Entretien avec Jean-Marc Vivenza, par Le Baron et Diaphane Polaris, Rébellion, n°78, janvier-février 2017
Rébellion/ Nombre de nos lecteurs vous connaissent de par vos œuvres, fortement inspirées par la branche sonore du mouvement Futuriste, ainsi que pour votre implication au sein de la mouvance musicale « bruitiste-industrielle » au début des années 1980. La suite de votre cheminement peut, pour certains, susciter la surprise voire l’interrogation, s’illustrant par un « revirement de pôle » sur le plan des paysages mentaux en basculant paradoxalement, d’une ébullition techniciste avant-gardiste via les supports sonores, à un intérêt pour les ordres hermétiques et la mystique qui en découle. En bref, constateriez-vous la présence de vortex métaphysique entre « Futurisme » et « Tradition » ?
L’aspect
techniciste-industriel, qui caractérise la forme de mon intervention
sonore-bruitiste de la période allant, globalement, de 1976 à 1994,
avec son esthétique spécifique (univers mécanique, industries,
usines, forges, sidérurgies, etc.), se fondait sur une revendication
de l’héritage théorique du Futurisme, et en particulier sur les
thèses de Luigi Russolo (1885-1947), publiées en tant que
« Manifeste
de l’Art des bruits »
(1913), texte dans lequel était proposée une invitation à la mise
en œuvre d’une phénoménologie concrète du son qui aurait
dorénavant à porter son attention sur les bruits réels de la vie
générés par le mode de production techno-industriel.
Cette conception artistique « futuriste-bruitiste », visiblement fascinée par l’aspect « matériel » du monde de la techno-industrie, n’en recélait pas moins un soubassement « traditionnel », bien qu’exprimé de façon paradoxale.
Il
convient en effet de se rappeler, que la volonté de dépassement qui
spécifie le mouvement futuriste dès sa création en 1909 1,
afin d’entrer en contact avec « l’être de la réalité »
et que traduisirent les artistes regroupés autour de Marinetti
(1876-1944), comme Giacomo Balla (1871-1958) ou Umberto Boccioni
(1882-1916), correspond à ce que la tradition gnostique nomme le
dévoilement de la « vérité » (aletheia),
un dévoilement non conceptuel, direct, dévoilement de l’étant
(Entbergung
des Seienden)
qui, en s’avançant vers l’Absolu « inconnu », caché,
ineffable, tente une jonction impossible avec la « force »
dynamique
« naturaliter ignotus », ne
pouvant être l’objet d’aucune représentation, dont la connaissance
n’est ainsi envisageable que dans une furie « iconoclaste ».
Sur
ce point, les études qui ont été faites sur le mouvement
Futuriste, démontrent son caractère profondément ésotérique :
« Il
est évident désormais,
affirme ainsi Massimo Cacciari, que
la modernolâtrie (du futurisme) ne repose pas sur un fétichisme de
la machine, et que la religion de la vitesse ne peut être qualifiée
de progressisme positiviste […]. La poétique et la vision
futuriste du monde plongent leurs racines dans une forme gnostique de
religiosité. Le futurisme, bien avant les autres mouvements
artistiques contemporains, et d’une façon plus radicale, révèle ou
entend révéler une dimension “ésotérique” à tendance
résolument gnostique […]. L’axe de l’inspiration futuriste est
gnose : une forme de gnose parfaitement interprétable dans un milieu
traditionnel. Et loin de présenter un refus systématique de toute
forme de tradition, le futurisme constitue l’un des courants les plus
révélateurs du grand mouvement souterrain de la tradition gnostique
occidentale 2.»
Il
est donc relativement évident que le processus créateur du
Futurisme obéissait à une perspective métaphysique précise, dont
les formes de l’abstraction géométrique, de l’art mécanique, de
l’aéropeinture ou de l’art des bruits, représentèrent
l’accomplissement concret : « Le
gnosticisme a toujours considéré le ciel étoilé comme une armée
d’oppresseurs, comme les barreaux de la prison où l’âme est
enfermée. Pour dépasser ces limites, l’âme doit apprendre à
voler, elle doit avoir des ailes (c’est le “Nous
voulons des ailes !”
de Marinetti), elle doit devenir un ange. Le thème de l’envol, loin
des contraintes spatio-temporelles du monde visible, est primordial
dans l’imagination gnostique. Il est parfaitement représenté par le
symbole futuriste de l’aéroplane et par la conquête des étoiles de
Marinetti. L’aéropoésie de Marinetti ne glorifie pas la vitesse
pour elle-même, mais en ce qu’elle permet aux “autres” de
dépasser les limites du firmament, du coelum
stellatum
où habitent des archontes démoniaques et des entités inférieures3. »
Tel est le sens de l’art futuriste, faisant que le vortex métaphysique entre « Futurisme » et « Tradition » apparaît en conséquence plus qu’évident4. Langage de dissolution, de rupture radicale, de « désolidarisation », mais aussi d’appréhension directe des éléments de la matière en leur puissance tellurique brutale, la perspective est clairement celle d’un dépassement des contraintes immédiates dans lesquelles sont réduites les formes existentielles, en ayant en vue l’authentique transfiguration libératrice.
On
comprend donc beaucoup mieux, en intégrant cette analyse et ces
notions – bien que l’on puisse encore développer longuement sur
les différents aspects spirituels du Futurisme en évoquant, en
particulier, la tendance florentine du mouvement représentée par
Giovanni Papini (1881-1956), penseur fasciné par les doctrines
mystiques d’Orient et d’Occident avec lequel Julius Evola
(1898-1974) entra en contact dans ses premières années 5
-, pourquoi Russolo évolua, à partir de 1933, vers un intérêt
croissant à l’égard de l’ésotérisme, se liant
avec le théosophe et magnétiseur Guido
Torre
(1891-1967) 6,
s’éloignant de Paris en abandonnant son activité artistique pour
vivre à Tarragone, en Espagne, auprès de celui qui lui permettait
d’approfondir ses connaissances dans les domaines de l’occulte ;
un Luigi Russolo, qui écrivait dans son journal, à la date du 17
février 1936 : « En
face de l’art, la prédominance de la matière est abolie, nous
essayons de nous rapprocher de notre essence véritable et ultime,
l’esprit »,
et qui poursuivra sa recherche spirituelle jusqu’à la fin de
sa vie, rédigeant deux ouvrages témoignant de ses préoccupation
métapsychiques : « Al
di là della materia »
(Au-delà
de la matière),
publié en 1938, et « Dialoghi tra
l’io e l’Anima »
(Dialogues
entre moi et l’âme)
traité philosophique inédit.
*
On
le voit, le
fil de continuité entre Futurisme et ésotérisme n’est pas
nouveau, et qu’il
y ait eu, pour ce qui me concerne, un investissement plus prononcé
dans l’étude des thématiques métaphysiques à partir du début
des années 1990, n’a rien de très surprenant, mais participe
d’une continuité quasi logique d’avec les préoccupations
artistiques antérieures qui étaient guidées par une dimension
ontologique constante, comme on peut d’ailleurs aisément s’en
apercevoir à la lecture des textes édités accompagnant les
compositions bruitistes qui ont été produites pendant plusieurs
années 7.
Je précise, à cet égard, ce qui permet de mieux comprendre comment se fit cette évolution vers les questions métaphysiques et ésotériques, qu’à l’époque du travail artistique, animant le courant Futuriste en France – en lien avec le mouvement italien éditant la revue « Futurismo-Oggi », dont le directeur était Enzo Benedetto (1905-1993), celui là-même qui fut à l’initiative du « Manifeste du second futurisme » à Rome après-guerre réunissant tous les anciens membres du mouvement : Giovanni Acquaviva (1900-1971), Giacomo Balla (1871-1958), Primo Conti (1900-1988), Tullio Crali (1910-2000), Fortunato Depero (1892-1960), Gerardo Dottori (1884-1977), etc. -, par le biais de deux structures, tout d’abord « l’Œuvre-Bruitiste » (1983-1989), puis le « Futurisme Européen Révolutionnaire » (F.E.R.), (1989-1993), qui éditèrent des bulletins dont la diffusion fut assez large 8, j’ai considéré qu’il était nécessaire d’envisager en 1986 – jusqu’à ce que l’écroulement du monde bipolaire lors de la chute du mur de Berlin en 1989 signifie la fin du bloc soviétique -, une participation, dans le cadre de la réalisation du programme futuriste dit de « l’Art – Vie – Action », qui est passée par l’implication, au titre du Futurisme, à l’intérieur d’une organisation défendant l’unité continentale tout en refusant la domination des « trusts », comme celle des « soviets », en jugeant possible l’établissement d’une « troisième voie » novatrice, sociale, économique et culturelle pour l’Europe 9.
