Par Leonid Savin − Le 3 février 2022 − Source Oriental Review
Le 17 janvier 2022, l’OTAN a publié sa politique spatiale. Le document énonce :
Les adversaires potentiels utilisent eux-mêmes de plus en plus l’espace, développant ainsi leur capacité à projeter leur puissance sur de plus longues distances avec une précision, une rapidité et une efficacité accrues. Ils utilisent aussi des capacités spatiales pour suivre les forces de l’OTAN et des pays alliés dans leurs exercices et autres activités. Navigation par satellite et services commerciaux sont utilisés aussi à des fins de planification et de ciblage par des adversaires potentiels, y compris par des acteurs non étatiques. Les capacités actuellement mises au point par les adversaires potentiels pourraient être utilisées contre l’Alliance dans les buts suivants :
- faire peser une menace sur les moyens spatiaux, compromettant ainsi la capacité de l’OTAN de prendre des mesures décisives en cas de crise ou de conflit ;
- priver les Alliés et l’OTAN de leurs capacités spatiales indispensables à la gestion de l’espace de bataille et à la connaissance de la situation et de leur capacité d’agir efficacement en cas de crise ou de conflit, ou affaiblir ces capacités ;
- impacter sur les systèmes spatiaux des Alliés pour porter atteinte à l’économie ou aux activités du quotidien ou les perturber, et violer le principe de la libre utilisation de l’espace, mais sans franchir les seuils que représentent la menace d’un recours à la force, l’usage de la force, et une attaque ou une agression armée.
Le document n’affirme pas qui pourraient être véritablement les adversaires de l’OTAN, mais il ne fait aucun doute qu’il fait référence en premier chef à la Russie, car la Chine est loin derrière. Il ne fait pas non plus mention du fait que la Russie s’est toujours opposée à la militarisation de l’espace, et a proposé d’établir un accord à cet effet.
Selon la nouvelle stratégie, l’approche de l’OTAN dans l’espace va se centrer sur les rôles clés qui suivent :
- intégrer l’espace et les considérations liées à l’espace dans l’exécution des tâches fondamentales de l’OTAN : défense collective, gestion de crise et, le cas échéant, sécurité coopérative ;
- servir de forum de consultations politico-militaires et de partage d’informations sur les développements en rapport avec la dissuasion et la défense dans le milieu spatial, afin d’aider l’Alliance à développer sa connaissance de la situation, à prendre des décisions, à assurer sa disponibilité opérationnelle et à gérer sa posture sur l’ensemble du spectre des conflits. Ces consultations pourraient porter sur les menaces, les défis, les vulnérabilités et les opportunités, et prendre en compte l’élaboration de normes juridiques et de comportement dans d’autres instances ;
- faire en sorte de fournir efficacement un soutien et des moyens spatiaux dans le cadre des opérations, missions et autres activités de l’Alliance ;
- faciliter le développement de la compatibilité et de l’interopérabilité entre les capacités, les services et les produits spatiaux des Alliés.
Il faut considérer l’espace comme une part intégrale de l’approche élargie de l’OTAN en matière de dissuasion et de défense, faisant usage de tous les outils à disposition de l’OTAN pour accorder à l’Alliance une vaste gamme d’options en réponse à toute menace, d’où qu’elle vienne.
Pour parvenir à cet objectif, l’OTAN va :
- [envisager] toute une série d’options sur l’ensemble du spectre des conflits, pour approbation par le Conseil, afin d’assurer la dissuasion et la défense contre toute menace ou attaque dirigée contre les systèmes spatiaux des Alliés, suivant les besoins et dans le droit fil des principes et fondements exposés dans la présente politique ;
- parvenir à une compréhension commune de notions telles que le rôle de l’espace en cas de crise ou de conflit ;
- dans le cadre des efforts visant à renforcer la disponibilité opérationnelle de l’Alliance et sa capacité à opérer de manière décisive dans tous les milieux opérationnels (terre, mer, air et cyber), il conviendra d’examiner dûment le rôle de l’espace en tant qu’élément facilitateur clé pour les milieux opérationnels, ainsi que pour la défense aérienne et antimissile intégrée de l’OTAN, et, pour les Alliés concernés, la dissuasion nucléaire ;
- bien que la résilience et la capacité de survie des systèmes spatiaux des Alliés soient du ressort des pays, l’OTAN examinera comment améliorer la résilience dans l’espace à l’échelle de l’Alliance, notamment en partageant les bonnes pratiques et en exploitant des redondances multiplicatrices de forces dans les capacités spatiales appartenant aux Alliés ;
- [élaborer] des directives concernant la manière d’assurer et de garantir l’accès de l’OTAN aux données, produits, capacités et services spatiaux.
