L’acharnement des Anglais envers les Acadiens

L’acharnement des Anglais envers les Acadiens

Illustration : L’acharné Jeffery Amherst,

commandant en chef des forces britanniques (1758)

Une première version de cet article parut dans le n0 41 de Histoire Ristigouche, bulletin de la Société historique Machault, printemps 2018 (p. 8-9] ainsi que dans Veritas Acadie 7, publiée par la Société internationale Veritas Acadie, automne 2018 (p. 19-21).

André Mathieu, Acadien originaire de Saint-Omer, Québec, est ingénieur en mécanique avec une maîtrise en environnement de l’Université Western Ontario. Ce militant environnementaliste est féru de généalogie et d’histoire, dont la naissance de l’aviation et nul autre que Sir Guy Carleton qui était jadis propriétaire absentéiste du lot 15 (l’actuelle région Évangéline à l’Île-du-Prince-Édouard) avant de devenir lieutenant-gouverneur et administrateur de Québec.


Vous êtes-vous déjà demandé pourquoi les Acadiens ont été harcelés, recherchés, poursuivis, déportés, emprisonnés, etc., après la fin de la guerre entre l’Angleterre et la France ? En effet, la capitulation de Montréal a été signée le 8 septembre 1760, mettant ainsi fin à la guerre, mais ce n’est qu’après le traité de paix conclu à Versailles en 1763 que les misères faites aux Acadiens ont cessé [1].

L’article 39 de Capitulation de Montréal rédigé par Vaudreuil [2] en septembre 1760 précisait que « Aucuns Canadiens, Accadiens et Français de Ceux qui sont présentement en Canada… ne pourront Estre portés, ni Transmigrés dans les colonies Angloises, ni en l’Ancienne Angleterre, Et ils ne pourront Estre recherchés pour avoir pris Les Armes. » Ce à quoi Jeffery Amherst [3] apposait « Accordé sauf à l’égard des Acadiens. » De même, à l’article 55, ainsi rédigé « Quant aux officiers de la Milice, aux miliciens et aux Accadiens qui sont prisonniers à la Nouvelle-Angleterre, Ils seront renvoyés Sur leurs Terres [4] », alors qu’Amherst opposait son véto « Accordé à la réserve de ce qui regarde les Acadiens. » C’est donc dire que les Canadiens et les miliciens et prisonniers étaient libres et pouvaient vivre en paix sur leurs terres, alors que les Acadiens, miliciens et prisonniers continueraient à être capturés et déportés !

Pourquoi ce refus? Il semble qu’Amherst, sans état d’âme, ait simplement appliqué les directives de Londres à l’égard des Acadiens qui précisaient qu’il fallait faire de la place pour les bons colons anglais ! En effet, le vrai motif de la Déportation dont les mesures avaient été mises en branle le 28 juillet 1755 [5] n’était pas le refus des Acadiens de soudainement prêter un serment d’allégeance inconditionnelle au roi d’Angleterre, mais de « s’emparer des biens des Acadiens, terres fertiles, bestiaux, etc., pour les donner à des colons anglais » [6].

C’est d’ailleurs ce qui était annoncé clairement dans la lettre suivante publiée dans la New York Gazette le 9 août 1755 : « Nous formons actuellement le noble et grand projet de chasser de cette province les François neutres qui ont toujours été nos ennemis secrets et ont encouragé nos sauvages à nous couper la gorge. Si nous pouvons réussir à les expulser, cet exploit sera le plus grand qu’aient accompli les Anglais en Amérique, car au dire de tous, dans la partie de la province que ces Français habitent, se trouvent les meilleures terres du monde. Nous pourrions ensuite mettre à leur place de bons fermiers anglais, et nous verrions bientôt une abondance de produits agricoles dans cette province. » [7]

On n’avait pas seulement résolu de déporter les Acadiens, mais aussi « que pour prévenir le retour des habitants français dans la province et les empêcher de molester les colons (de la Nouvelle-Angleterre) qui pourraient s’être établis sur leurs terres, il était urgent de les disperser dans les diverses colonies sur le continent et de noliser immédiatement un nombre de vaisseaux pour les y transporter » [8].

Il n’était pas seulement question de vider la Nouvelle-Écosse des Acadiens, mais encore fallait-il les empêcher de s’enfuir dans les colonies françaises avec leurs bestiaux où ils auraient ajouté leur poids à la démographie française et auraient renforcé la milice canadienne ! Ce critère devenait encore plus important à partir du moment où l’Angleterre a déclaré la guerre à la France le 18 mai 1756, qui débuta le 29 août 1756.