Cependant,
très vite, la nouvelle période qui s’ouvrait à compter de 1989,
nous plaçant dans le cadre d’un monde unipolaire profondément
métamorphosé en de nombreux domaines (techno-industrie, science,
sociologie, etc.), ce à quoi s’imposait de plus, par
l’intermédiaire d’un approfondissement des thématiques
métaphysiques du futurisme florentin influencé aussi bien par la
mystique rhénane que la pensée de l’Orient, une approche de plus
en plus intensément « ontologique », qui aboutira à un
retrait conscient et volontaire, théorisé et organisé, vis-à-vis
de toute forme d’activisme idéologique à l’égard d’un monde
voué au nihilisme et dont il importait de se distancier, et à la
création, en 1993, avec mon ami le penseur italien Omar Vecchio
(1961-2000) 10,
du « Pôle philosophique Hélios »
11
12.
C’est
d’ailleurs au sein de ce Pôle philosophique Hélios que seront
pensés ensuite, les grands problèmes de nature transcendante, en
s’appuyant, notamment, sur une lecture approfondie de Martin
Heidegger (1889-1976), qui conduiront à la mise en lumière des
auteurs traditionnels, en particulier René Guénon (1886-1951) et
Julius Evola.
Rébellion/
Lorsque l’on porte un regard global, tant sur vos travaux que vos
recherches, sur des plans aussi divers que variés que sont les arts
(futurisme-bruitiste), la philosophie via le pôle « Hélios » ou
encore les voies initiatiques, on en vient donc à constater que,
quelles que soient les diverses formes empruntées, un dénominateur
commun les relie. Une démarche qui tendrait à provoquer via une
confrontation au « nihil »,
une manifestation méta-ontologique de l’être, permettant ainsi un
retour au principe suressentiel. La source semble identique, seul le
support de fixation semble changer. Qu’en dites-vous?
Je
confirme absolument votre analyse. Une seule chose, un seul sujet
participe en effet de toute ma recherche – depuis les expériences
sonores radicales du courant bruitiste-futuriste en passant par le
Pôle philosophique Hélios 13
fondé après une prise de distance d’avec l’activisme
idéologique, jusqu’aux études portant sur les domaines
traditionnels et ésotériques -, la question de l’ontologie,
c’est-à-dire celle qui porte sur l’Être en son essence, et en
ce qui me concerne une ontologie qui ne peut être, en raison de la
situation de notre présence au monde, et de la nature foncièrement
dialectique et contradictoire de ce dernier, qu’une « ontologie
négative ».
Tout ceci participe d’une volonté d’appréhender ce qu’il en est de l’essence intrinsèque et fondamentale de la réalité en elle-même, et, par-delà cette réalité, ce que sont, et d’où proviennent, les mécanismes qui se situent à la source originelle de tout ce qui subsiste dans l’être, et, à cet égard, je me situe entièrement dans la continuité de Hegel (1770-1831) qui déclarait : « Le véritable et unique maître c’est le réel » 14. Il s’agit donc d’une entreprise de dévoilement, d’une mise en lumière des forces secrètes et invisibles qui animent et dirigent l’ordre apparent des choses visibles, ce en quoi, cette entreprise s’inscrit, à la fois dans le discours artistique intransigeant, la démarche philosophico-métaphysique portée à son point ultime d’intensité, et la voie initiatique authentique, bien que les « supports » qui contribuent à ce que puisse s’opérer ce dévoilement, et en « fixent » rigoureusement les modalités d’accomplissement en ces différentes formes, soient en effet spécifiques et adaptés selon les périodes.
Il
convient pour cela de comprendre que la confrontation au « nihil »,
n’est pas simplement un temps, un moment du cheminement qu’il
nous incombe d’effectuer du point de vue existentiel, mais que
cette confrontation est une voie de négation totale qui – non
point faite de par son exigence, il est vrai, pour tous les esprits
-, par la contemplation du néant d’où procède et en quoi existe
toute réalité, est permanente, constante, car pour passer au
travers de l’obscur, il faut traverser la sombre nuée du vide
originaire, et ceci depuis toujours et pour toujours.
En
ce sens, le futur – de toute éternité et pour toute éternité -,
est une origine, une source, un commencement insaisissable et une
vocation destinale.
Le futur est ainsi le produit d’un commencement qui est lui-même
devenir, une racine qui est un germe, car le logos
du commencement est dialectique et ne se délivre que dans la
négation.
Cependant, pour éviter les erreurs sur cette « traversée » de l’obscur, il importe de savoir que l’existence est soumise à la limite radicalement, foncièrement, et qu’il n’y donc, en conséquence, rien à posséder ultimement du mystère existentiel, rien à conquérir de façon positive de cette origine en devenir d’elle-même, et qu’il n’y a non plus rien à dépasser, car l’Être n’est jamais atteint ; il séjourne dans son retrait, il demeure inaccessible dans son éloignement. Ainsi, sans accès possible, l’Être est présent dans son absence et absent en tant que présent.
Lorsque
Martin Heidegger écrit que « l’essence
du Dasein consiste en son existence » 15,
il faut donc oublier ce que l’on croit être établie comme
définition de l’existence, c’est-à-dire l’acte premier qui
situe un être hors du néant, hors de ses causes, et plutôt
regarder la possibilité qui caractérise l’homme d’expérimenter une
ouverture où il doit se soumettre dans le dépouillement de toute
chose, « dans
l’ouverture duquel l’être lui-même se dénonce et se cèle,
s’accorde et se dérobe » 16.
Cette ouverture est celle où règne le silence nocturne des vérités
impensables, inexprimables, là où la pensée retourne en son
silence originel ; l’existence dans la plénitude de son inexistence.
Moment non manifesté, non-né, non-advenu. Temps inexistant pour un
lieu sans localisation. Pour une parole vide de son silence, un dire
vide du vide lui-même. Un inconnu à jamais indicible et obscur, une
« ténèbre » insondable et invisible. L’intense abîme
du néant en son « Rien ».
En
cet informulable où prend source toute pensée de la non-pensée, où
s’origine le contact ontologique fondamental, où s’enracine les
premières lumières de la pensée matinale du logos
philosophique, la patrie nécessairement oubliée de l’Être, la
révélation de l’inexistence en son « Rien », n’est
qu’un moyen de sombrer plus avant dans l’absence de l’Être.
L’intolérable existentiel ne peut de ce fait se comprendre, mais il
est certain qu’une seule chance par lui nous reste offerte : celle
d’accepter le non-sens. L’existant, le sujet, se retournant sur
lui-même doit donc impérativement affronter dans « l’angoisse »,
la nuit vide, l’absence cruelle, son expulsion
hors de lui-même vers le néant. C’est pourquoi le sujet n’est
rien d’autre que cette « ouverture au néant », à
l’innommable altérité face à laquelle il affronte, tout en
rencontrant sa tragique limite ; limite tragique au sein de laquelle
il atteint tout en l’ignorant son invisible souveraineté.
Il n’est donc d’autre mission véritable pour l’être, et en cela tient la vérité méta-ontologique, il n’est d’autre fin authentique pour lui, qu’une souveraine perte définitive qui le condamne au silence du non-savoir et aux ténèbres de la nuit, qui ouvre, au terme d’un cheminement dans le désert, en quoi consistent et que représentent les différentes formes de la traversée, sur les cimes de « l’Aurore naissante ».
Rébellion/
Votre dernier ouvrage « Le
mystère de l’église intérieure
», arpente les vertigineux territoires de l’ontologie
négative à travers les écrits de Louis-Claude de Saint-Martin et
du courant illuministe. Dévoilant ainsi des passerelles qui
nous conduisent, secrètement, de saint Augustin à Heidegger …
Cette voie dite apophatique, fut notamment abordée par d’illustres
figures du mysticisme chrétien tels que Denys l’Aréopagite,
Meister Eckhart, Jakob Boehme, Jean de la Croix et bien d’autres.
