribué cette forme de bisexualité aux dieux : « … chez les dieux, les deux sexes se compénètrent si bien que le même peut être dit mâle et femelle comme le soleil, Hermès et d’autres encore » (Commentaire sur le Timée, I8c).

L’idée contemporaine défendue par la théorie du genre, selon laquelle « on ne naît pas homme ou femme mais on le devient », est déjà présente dans la Kabbale. D’après le Zohar, toute âme est composé à sa source de masculin et de féminin, et ce n’est que lors de leur descente que les âmes se séparent en âmes masculines et âmes féminines [19]. Toutefois, selon la Kabbale, l’âme masculine contient du féminin et inversement.

Le célèbre Gaon de Vilna pose à la fin du XVIIIe siècle comme principe universel : « Mâle et femelle comprennent chacun mâle et femelle. » [20]

« [Selon] un kabbaliste polonais du XVIe siècle, R. Mordekhaï Yaffé, à la différence du désir pour le sexe opposé, le désir pour son propre sexe provient exclusivement de l’âme « naturelle » et ne procède pas de l’aspiration des âmes à se réunir pour reconstituer l’homme complet, à la fois mâle et femelle, qui existait avant la naissance, selon une conception que le Zohar a repris et adapté du mythe platonicien de l’androgyne. Le désir homosexuel est donc strictement « naturel », tandis que le désir hétérosexuel est d’ordre surnaturel et se déploie sur le plan de « l’âme spirituelle ». » [21]

Au XVIe siècle, la kabbale lourianique, fondée par le très influent Isaac Louria, ira plus loin en combinant la réincarnation à la théorie transsexuelle : l’âme d’un homme peut se réincarner dans le corps d’une femme. Ainsi, un homme peut être marié à un homme dans un corps de femme [22]. Cette réincarnation en femme est une punition pour avoir eu des pratiques homosexuelles dans la vie antérieure. Mais cette idée n’est pas si nouvelle, elle aurait été avancée par Ezra de Gérone vers 1225 [23].

Le meilleurs élève d’Isaac Louria, Hayyim Vital, semble être le père théorique de la gestation pour autrui (GPA). En résumé, une âme d’homme dans un corps de femme ne pourra pas tomber enceinte. Mais grâce à une opération mystique appelée ‘ibour (grossesse), une âme de femme peut occuper momentanément le corps de la future mère dont l’âme est celle d’un homme. L’enfant naît alors de trois parents : la mère (qui a une âme mâle ayant eu des pratiques homosexuelles dans sa vie antérieure), le père et la mère invisible. « L’enfant qui naît de leur réunion, le plus souvent une fille, est la femme féminine réintégrée dans un nouveau corps. » [24]

On est donc dans le cas d’un couple homosexuel ayant un enfant grâce à une mère invisible, ce qu’on appelle aujourd’hui une mère porteuse qui donne naissance à un enfant élevé par un couple du même sexe. La mère porteuse est dans la plupart des cas inconnue de l’enfant, une mère invisible.

Les écrits des kabbalistes de Safed (là où est née la kabbale lourianique) au XVIe « ouvrent une certaine possibilité théorique à la reconnaissance religieuse du mariage entre personnes de même sexe, de la multiparentalité, de la coparentalité et de l’homoparentalité. Il suffirait en effet de prolonger le raisonnement de la doctrine lourianique et d’élargir les composantes sociétales et juridiques des conséquences corporelles de la distorsion sexuelle entre le corps et l’âme pour qu’une voie inédite soit frayée », conclut Charles Mopsik [25].

Considérations eschatologiques en conclusion

On peut trouver dans la tradition juive une chose et son contraire. La Bible hébraïque condamne très fermement les pratiques homosexuelles, tout comme le travestissement :

« Une femme ne doit pas porter le costume d’un homme, ni un homme s’habiller d’un vêtement de femme ; car Yahvé, ton Dieu, a en horreur quiconque agit ainsi. » (Deutéronome, 22:5)

Dans l’Empire romain, la première loi qui interdit tout acte homosexuel fut promulguée en 342 sous Constantin II – le christianisme progressait, mais il deviendra la religion officielle cinquante ans plus tard, en 392, sous Théodose Ier.
Cet édit de 342 souligne la confusion entre les sexes qu’entraîne l’acte homosexuel : « Lorsqu’un homme se comporte au lit à la manière d’une femme, que cherche-t-il donc ? Le sexe perd toute sa signification… » [26]

La condamnation de l’homosexualité peut donc bien être interprétée par une volonté d’empêcher la perte de signification de l’identité sexuelle conduisant à la déstabilisation de la société.