Or, cinq ans après le début du génocide, le succès des campagnes de recrutement de bons fermiers anglais s’avérait minimal. C’est pourquoi il était essentiel de continuer à déporter les Acadiens après la signature de la capitulation en septembre 1760, sinon ceux-ci seraient revenus sur leurs terres et auraient ainsi constitué un obstacle à l’établissement des colons de la Nouvelle-Angleterre.

Une autre raison qui incitait les Anglais à poursuivre la « chasse aux Acadiens » : depuis des années, un certain nombre d’entre eux faisaient de la course en mer en attaquant et capturant des vaisseaux marchands anglais. Non seulement fallait-il que cette situation cesse, mais il fallait aussi punir ces « exécrables Acadiens ». Toutefois, ces derniers semblaient très habiles et évitaient de se faire capturer. Même qu’au moment de la bataille de la Ristigouche et de la capitulation de Montréal, Vaudreuil a fait parvenir des lettres de marque en blanc à Ristigouche destinées à plusieurs pirates acadiens qui, dès lors, se transformèrent en corsaires.

Finalement, ulcérés par les attaques incessantes des corsaires acadiens et pressés par les marchands de la Nouvelle-Angleterre, les Anglais décident d’y mettre fin et d’éliminer ces familles rebelles. Un an plus tard (1761), ils chargent le capitaine Roderick MacKenzie de se rendre dans la région de la baie des Chaleurs afin d’y saisir tous les corsaires et miliciens acadiens et leurs familles. À partir du 29 octobre 1761, ce dernier captura 781 Acadiens, parmi lesquels plusieurs corsaires, qui finiront par être écroués dans la prison de l’île Georges à Halifax.

Ainsi, après avoir vidé la Nouvelle-Écosse du maximum d’Acadiens et accaparé leurs biens, leurs bestiaux et leurs récoltes, les portes de la Nouvelle-Écosse étaient maintenant grandes ouvertes pour accueillir « de bons sujets britanniques (surtout de la Nouvelle-Angleterre) de langue anglaise et de religion protestante ».

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Notes

[1]  Ce n’est qu’en décembre 1764 qu’un groupe de 600 Acadiens ont pu enfin quitter Halifax en direction des Antilles et de la Louisiane.

[2]  Pierre de Rigaud de Cavagnial, marquis de Vaudreuil, officier dans les troupes de la Marine et dernier gouverneur général de la Nouvelle-France, né à Québec le 22 novembre 1698, décédé à Paris le 4 août 1778, Dictionnaire biographique du Canada.

[3]  Jeffery Amherst, commandant en chef des armées britanniques en Amérique, né le 19 janvier 1717 et décédé en Angleterre le 3 août 1797. Dictionnaire biographique du Canada.

[4]  Guy Frégault et Marcel Trudel, Histoire du Canada par les textes (tome 1), Éditions Fides, Ottawa, 1963, p. 112 et 114.

[5]  Selon le procès-verbal du 28 juillet 1755 du Conseil de la Nouvelle-Écosse. À Halifax, en présence de deux amiraux britanniques, Edward Boscawen et Savage Mostyn, il fut agréé qu’il n’y avait à considérer que les mesures à prendre pour la Déportation ainsi que les lieux où distribuer les Acadiens. Car la décision de déporter les Acadiens avait déjà été déterminée d’avance. Donc, ce n’est pas le 28 juillet 1755 que la décision fut prise de déporter les Acadiens, mais bien avant. Ce qu’on lit dans le procès-verbal du 28 juillet 1755 ne pourrait être plus clair : « As it had been before determined to send all the French inhabitants of the Province if they refuse to Take the Oaths, nothing now remained to be considered but what measures should be taken to send them away, and where they should be sent to. » (Thomas B. Akins, Selections from the public documents of the province of Nova Scotia, Halifax, 1869, p. 266-267.) Ce sont ces mesures-là qui furent décidées en collusion avec les amiraux britanniques, ce que Patrimoine canadien observe annuellement le 28 juillet, suite à la Proclamation royale « canadienne » de 2003… Quelle honte !

[6]  Léopold Lanctôt, L’Acadie des origines, 1603-1771, Éditions du libre-échange, 1994, p. 151.

[7]  Cette lettre, attribuée à l’un des lieutenants de Lawrence, John Winslow, est publiée dans la New York Gazette, le 9 août 1755, et dans la Pennsylvania Gazette, le 4 septembre 1755.

[8]  Charles Lawrence, extrait du procès-verbal supra, de la séance tenue chez le lieutenant-gouverneur à Halifax, le lundi 28 juillet 1755, tiré de Léopold Lanctôt, L’Acadie des origines, 1603-1771, op. cit., p. 150.

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