Nous connaissons également vos précédentes études sur les
penseurs asiatiques, notamment Nâgârjuna qui traitait de
cette dialectique divine entre l’être et le néant. Un parallèle
s’opère donc inévitablement entre ces différentes traditions.
Justement, selon vous qu’est ce qui fait la spécificité et qui
singularise cette voie mystique occidentale (mystique rhénane,
saint-martinisme, illuminisme, siècle d’or espagnol) qui évolua
souvent en marge des institutions cléricales, de façon
quasi-hérésiarque ?
La
spécificité, ou singularité de cette « voie occidentale »
dont traite «
Le
mystère de l’église intérieure
»
17–
« voie » qui presque toujours a été combattue par
l’institution ecclésiale -, c’est son approche par la
« négation » de la vérité ontologique. Ainsi de saint
Augustin (354-430) et les Soliloques
(Soliloquia)
qui lui furent attribués – ouvrage dans lequel se trouvent des
propositions sur le néant et le rien (nihil),
d’une radicalité qui amplifiait jusqu’à l’extrême les
notions de corruption et de néantisation, en établissant une
opposition absolue entre l’Être et le non-être en parlant de
« substances irréductiblement antagonistes » 18
-, en passant par Denys
l’Aréopagite (n.d.), Maître Eckhart (1260-1328), saint Jean de la
Croix (1542-1591), Jacob Boehme (1575-1624), et bien d’autres
encore dont Jean
de Ruysbroek (1293-1381) Jean
Tauler (v.1300-1361) ou
encore Henri
Suso (1295-1366),
nous nous trouvons en présence d’une démarche qui, préférant la
distance d’avec les lois du monde et ses structures religieuses
visibles, ainsi que l’éloignement de la croyance que se forgent
les foules de la transcendance, tente de s’avancer vers les
mystères cachés en privilégiant un approfondissement intérieur
selon une ascèse décrite, en particulier dans la mystique
espagnole, comme étant une « nuit de l’esprit », ou
« nuit obscure de l’âme », temps
d’apparente désolation spirituelle dans l’expérience,
mais qui se révèle être une transformation entière et souveraine
de la créature.
Le propre de la tradition occidentale qui ne se distingue pourtant en rien sur la finalité du cheminement spirituel d’avec les voies orientales – mais qui, évidemment, s’exprime en climat chrétien, et donc emprunte son vocabulaire théorique au patrimoine littéraire de la religion – qu’on le déplore ou que l’on s’en félicite -, qui s’imposa en Europe sous l’Empire romain 19, bien que cela soit de peu d’importance finalement au niveau ultime – participe de la perspective métaphysique qui dépasse, et de très loin, les formes et les cadres étroits avec lesquels sont médiatisés les rapports avec l’Invisible, puisque son but est d’entrer, par et dans le « non-être », en une négativité paradoxale qui nous révèle que la nuit est en réalité lumière à l’égard du monde, et qu’en elle s’effectue la génération transcendante, en un mode silencieux d’anéantissement, où la dimension, impensable, de « l’au-delà de l’Êtreet du non-être », aboutit au « Rien suressentiel » qui est l’unique et véritable « vie éternelle » 20.
C’est
de cette « vie éternelle » dont Maître Eckhart nous
parle en la désignant comme la « Déité » située
au-delà de Dieu même 21,
le « Néant » appréhendé en tant que négation de la
négation, expression de l’universel dépassement de la
contingence, s’appliquant au mode dépourvu de mode qui spécifie
le divin 22,
en lequel il ne subsiste plus ni temps ni lieu, ni sujet ni objet, ni
nom, ni identité, où seule l’âme, « qui
ne cherche pas, qui demeure dans son être, saisi dans la lumière
qui ne brille pas
23»,
séjournant au sein du vide originel, non-différent du Néant et
anéanti en lui, pur rien qui est « vraie lumière » dans
la nuit du non-savoir, abandonnée totalement entre les mains de la
divine inconnaissance et unie essentiellement à l’éternité
indicible : « Tu
dois l’aimer en tant qu’il est un non-Dieu, un non-Intellect, une
non-Personne, une Non-Image. Plus encore en tant qu’il est un ‘‘Un’’
pur, clair, limpide, séparé de toute dualité. Et dans cet Un nous
devons éternellement nous abîmer : du quelque chose
(iht) au
néant
(niht) 24.»
Ainsi
l’Absolu ne peut donc être caractérisé que par le « Rien »,
un Rien infini car n’étant limité par rien et ne laissant rien en
dehors de lui. Ainsi, ce qui est fort original, et souvent l’occasion
ne multiples confusions, la particularité de l’idée d’Absolu
impose qu’elle ne puisse être exprimée que par des termes de
formes négatives, et ceci dans la mesure où le langage, ainsi que
toutes les affirmations positives, est forcément impuissant et
inexact. L’Absolu étant insaisissable, indéfinissable, hors de
portée des formulations et concepts, seul l’usage de la négation,
exercée sur la détermination et la limitation qui nous enserrent de
toutes parts, peut rendre perceptible, toute proportion gardée bien
évidemment, la dimension authentique de « l’Absolu ».
La première de nos affirmations fondamentales, qu’il convient donc
de toujours nous remémorer, est qu’il est parfaitement illusoire
de croire que l’on obtiendra une image adéquate de l’infinité
dans l’ordre de la manifestation. Dans notre état humain limité,
marqué par l’illusion et l’inversion des vérités, il ne nous
est pas possible de nous former intérieurement une image adéquate
de la Réalité absolue.
La
possibilité d’une ouverture immédiate, dès ici-bas, en direction
de « l’Essence Incréée », ouverture participative et
transformatrice en mode d’anéantissement, doit donc intervenir
dans le cadre d’une « voie » initiatique, apte à
délivrer l’esprit des pièges dans lesquels il se trouve enfermé,
expliquant pourquoi ont été constituées, au cours des siècles,
différentes structures, à la marge ou en rupture de l’Église,
dont la vocation fut, tout à la fois, de préserver certains
enseignements doctrinaux, et d’en permettre la mise en pratique
concrète, au sein d’itinéraires (symboliques, métaphysiques,
religieux, communautaires ou solitaires, monastiques ou individuels,
de nature mystique et illuministe), conduisant à la contemplation
des vérités essentielles.
Ces
structures, plus ou moins organisées, des béguinages aux « Frères
du libre Esprit »
dont on sait l’influence sur la
mystique rhénane,
en passant par les mouvements d’importance, d’expansion et
d’influence inégales, comme les cathares, bogomiles,
vaudois,
pauliciens,
l’assemblée des chrétiens apostoliques,
les iconoclastes, les anabaptistes, puritains, quakers, les fidèles
de l’église de la nouvelle Jérusalem,
alumbrados
espagnols, guérinets français,
etc., mais
aussi, avant eux, ou parallèlement à eux, les templiers,
franciscains,
capucins, carmes, malgré bien des différences et parfois de nettes
oppositions théologiques, sans oublier les Frères de la Rose-Croix
et les kabbalistes chrétiens, serviront de véhicule à la pensée
de l’Absolu passant par « l’anéantissement actif »
ou spiritualité de l’abstraction, aboutissant à la constitution
des courants, comme le piétisme, le quiétisme 25,
ou encore le jansénisme, qui vont déboucher, au XVIIIème
siècle, sur l’illuminisme, dont les principaux représentants,
furent Valentin
Weigel (1533-1588),
Emanuel Swedenborg (1688-1772),
Friedrich Christoph Oetinger (1702-1782),
Martinès de Pasqually (+1774), Jean-Baptiste
Willermoz (1730-1824), Mathias
Claudius (1740-1815), Jung-Stilling (1740-1817), Louis-Claude
de Saint-Martin (1743-1803),
Friedrich
Heinrich
Jacobi (1743-1819), Diethelm Lavater (1743-1826), Frédéric-Rodolphe
Saltzmann
(1749-1821), Johann
Friedrich Kleuker (1749-1821), Karl
von Eckartshausen (1752-1803), Franz von Baader (1765-1841) et
Justinus
Kerner (1786-1862).
L’idée
de ces théosophes, issus du courant illuministe, relève d’une
intuition principale : l’origine des choses, le principe en son
essence, n’est pas une réalité positive mais négative, de ce
fait l’enseignement ésotérique considère qu’une « tradition »
a été conservée, et qu’il est possible de la retrouver soit par
l’effet d’une « illumination intérieure », soit
grâce à des transmissions cérémonielles et rituelles.