L’anthropologue Emmanuel Todd avait d’ailleurs souligné ce problème en 2008 (avant de se coucher devant le mariage pour tous cinq ans plus tard) : « Si le principe d’égalité est associé à une représentation spécifique de l’identité masculine, nous devons aussi admettre que l’émancipation sociale de l’homosexualité ne peut pas non plus être, a priori, interprétée comme un élargissement logique du principe de l’égalité démocratique. L’émergence d’identités sexuelles masculines et féminines diverses contribue à effacer la polarité sexuelle simple qui avait structuré l’émergence du principe d’égalité entre les hommes. » [27]

Lors de son homélie du 6 mars dernier, le patriarche orthodoxe russe, Kirill, a interprété, à raison, la confrontation entre la Russie et l’OTAN en Ukraine, comme étant un affrontement civilisationnel dont l’homosexualité, promue en Occident, est un des enjeux :

« Dans le Donbass, il y a un rejet, un rejet fondamental des soi-disant valeurs qui sont proposées aujourd’hui par ceux qui prétendent au pouvoir mondial. Aujourd’hui, il existe un test de loyauté envers le pouvoir [occidental], une sorte de laissez-passer vers ce monde « heureux », un monde de consommation excessive, un monde de « liberté » apparente. Savez-vous ce qu’est ce test ? Le test est très simple et en même temps terrifiant : il s’agit d’une parade de la gay pride. La demande de nombreux pays d’organiser une gay pride est un test de loyauté envers ce monde très puissant ; et nous savons que si des personnes ou des pays rejettent ces demandes, ils ne font pas partie de ce monde, ils en deviennent des étrangers.

Mais nous savons ce qu’est ce péché, qui est promu par les soi-disant « marches de la fierté » (gay pride). C’est un péché qui est condamné par la Parole de Dieu – tant l’Ancien que le Nouveau Testament. Et Dieu, en condamnant le péché, ne condamne pas le pécheur. Il l’appelle seulement à la repentance, mais ne fait en aucun cas du péché une norme de vie, une variation du comportement humain – respectée et tolérée – par l’homme pécheur et son comportement. Si l’humanité accepte que le péché n’est pas une violation de la loi de Dieu, si l’humanité accepte que le péché est une variation du comportement humain, alors la civilisation humaine s’arrêtera là. Et les gay pride sont censées démontrer que le péché est une variante du comportement humain. C’est pourquoi, pour entrer dans le club de ces pays, il faut organiser une gay pride. Pas pour faire une déclaration politique « nous sommes avec vous », pas pour signer des accords, mais pour organiser une parade de la gay pride. Nous savons comment les gens résistent à ces demandes et comment cette résistance est réprimée par la force. Il s’agit donc d’imposer par la force le péché qui est condamné par la loi de Dieu, c’est-à-dire d’imposer par la force aux gens la négation de Dieu et de sa vérité.

Par conséquent, ce qui se passe aujourd’hui dans la sphère des relations internationales ne relève pas uniquement de la politique. Il s’agit de quelque chose d’autre et de bien plus important que la politique. Il s’agit du Salut de l’homme, de la place qu’il occupera à droite ou à gauche de Dieu le Sauveur, qui vient dans le monde en tant que Juge et Créateur de la création. Beaucoup aujourd’hui, par faiblesse, par bêtise, par ignorance, et le plus souvent parce qu’ils ne veulent pas résister, vont là, du côté gauche. Et tout ce qui a trait à la justification du péché condamné dans la Bible est aujourd’hui le test de notre fidélité au Seigneur, de notre capacité à confesser la foi en notre Sauveur. » [28]

Ce discours eschatologique trace une ligne de démarcation entre la société traditionnelle qui fonctionne depuis la nuit des temps selon la polarité homme/femme, avec la société moderne, où sont promus non seulement l’homosexualité mais aussi le transsexualisme. La société moderne est le lieu de la confusion. Or, la confusion est le propre du diable : la confusion entre le bien et le mal, entre le vrai et le faux, entre le beau et le laid, entre l’homme et la femme, etc.

Dans le film du catholique Mel Gibson La Passion du Christ (2006), Satan est représenté par un être androgyne.

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Le personnage de Satan dans le film La Passion du Christ de Mel Gibson

C’est un thème eschatologique que l’on trouve aussi dans l’islam. Parmi les nombreux signes de la fin des temps énumérés par le prophète Muhammad il y a cette confusion des genres répandue qui est annoncée :

« Les hommes prendront des manières de femmes et les femmes des manières d’hommes. » [29]

« Lorsque les hommes se suffiront des hommes et les femmes des femmes (l’heure sera proche). » [30]

Que l’on soit croyant ou non, force est d’admettre que nous sommes entrés dans l’ère de la guerre eschatologique, opposant le monde des valeurs inversées à celui qui se soumet à l’ordre de Dieu, aux lois naturelles. Et les deux grands groupes de belligérants en sont pleinement conscients.

Youssef Hindi

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À propos de l'auteur Égalité et Réconciliation

« Association trans-courants gauche du travail et droite des valeurs, contre la gauche bobo-libertaire et la droite libérale. »Égalité et Réconciliation (E&R) est une association politique « trans-courants » créée en juin 2007 par Alain Soral. Son objectif est de rassembler les citoyens qui font de la Nation le cadre déterminant de l’action politique et de la politique sociale un fondement de la Fraternité, composante essentielle de l’unité nationale.Nous nous réclamons de « la gauche du travail et de la droite des valeurs » contre le système composé de la gauche bobo-libertaire et de la droite libérale.

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