Il est probable que la prochaine étape pour l’OTAN sera la militarisation obligatoire de l’espace. Il est probable que cela sera réalisé en secret, et que nous ne le découvrirons qu’une fois le fait accompli.
L’une des raisons pour laquelle les alliés de l’OTAN n’ont pas voulu jusqu’ici discuter publiquement de sujets en trait à la militarisation et à l’espace est qu’à l’exception de la France et du Royaume-Uni, de nombreux pays européens se sont traditionnellement montrés ou bien très peu à l’aise, ou bien radicalement opposés à l’idée de guerre de l’espace — surtout pour ce qui concerne les actions offensives. De fait, dans un discours prononcé au mois d’août 2019, Jens Stoltenberg, secrétaire général de l’OTAN, a jugé nécessaire de déclarer que la déclaration par l’OTAN de l’espace comme domaine opérationnel allié ne « concernait pas la militarisation de l’espace ».
Il faut donc s’attendre à ce que la France et la Grande-Bretagne se fassent les apôtres d’une stratégie spatiale plus agressive au sein de la branche européenne de l’OTAN. C’est un rôle que peut également endosser l’Allemagne.
La France, au début de l’année 2020, et l’Allemagne, à la fin 2019, ont rallié l’initiative des Opérations Spatiales Combinées, dirigée par les États-Unis. L’initiative avait été lancée par le Pentagone en 2014, pour être reprise par l’US Space Force après sa création. Dans les faits, il s’agissait d’une expansion de la communauté de renseignement des Five Eyes, chose que les médias étasuniens avaient indiqué ouvertement il y a deux ans environ.
Au mois de novembre 2019, l’OTAN a déclaré que l’espace constituait un domaine opérationnel, dans le but d’assurer une approche cohérente à l’intégration de l’espace dans la dissuasion générale et la stratégie de défense de l’OTAN. Et au mois d’octobre 2020, l’OTAN a créé le Centre Spatial de l’OTAN, sur le commandement allié aérien de Ramstein, en Allemagne. L’OTAN établit également un Centre Spatial d’Excellence à Toulouse, en France.
En 2021, la France a dirigé son premier exercice militaire spatial international, avec l’Allemagne, l’Italie et les États-Unis, ce qui a souligné les tentatives de ce pays pour remanier ses armées et opérations en vue de répondre aux menaces du XXIème siècle.
L’exercice met en lumière l’intention du gouvernement français d’atteindre une « orbite » plus élevée, en tant qu’État souverain, afin de pouvoir traiter tout future conflit spatial. Jusqu’à présent, Paris a pris part aux jeux de guerre spatiaux étasuniens.
L’exercice AsterX s’est déroulé à Toulouse du 8 au 12 mars 2021. Le général Michel Friedling, dirigeant du commandement spatial français, l’a qualifié de « test de stress » pour les processus et systèmes spatiaux français. AsterX, un exercice tactique conçu pour entraîner et préparer les combattants de l’espace, a simulé une crise internationale impliquant pas moins de 18 événements et scénarios spatiaux, allant de l’attaque contre un satellite français à des débris spatiaux menaçant les populations civiles, ainsi que des interférences avec des communications satellites alliées.
Ce développement relève des intérêts étasuniens. Après tout, les accusations sur la militarisation de l’espace seront désormais également portées directement contre tous les pays membres de l’OTAN, même si seuls quelques pays poussent activement cet agenda. Et Bruxelles assurera le soudage du groupe, en prétextant qu’il faut améliorer la défense collective, et se protéger contre des adversaires potentiels.
Leonid Savin
Traduit par José Martí, relu par Wayan, pour le Saker Francophone
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