Par
ailleurs, leur conviction commune, était que le christianisme fut
avant tout, et demeure, une authentique initiation. Ce discours se
répandit auprès de nombreux esprits, et beaucoup adhérèrent à
cette conception qui devint une sorte de vision commune pour tous
ceux qui aspiraient à une compréhension plus intérieure, plus
sensible et subtile, de vérités que l’Eglise imposait par
autorité, voire qu’elle avait tout simplement oubliées 26.
C’est ce que soutiendra positivement Jean-Baptiste Willermoz, en
des termes extrêmement clairs : « Malheureux
sont ceux qui ignorent que les connaissances parfaites nous furent
apportées par la Loi spirituelle du christianisme, qui fut une
initiation aussi mystérieuse que celle qui l’avait précédée :
c’est dans celle-là que se trouve la Science universelle. Cette
Loi dévoila de nouveaux mystères dans l’homme et dans la
nature, elle devint le complément de la science 27.»
La
voie initiatique occidentale issue de l’illuminisme mystique,
participe donc d’une tradition, se revendiquant de la
« Discipline
de l’Arcane »
28,
où
sont perceptibles les fondements d’une métaphysique
relativement originale – qui n’a rien à envier aux affirmations
les plus avancées des penseurs indiens de la vacuité ontologique ou
du non-dualisme radical, tels Nâgârjuna (IIIème
s.) et Shankara (VIIIème
s.) -, et dont la mise en œuvre demeure l’unique possibilité
d’accéder en Europe à la connaissance de ce
« Néant éternel » qui s’éprouve originellement dans
un « désir », une faim de quelque chose, une aspiration
à un autre que lui-même que manifeste sa volonté, son «Fiat »,
désir qui constitue un mouvement intensément dialectique, une
action au sein de l’immobilité infinie, faisant passer la Divinité
du déterminé à l’indéterminé, produisant en elle de
l’obscurité et de l’ombre et qui, pourtant, ne sont point
totalement ténébreuses et obscures car ce désir, cette soif, sont
emplies d’une lumière quoique « en négatif », et bien
que demeurant, pour l’entendement immédiat et la vision
superficielle qui en restent à une vision première, une pure et
totale nuit ontologique relevant du « Soleil noir » de
l’esprit 29.
Ce
à quoi nous invite les pages du « Mystère
de l’Église intérieure
», c’est donc bien d’arpenter les vertigineux territoires
de l’ontologie négative, en se fondant sur les écrits de
Louis-Claude de Saint-Martin, éminent représentant du courant
illuministe, de sorte que face
à la radicale transcendance du Principe, l’esprit soit saisi par un
immense vertige, un trouble réel vis-à-vis de cet inconnu
inaccessible, une soudaine incapacité de pouvoir franchir les
limites de ses possibilités conceptuelles, incapacité ressentie
comme une concrète perception de la nature sans nature-propre de
l’Abîme du Non-être.
Cette perte bienheureuse
de l’illusoire maîtrise du savoir sur l’Absolu nous conduit par la
voie étroite de la nuit et du silence, et nous achemine, lentement,
vers les lointains rivages, par les sentiers escarpés de la haute
montagne, par le profond désert, en nous éloignant des domaines
humains limités où doivent être abandonnés, à jamais, les
pauvres outils du chercheur aveugle.
Dans
la nuit où nous avons été plongés, il importe ainsi que nous
fassions surgir, en nous, au cœur de nos ténèbres, la « Lumière
incréée » par le pouvoir transformant de l’œuvre négatrice,
et alors pourra se dévoilé, secrètement et invisiblement, le
« Grand Mystère », le Mysterium
Magnum,
nous portant au seuil du Suressentiel, là où se fait sentir le
souffle de sa Sagesse qui nous accorde d’évoquer «
au milieu des ruines »,
non sans une tremblante réserve et rigoureuse prudence, le « Néant
éternel », l’Esprit non-manifesté.
Rébellion
/ Sous une certaine perspective on peut envisager, que, de tous
temps, l’homme différencié se retrouve « au milieu des ruines »,
que la traversée de « cette nuit de l’esprit » est une étape
fondamentale du cheminement. Pensez vous, en ayant étudié de façon
approfondie certains penseurs de l’école pérénnialiste et de la
voie martiniste, que tout est désormais vicié « structures
initiatiques comprises » et que seul l’exil intérieur est
envisageable ou, a contrario, que la transmission dans une optique
Pythagoricienne, favorisant l’éveil malgré les affres de
l’espace-temps reste similaire, mais que seuls le décorum et
l’intensité en affliction varient selon les âges.
La
réponse se situe au croisement des deux assertions, car la situation
est à la fois celle d’une dégénérescence objective de la grande
majorité des structures initiatiques, qui n’ont d’ailleurs plus
« d’initiatiques » que le nom, et en même temps, la
perpétuation, malgré tout, en quelques rares endroits très
limités, de la possibilité d’une transmission spirituelle
effective.
Il
semble inutile, après les études de René Guénon sur le sujet, de
revenir sur la perte de leurs qualifications des institutions qui
avaient pourtant la mission de préserver les éléments de la
« Tradition » en Occident, en particulier lors du
passage, entre les XVIème
et XVIIIème
siècles, des formes opératives en structures spéculatives 30,
une tendance qui s’est considérablement accrue depuis, et qui a de
fortes chances de s’amplifier plus encore avec le temps jusqu’à
atteindre, par une constante entreprise d’extériorisation, un état
« profanisation », ou de ce que Guénon nommait
« vulgarisation » par pénétration de l’esprit moderne
31,
état qui a déjà d’ailleurs touché de façon irréversible
nombre des principales organisations, en raison d’une inexorable
avancée vers la « dissolution ».
Ce
à quoi se rajoute, de par ce lent travail de « dissolution »
dont le temps est le principal responsable, une progressive
dépossession et concrète disparition des qualifications
initiatiques dans beaucoup de structures, où « l’influence
spirituelle » a été, soit fortement dégradée, soit parfois,
et le plus souvent, négligée, oubliée, voire, carrément combattue
ou perdue, aboutissant à une quasi rupture, par dégénérescence,
de la chaîne de succession ininterrompue, nous mettant, dès lors,
en présence « d’associations » profanes, positivement
« parodiques » du point de vue spirituel, qui
maintiennent, par habitude, des règles de discrétion, tout en étant
animées par des principes qui n’ont plus rien de traditionnels,
allant même, paradoxalement, jusqu’à afficher de nettes
préventions, pour ne pas dire une hostilité, pour tout ce qui
touche ou relève de la « Tradition ».
Ainsi s’explique pourquoi beaucoup de « sociétés discrètes », qui purent relever de la catégorie « secrète initiatique » il y a encore peu, n’ont plus grand-chose à voir aujourd’hui avec ce qu’est « l’initiation », ou de façon très vague, nous imposant d’établir cette distinction entre des formes structurelles qui s’isolent et se réunissent pour réfléchir à des projets sociétaux, des buts humanitaires et philanthropiques, en accordant un intérêt plus ou moins prononcé pour l’Histoire et le symbolisme, des authentiques « organisations initiatiques », qui appartiennent « à un ordre tout différent ».
Reste
donc, malgré cette situation « au milieu des ruines » imposant en
notre période de civilisation matérialiste moderne désacralisée,
une traversée de la « nuit de l’esprit », qui peut être un réel
« apprentissage » du désert vécu en tant qu’étape
importante sur le chemin conduisant à la réalisation, nécessitant
de se mettre à distance des « institutions parodiques »,
l’obligation d’engager une démarche comparable à celle qui,
toutes périodes confondues, a contraint l’être à se vider, ou
désapproprier de lui-même dans un dépouillement purificateur. Et,
à cet égard, la situation d’aujourd’hui n’est point
différente de ce qui toujours domina comme exigence, faisant que dès
l’origine, tout était déjà finalement vicié pour les âmes en
quête d’Absolu, structures initiatiques comprises bien
qu’infiniment moins dégradées que celles de notre temps, et que
l’exil intérieur se devait d’être un moment essentiel de la
recherche, un passage incontournable afin de parvenir à la
« metanoia »,
c’est-à-dire la transformation entière et radicale de l’être,
ce qui définit, en propre et à toutes les époques, une démarche
initiatique effective, en Orient comme en Occident.
C’est
pourquoi Guénon a tant insisté sur le fait qu’il ne s’agit pas
dans cette « œuvre initiatique » s’il en est, non
d’une « extase », mais d’une transformation interne
de l’être, en vertu de ce principe fondamental : « toute
réalisation initiatique est essentiellement et purement
‘‘intérieure’’
32. »
Mircea
Eliade (1907-1986) écrit donc, à juste titre : « On
a souvent affirmé, qu’une des caractéristiques du monde moderne
est la disparition de l’initiation
33 »,
montrant que la question de l’initiation, n’a ainsi rien à voir
avec les conditions de la période à laquelle elle se pose, car en
réalité « les
vrais secrets n’ont jamais été divulgués »
34,
puisqu’ils relèvent du « mystère » indicible et
informulable,
mystère initiatique qui se situe au-delà de l’Être et du
Non-être, là où le langage est impuissant, domaine par définition
du suressentiel.
L’accès à ce mystère, qui est celui par excellence de « l’Église intérieure » selon la tradition de l’illuminisme mystique, relève donc d’une « voie » exigeante et rigoureuse, d’une ascèse et d’une discipline de l’esprit, dont les critères et les modalités restent inchangés depuis la nuit des siècles, et que préservent et transmettent quelques rares sociétés secrètesde nature ésotériques et initiatiques, observant une mise en retrait à l’égard d’un monde vis-à-vis duquel elles se tiennent volontairement à distance.
Rébellion
/ Un de vos derniers ouvrages intitulé «Joseph
de Maistre, prophète du christianisme transcendant»
35,
se propose, par une habile sélection de textes directement issus de
la plume du comte savoisien, de mettre en lumière le dépôt
doctrinal qu’il reçut au sein de son passage dans diverses loges
initiatiques. Une figure plus connue pour son engagement contre
révolutionnaire et antirépublicain mais qui eut, en parallèle, une
influence décisive sur René Guénon, notamment sur son
concept de « Tradition primordiale ». Pourriez-vous nous
éclairer davantage sur ce coté trop méconnu de Joseph de Maistre ?
Joseph
de Maistre (1753-1821), est un penseur sans doute beaucoup plus
célèbre, en effet, pour ses positions contre-révolutionnaires et
son catholicisme ultramontain 36,
que pour ses idées « illuministes », alors même que
tout chez lui, dans ce qui constitue l’essentiel de ses thèses,
fut nourri et imprégné des théories qu’il trouva au sein des
loges rattachées au système initiatique édifié par Jean-Baptiste
Willermoz (1730-1824) lors du Convent des Gaules qui se tint à Lyon
en 1778, dénommé « Régime Écossais Rectifié » 37.
J’avais
déjà démontré ce lien étroit entre thèses illuministes et
pensée maistrienne, dans la biographie consacrée à Maistre,
publiée en 2003 38,
dans laquelle était mise en lumière l’influence déterminante
qu’exercèrent sur lui les conceptions dont il fit la découverte
dans son approfondissement de la doctrine ésotérique qui
caractérise et spécifie le Régime Écossais Rectifié.
Dans
une note de Joseph de Maistre, datée de 1816, soit, chez lui, à une
période où la réflexion avait largement eu le temps de faire son
œuvre, il déclare qu’après avoir jadis consacré « beaucoup
de temps à connaître ses messieurs [les
illuminés de Lyon]», fréquentant leurs assemblées, entretenant
une correspondance avec les principaux d’entre eux, il n’en était
pas moins « demeuré
attaché à l’Église catholique, apostolique et romaine ;
affirmant cependant sans détour :
non cependant sans avoir acquis une foule d’idées dont j’ai fait
mon profit. »
39
Quelle
est donc cette foule d’idées ? Il n’est besoin pour y répondre
qu’à se pencher sur la pensée maistrienne telle qu’exprimée
dans les principaux textes du comte chambérien, et d’opérer une
correspondance thématique avec les bases doctrinales du Régime
Écossais Rectifié, et surtout les thèses spécifiques de Martinès
de Pasqually exposées dans son célèbre « Traité
sur la réintégration des êtres dans leur première propriété,
vertu et puissance spirituelle divine »,
pour constater leur extrême identité de nature.
Ainsi,
toutes les conceptions de Joseph Maistre portant sur les desseins de
la divine Providence au cœur de l’histoire, la condition de
l’homme, sa chute et sa possible « réconciliation »
avec Dieu, sa vigilante attention appliquée aux lois de l’analogie
mettant en lumière la correspondance entre ce qui est en haut et ce
qui est en bas, le monde regardé comme l’expression, selon la
phrase de saint Paul, reprise par Maistre dans le « Xe
Entretien » des Soirées
de Saint-Pétersbourg,
d’un « ensemble
de choses invisibles manifestées visiblement »,
ont leurs sources, leur racines dans les thèses de fondamentales de
l’illuminisme. C’est-à-dire, sur le plan concret, une
« interprétation
allégorique des Écritures dans le sillage de Martinès de
Pasqually, si négligée en son temps par l’Église ; son intérêt
pour la métaphysique des nombres par lesquels l’intelligence
suprême se prouve à la nôtre ; son apologie de l’intuition
divinatrice, participation immédiate à la pensée de Dieu en qui
repose la vérité
; son
exaltation de la prophétie toujours présente parmi les hommes et
qui lui laisse pressentir un prochain et splendide épanouissement du
christianisme... 40»
L’ensemble
de l’œuvre maistrienne s’éclaire donc d’un jour nouveau lorsque
l’on effectue ce rapprochement avec la doctrine de l’illuminisme,
et l’on est frappé par l’étroite intimité des points de vue, des
analyses et des certitudes, car toute la perspective métaphysique du
courant illuministe, état de rupture de l’homme déchu en quête de
l’Unité perdue, se trouve traduite, avec un rare talent, il est
vrai, et un style magnifique sous la plume de Maistre au fil de ses
écrits, développant une approche du « christianisme
transcendant » fort originale qu’il résume ainsi : « Ce
christianisme
réel, désigné chez les Allemands par le nom de christianisme
transcendant,
est
une véritable initiation ; il fut connu des chrétiens primitifs, et
il est accessible encore aux adeptes de bonne volonté.
Ce
christianisme révélait et peut révéler encore de grandes
merveilles, et il peut non-seulement nous dévoiler les secrets de la
nature, mais nous mettre même en communication avec les esprits 41. »
*
De la sorte, lorsque René Guénon se pencha sur les écrits de Maistre, il admit les sources issues de la doctrine de l’illuminisme, travail de mise en lumière qu’avait remarquablement effectué Émile Dermenghem (1892-1971) dès 1923 42, et décela immédiatement les éléments de convergence avec ses propres intuitions, et notamment avec un point central, celui portant sur la notion de « Tradition primordiale », que Maistre cependant désigne plutôt comme « Tradition primitive » dont les restes subsistent chez tous les peuples, et dont conservaient la mémoire les « anciens Mystères », ce qui conduit Guénon à émettre certaines réserves : « Joseph de Maistre objecte qu’il est impossible de savoir exactement ce qu’étaient ces anciens Mystères et ce qui y était enseigné, et il semble ne s’en faire qu’une idée assez médiocre, ce qui est peut-être encore plus étonnant que l’attitude analogue qu’il a adoptée à l’égard des Templiers. En effet, alors qu’il n’hésite pas à affirmer très justement qu’on retrouve chez tous les peuples « des restes de la Tradition primitive », comment n’est-il pas amené à penser que les Mystères devaient précisément avoir pour but principal de conserver le dépôt de cette même Tradition ? Et pourtant, en un certain sens, il admet que l’initiation dont la Maçonnerie est l’héritière remonte « à l’origine des choses », au commencement du monde : « La vraie religion a bien plus de dix-huit siècles : elle naquit le jour que naquirent les jours. » Là encore, ce qui lui échappe, ce sont les moyens de transmission, et il est permis de trouver qu’il prend un peu trop facilement son parti de cette ignorance ; il est vrai qu’il n’avait que vingt-neuf ans lorsqu’il écrivit ce mémoire 43.»
Il
n’en reste pas moins que cette idée de « Tradition
primitive », qui sera reprise, après Maistre, par le Cardinal
Pitra (1812-1889), ardent défenseur d’une « Tradition unique »
se transmettant depuis l’aube des temps, ainsi que chez Gustave de
Bernardi (1824-1885), en passant par Franz von Baader (1765-1841) ou
encore Eliphas Lévi (1810-1875), va prendre chez Guénon une place
tout à fait déterminante, puisque pour lui, cette Tradition nommée
« primordiale », est la « Tradition première »
commune à l’ensemble des traditions dites authentiques et
« orthodoxes », dont les traces et les signes
apparaissent très lisiblement dans les symboles, rites et mythes du
patrimoine commun de l’humanité. On peut donc dire que cette
Tradition primordiale pour Guénon, aurait véritablement fécondé
et nourri substantiellement l’ensemble des traditions actuelles,
ces dernières en dérivant de façon plus ou moins importante selon
leur degré de proximité et d’intimité avec cette source initiale
qualifiée d’intemporelle.
De
ce fait, toutes les traditions religieuses de l’humanité, à
quelques exceptions près, et dans la mesure où elles possèdent les
mythes et symboles témoignant de leur authentique rattachement, sont
des formes, des aspects particularisés, les différents visages
d’une unique Tradition d’origine « non-humaine » qui
reçoit, de par son antériorité et sa supériorité puisqu’elle est
première, originelle et fondatrice, placée à la source et liée
directement au Principe, le nom de « primordiale ». C’est
elle qui est la garante de la régularité et de « l’orthodoxie »
de l’ensemble des traditions, chacune n’étant qu’un élément,
adapté à une époque ou à une civilisation en fonction des
circonstances particulières liées aux temps et aux nécessités des
périodes de l’Histoire, de cette première « Tradition »
fondatrice. Comme l’écrit Guénon, en utilisant pour ce faire
l’appellation de « Terre sainte » propre à Israël en
l’étendant à l’ensemble des diverses traditions de l’humanité
pour montrer en quoi elles dépendent et sont dépendantes d’une
unique source, « prototype de toute les autres »,
qualifiée du titre de « Contrée
suprême »
: « Il
y a autant de
‘‘Terres Saintes’’ particulières
qu’il existe de formes traditionnelles régulières, puisqu’elles
représentent les centres spirituels qui correspondent respectivement
à ces différents formes (…) Ils sont autant d’images d’un
même centre unique et suprême, qui seul est vraiment le
‘‘Centre du Monde’’, mais
dont ils reprennent les attributs comme participant de sa nature par
une communication directe, en laquelle réside l’orthodoxie
traditionnelle, et comme le représentant effectivement , d’une
façon plus ou moins extérieure, pour les temps et des lieux
déterminés. En d’autres termes, il existe une
‘‘Terre Sainte’’ par
excellence, prototype de toutes les autres, centre spirituel auquel
tous les autres sont subordonnés, siège de la tradition primordiale
dont toutes les traditions particulières sont dérivées par
adaptation à telles ou telles conditions définies qui sont celles
d’un peuple ou d’une époque.
Cette
‘‘Terre Sainte’’ par
excellence, c’est la
‘‘Contrée suprême’’ 44. »
*
Ceci
étant dit, il est à noter que la « Tradition primitive »
ou « primordiale », que Louis-Claude de Saint-Martin
désigne comme étant la « Tradition Mère » 45,
et que Joseph de Maistre, dans son « Mémoire
au duc de Brunswick » (1782),nomme
la « vraie
religion éternelle »,
ne constituent pas la même et identique « Tradition »,
puisque la seule authentique pour l’illuminisme, est celle qui
participe la religion qui se rattache au
culte
primitif d’Adam, ce qui fit soutenir au comte chambérien :
« La
vraie religion a bien plus de dix-huit siècles. Elle naquit le jour
que naquirent les jours 46».
Et cette religion, concrètement, aboutit au christianisme en sa
forme « transcendante » qui, passant par les différentes
étapes de l’Histoire, remonte par une lignée ininterrompue, au
sacerdoce primitif d’Adam.
En
effet, et à cet égard Maistre pose une division infranchissable au
sein du rameau primitif – ce qui le distingue de Guénon, même si ce
dernier ne nia pas l’opposition entre les deux lignées
originelles, mais sans en essentialiser la séparation à l’intérieur
de la chaîne de transmission de la Tradition primordiale 47
-, dès l’origine, ou plus exactement dès la division brutale qui
va intervenir entre les cultes célébrés par Caïn et Abel, la
« Tradition » va se séparer, se diviser en deux branches
distinctes absolument antagonistes et opposées en tous points,
faisant que selon Maistre, fidèle en cela à Martinès de Pasqually,
il n’est plus possible de conférer un caractère univoque à la
notion de « Tradition », car elle relève d’une essence
double, constituée : 1°) d’une branche abélienne pure et
sainte dite « non-apocryphe » car possédant les éléments
du vrai culte et de la « Sainte
Doctrine »
qui lui est attachée ; 2°) d’un rameau caïniste,
positivement apocryphe, étranger et ignorant tout des éléments du
vrai cule et de la « Sainte
Doctrine ».
Ainsi,
dans la conception maistrienne, les deux cultes, l’un de Caïn et
l’autre d’Abel, vont donner naissance, dès l’aurore de
l’Histoire des hommes, à deux traditions également anciennes ou
« primordiales » si l’on tient à ce terme, mais
absolument non équivalentes du point de vue spirituel, ces deux
traditions se livrant une guerre que l’on peut à bon droit
dénommer de « métaphysique », puisque ayant pris
naissance dans l’immensité céleste, lors de la révolte des
esprits rebelles, faisant du monde le théâtre d’une lutte
cosmique qui se déroule depuis l’origine.
Instruit
de cette division originelle, de cette guerre incessante inscrite au
cœur même du monde créé, ce qui en explique le caractère
irréductiblement dialectique, notre confrontation avec le nihilisme
contemporain, sous
ses diverses formes, et dont la société d’aujourd’hui
hideusement désacralisée offre le pénible spectacle, nous apprend
donc à ne pas interpréter la situation présente uniquement en
termes de deuil circonstanciel, de néant relatif à une période
déterminée, comme si naïvement il y avait eu un temps antérieur
de pure lumière et d’entière plénitude, de valeurs sûres et
bien établies, dans la mesure où le « nihilisme » n’est
pas un phénomène historique, il traverse et commande la totalité
de l’Histoire ainsi que le soulignait Maistre
:
« S’il
y a quelque chose d’évident pour l’homme, c’est l’existence de deux
forces opposées qui se combattent sans relâche dans l’univers. Il
n’y a rien de bon que le mal ne souille et n’altère ; il n’y a rien
de mal que le bien ne comprime et n’attaque, en poussant sans cesse
tout ce qui existe vers un état plus parfait. Ces deux forces sont
présentes partout : on les voit également dans la végétation des
plantes, dans la génération des animaux, dans la formation des
langues, dans celle des Empires (deux choses inséparables), etc. 48.»
Conséquemment,
et à ce titre Heidegger rejoint Maistre dans le constat qu’il n’y
a pas d’extériorité par rapport au « nihilisme »,
c’est-à-dire qu’il n’existe pas d’alternative, de nostalgie
d’un avant ou d’un après, c’est l’existence elle-même, par
delà les époques, qui est plongée dans l’abîme du nihil
(rien),
qui est confrontée, depuis la rupture originelle, de par son
« déchirement » 49,
à la nécessité d’affronter la question de l’absence, du
délaissement, de l’angoisse et de la perte, du tragique de l’échec
et de la mort, pour le dire en un mot du « mal », car
l’expérience du monde que nous éprouvons participe d’une
détermination à l’antagonisme de deux
forces contraires
et antagonistes
qui sont présentes partout
dont l’homme n’a pas le pouvoir de se libérer, puisque c’est
une détermination structurelle ontologique :
« L’être-dans-le-monde
est un existential, c’est-à-dire une détermination constitutive de
l’exister humain, un mode d’être propre à l’être-là. […]
L’être-dans-le-monde, en tant qu’existential, est une relation
originaire 50. »
Exister,
être, c’est donc être jeté de « l’Unité » vers la
division, projeté « du
haut vers le bas »
disait Origène (+ 252) 51,
abandonné dans le relatif, le contingent, c’est être dépendant
totalement de faits et de causes qui déterminent la non-possibilité
de l’harmonie et de la durée, et rendent totalement vaines et
vouées à l’inutilité les infructueuses tentatives humaines –
notamment politiques, mais pas seulement, car on peut y adjoindre,
l’art, la philosophie, la science, etc. -, qui tendent à modifier
les conditions de l’être au monde.
Il ne s’agit donc pas d’espérer en un quelconque régime ou éventuel système capable de résoudre les questions sociales, économiques, culturelles, identitaires ou spirituelles des peuples, puisque l’origine du problème pour l’homme, mais aussi pour les civilisations et l’Univers lui-même, est un problème de « l’origine ». La question qui se pose, fondamentalement, participe d’une nature purement méta-ontologique. Voilà pourquoi, la seule attitude authentique, c’est-à-dire authentiquement en rupture, la seule position radicale qui prenne le problème à sa source réelle, à sa racine effective, est donc, forcément et uniquement, d’ordre supérieur, elle relève du spirituel et du transcendant, du métaphysique, en acceptant de regarder d’où provient l’essence de la détermination existentielle, en se confrontant à la cause première de la vocation destinale de toutes choses créées au « nihil ».
Encore
une fois, bien que ce qui le conduisit à écrire cela –
contrairement à Maistre qui, après la Révolution, suite un examen
approfondi des causes, comprit qu’aucun temps n’était exempt de
négativité, étendit le diagnostic de façon transversale à
l’Histoire elle-même -, participait beaucoup plus d’un sentiment
de révolte contre de l’état du monde de la période moderne,
plutôt que d’une analyse ontologique portant sur la nature même
de ce monde au travers de toutes les périodes, il convient néanmoins
de se remémorer l’excellente analyse de Julius Evola, à propos de
ce qu’il convient de faire, et comment dès lors agir, dans un
monde en état de « dissolution générale » : « Il
n’y a pas de formes positives données fournissant un sens et une
légitimité vraie sur lesquelles on puisse s’appuyer aujourd’hui.
Désormais, une ‘‘sacralisation’’ de la vie extérieure et
active, ne peut survenir que sur la base d’une orientation
intérieure, libre et authentique, vers la transcendance
[…] L’afele
panta plotinien
– c’est-à-dire
‘‘dépouille-toi
de tout’’ -, tel doit être le principe de ceux qui savant
regarder d’un œil clair la situation actuelle. 52».
On
notera, est la différence n’est pas métaphysiquement anodine, que
si Maistre fidèle à l’enseignement de saint Augustin ou de
Martinès de Pasqually et de l’illuminisme en général, impute aux
esprits rebelles, puis à l’homme, suite à la double prévarication
qui est survenue au sein de l’immensité divine, la raison de la
situation de dégradation que connaît l’Univers avec la présence
constante du mal agissant en toutes les réalités vivantes, comme
irréductible tendance à la décomposition et à la mort, en
revanche Boehme – rejoint par Guénon à cet égard dans l’exposé
de sa métaphysique qu’il désigne d’ailleurs, pour cela, comme
étant « intégrale » 53
-, considère que l’origine de l’ombre se trouve au sein même de
la Divinité en laquelle existe une part ténébreuse qui est une
composante intrinsèque de sa nature. En
ce sens, le « Principe »
est constitué de « l’Être »
et du « Non-Être »,
ou encore du Bien et du Mal, il est travaillé par une dialectique
interne représentant le fond obscur du divin, et il
s’agit bien, en cette vérité, du trésor doctrinal,
du « mystère »par
excellence de «
l’Église intérieure »,
mystère le plus sublime puisque portant sur la nature essentielle du
Principe, mystère qui est celui dévoilant ce qu’est en sa vérité
l’Absolu, ainsi que nous le dit Jacob Boehme : « Le
Néant a faim du Quelque Chose, et la faim est le désir, sous la
forme du premierVerbum
Fiat,ou
du premier faire, car le désir n’a rien qu’il puisse faire ou
saisir. Il ne fait que se saisir lui-même et se donner à lui-même
son empreinte, je veux dire qu’il se coagule, s’éduque en
lui-même, et se saisit, et passe de l’Indéterminé au Déterminé
et projette sur lui-même l’attraction magnétique afin que le
Néant se remplisse et pourtant il ne fait que rester le Néant et en
fait de propriété n’a que les ténèbres ; c’est
l’éternelle origine des ténèbres… 54»
Il
importe donc, ayant perçu cette origine, d’abandonner tout but
positif extérieur rendu irréalisable, non pas parce que cette
époque serait celle de la « dissolution générale »,
mais parce qu’il est nécessaire de comprendre que la détermination
au négatif est inscrite, depuis toujours, dans l’Être, qu’elle
réside et demeure de façon intangible dans le « Tout »,
c’est-à-dire la totalité de « l’exister » même, et
il qu’il n’y a en conséquence eu de réalité en ce monde, avant
même le début des temps, de façon permanente, que déterminée et
soumise, c’est-à-dire reliée à une cause qui est une déchirure,
liée à une rupture fondatrice, à une scission qui se trouve dans
l’essence même de l’Être ; une réalité dépendante d’un
manque qui est une perte tragique survenue, au commencement, à
l’intérieur de « l’Unité » première, situation
absolument terrible que Maistre résume en une phrase : « Ce
monde est une milice, un combat éternel. »
55
À
cet égard, « L’apolitia »
est donc la
règle
pour l’esprit conscient et éveillé, non pas uniquement pour notre
« période de dissolution », mais en tant qu’attitude
constante de présence au monde et discipline de vie. Telle est la
loi spirituelle, l’ascèse héroïque et la voie ontologique, des
solitaires souhaitant accéder aux cimes des monts élevés, là où
règne, dans la solitude et le silence, l’éternelle « Lumière ».
Il
faut comprendre que, de tout temps, la nature de l’homme et des
sociétés qu’il édifie, est inexorablement condamnée à se
rapporter à une détermination à quoi réfère la fracture
fondatrice : inhérente à l’une, référent à l’autre ; rien de
plus, et rien qui puisse aller au-delà, c’est une limite
indépassable au niveau existentiel, ceci quelles que soient les
périodes de l’Histoire. C’est beaucoup et c’est peu ; c’est
beaucoup car il en va de l’exister même, c’est peu car en fait il
n’y a pas de véritable indépendance dans l’être par rapport à des
déterminations qui ont leur cause dans une tragédie antérieure.
Or, un être dépendant d’une cause adventice qui le précède dans
sa substance, n’est rien, il est finalement sans être puisque son
être « est » de n’être point autre chose que ce que la
détermination a fait de lui. Il n’est rien de lui-même, puisque
tout ce qui le fait être n’est rien de lui, provient d’une
situation antécédente. Il en résulte que, malgré tous les vains
efforts, la fracture ne sera jamais refermée, le fossé jamais
comblé, car rien en nous n’est de nous et vient de nous, mais relève
d’une cause antérieure, et d’une cause présentant une rupture
« originelle », un surgissement dialectique au sein de
« l’Unité », par lequel, selon Maistre le « mal »
s’est introduit dans l’Univers et « a
tout souillé »
56,
ou, plus profondément encore selon Boehme, en raison du fait que
« l’éternelle
origine des ténèbres… 57»,
engagée dans un mouvement de génération infinie passant par des
anéantissements et des renaissances éternels, accomplie sa
« révélation » suressentielle.
Ceci
explique pourquoi chaque être, chaque système, est incapable, à
lui seul, d’aller au bout de l’Être. Tout est freiné, bloqué,
contraint, par un manque constitutif d’être qui est inscrit à
l’intérieur de toute réalité vivante, car initialement situé au
sein de l’Être, dans la substance du « Principe ».
L’unique forme du possible pour chacun, le seul devoir, la règle
disciplinaire, est donc d’affronter le non-sens, le sens sans nom,
l’absence de nom d’un réel absent de lui-même, de se confronter,
par une approche métaphysique, ou plus précisément « d’ontologie
négative »,
au « Néant ».
Éternellement,
à l’oubli de l’Être répond, très exactement, fait écho
directement, le « nihil »,
la non-existence innommable d’un commencement qui, depuis toujours
et pour toujours, est déjà un futur.
La
« voie négative » (via
negationis)
est, essentiellement, un futurisme
ontologique.
Grenoble,
le 1 XII 2016
« La chouette de Minerve prend son envol au crépuscule. »
(Hegel, Principes de la philosophie du droit, 1818).
NOTE :
1
Les termes du
« Manifeste
Futuriste »,
sont à lire avec attention : « Nous
allons assister à la naissance du Centaure et nous verrons bientôt
voler les premiers Anges ! Il faudra ébranler les portes de la vie
pour en essayer les gonds et les verrous !… Partons! Voilà bien
le premier soleil levant sur la terre !… Rien n’égale la
splendeur de son épée rouge qui s’escrime pour la première fois,
dans nos ténèbres millénaires […] Le grand balai de la folie
nous arracha à nous-mêmes et nous poussa à travers les rues
escarpées et profondes comme des torrents desséchés. Ça et là
des lampes malheureuses, aux fenêtres, nous enseignaient à
mépriser nos yeux mathématiques. […] Et nous chassions, tels de
jeunes lions, la Mort au pelage noir tacheté de croix pâles, qui
courait devant nous dans le vaste ciel mauve, palpable et vivant […]
Il n’y a plus de beauté que dans la lutte. Pas de chef-d’œuvre
sans un caractère agressif. La poésie doit être un assaut violent
contre les forces inconnues, pour les sommer de se coucher devant
l’homme. Nous sommes sur le promontoire extrême des siècles !… A
quoi bon regarder derrière nous, du moment qu’il nous faut défoncer
les vantaux mystérieux de l’Impossible ? Le Temps et l’Espace sont
morts hier. Nous vivons déjà dans l’absolu, puisque nous avons
déjà créé l’éternelle vitesse omniprésente […] Nous
chanterons les grandes foules agitées par le travail, le plaisir ou
la révolte; les ressacs multicolores et polyphoniques des
révolutions dans les capitales modernes; la vibration nocturne des
arsenaux et des chantiers sous leurs violentes lunes électriques;
les gares gloutonnes avaleuses de serpents qui fument; les usines
suspendues aux nuages par les ficelles de leurs fumées; les ponts
aux bonds de gymnastes lancés sur la coutellerie diabolique des
fleuves ensoleillés; les paquebots aventureux flairant l’horizon;
les locomotives au grand poitrail, qui piaffent sur les rails, tels
d’énormes chevaux d’acier bridés de longs tuyaux, et le vol
glissant des aéroplanes, dont l’hélice a des claquements de
drapeau et des applaudissements de foule enthousiaste […] Debout
sur la cime du monde, nous lançons encore une fois le défi aux
étoiles ! »
(F.T. Marinetti, Le
Manifeste du Futurisme,
Le Figaro, Paris, 20 février 1909).
2
M. Cacciani, Futurisme
& Futurismes,
Ed. Le Chemin vert, 1986, p. 151. Pour asseoir son propos, Cacciari
fait remarquer que le futurisme représente un moment tout à fait
spécifique, où la religiosité gnostique, en liaison secrète et
invisible avec la Tradition, émerge avec une force et une énergie
exacerbée : « Les
textes fondateurs du mouvement le montrent clairement, “Face
à l’armée des étoiles ennemies”
(Premier manifeste, 1909) se dressent gonflés d’orgueil, les jeunes
lions de la solitude. Ce sont des étrangers, des “autres”,
des “hors-venus”, dont la patrie est au-delà du cosmos
visible, du kosmos des étoiles et de leurs archontes. Les âmes des
“étrangers” sur la terre forment un genos,
une race voisine de l’essence divine invisible. C’est la race des
“fermes” ou des “immuables” : c’est-à-dire des
“inébranlables”. La signification religieuse de ce récit
veut être précisément celle des grandes mythologies gnostiques :
la vision d’une humanité assoiffée d’une vérité absolue. Dès
leurs premiers manifestes, les futuristes se présentent comme des
esprits étrangers, allogènes, des êtres d’une autre race, que les
forces de l’univers ne peuvent dompter. Les étoiles et la lune sont
les gardiens de la Nécessité : ils gouvernent les lois du temps et
de l’espace, selon le principe inexorable de la causalité. C’est
pourquoi la lune doit être détruite.
Avec justesse Cacciari note : le
thème de l’obscurcissement de toute lumière dans l’univers déjà
présent dans nombre d’œuvres du début du siècle (par exemple la
Victoire sur le soleil de
Malevitch) trouve ici son explication la plus convaincante. »
(Op.
cit.,
p. 151.)
3
Ibid.
4
On notera, de par ce qui vient
d’être dit, l’origine quasi secrète de l’art moderne, qui se
singularisera dans sa volonté de rejeter toute figuration limitée
et réductrice, pour mieux laisser apparaître, dans l’absence de
forme, l’essence invisible du « Dieu caché »:
« Ce Dieu, qui ne
peut être représenté dans le monde sensible, ne sera “signifié”
que par un acte de séparation, de désolidarisation vis-à-vis du
cosmos. (…) L’origine gnostique de la religion futuriste est
évidente, de
même que ses rapports avec la Tradition. L’hybris
futuriste d’une novitas
(nouveauté) radicale
constitue l’élément le plus traditionnel du mouvement
!»
(M. Cacciani, op.cit.)
5
Fondateur avec Ardengo
Soffici (1879-1964)
de la revue
Lacerba,
dont on sait le rôle de ferment critique et analytique qu’elle eut
à l’intérieur du mouvement marinettien de l’Art-Vie-Action,
Giovanni
Papini
marqua surtout le jeune Evola par la collection d’opuscules qu’il
publia sous le nom évocateur de « Culture
de l’Âme ».
Dans ces brochures Papini porta à la connaissance de ses lecteurs
des auteurs peu diffusés, des textes inconnus relevant tant de la
mystique rhénane, que du Bardo-Thödol,
du Tao-te-king
ou des Védas.
Evola précise ainsi : « Papini
fit connaître à un public de jeunes une série d’écrits anciens
et modernes particulièrement significatifs, nous indiquant,
et les mots ont ici leur importance, des
voies à suivre plus tard »
rajoutant : « le
Papini de la première période avait fait connaître, à nous les
jeunes, entre autres choses, des figures de mystiques comme maître
Eckhart, et des écrits de sagesse qui auraient entraîné vers des
horizons bien différents dans le cas d’un dépassement véritable,
dans un sens traditionnel, de l’individualisme intellectualiste et
anarchiste. »
(J.
Evola, Le
Chemin du Cinabre,
Ed. Arché/Arktos, 1983, p. 10).
6
De
son nom complet
Guido Tore Gherson,
fut, pendant un temps – entre 1928 et 1936 -, l’agent
cinématographique et théâtral à Paris de l’écrivain, poète,
dramaturge et romancier Luigi Pirandello (1867-1936) qui s’intéressa
également aux sciences occultes, et c’est ce même Guido
Tore qui,
très probablement, d’après les dernières archives mises à jour
au sein du « Musée
Bibliothèque Luigi Pirandello» d’Agrigente (Sicile),
initia Luigi Russolo au magnétisme. (Cf.
Luciano
Chessa, Luigi
Russolo, Futurist : Noise, Visual Arts, and the Occult,
University of California Press, 2012, p. 262).
7
Signalons que tous ces
travaux sonores « bruitistes », font aujourd’hui
l’objet d’un programme de rééditions remasterisées, enrichies
et accompagnées de nombreux documents originaux inédits, par le
label ROTORELIEF : http://rotorelief.com/
8
« L’Œuvre
Bruitiste », n°
1 à 3
(1983-1989) puis « Volonté
Futuriste », n°
1 à 27
(1989-1993), organe du « Futurisme
Européen Révolutionnaire »
(F.E.R.).
9
Le courant Futuriste
au sein du mouvement « Troisième
Voie »,
qui fédérait différentes tendances grâce à la personnalité et
au charisme de son dirigeant Jean-Gilles Malliarakis, était
évidemment proche de ceux, dits « tercéristes radicaux »
éditant un bulletin : « Alernative
tercériste »,
en sympathie avec les thèses de la révolution conservatrice, dont
les principales figures furent Ernst
Jünger (1895-1998), Carl
Schmitt (1888-1985) et Ernst
Niekisch (1889-1967).
10
O. Vecchio, Essenza
nichilistica dell’Occidente cristiano,
Edizioni Barbarossa, 1988 ; Visioni
di un uomo in armi,
Società
Editrice Barbarossa, 1994 ; O.
Vecchio &
M. Murelli, Cavalcare
le vette,
Società
Editrice
Barbarossa, 2002.
11
Une précision – ceci à
l’attention des commissaires politiques déguisés en
« chercheurs », en réalité bien souvent effectifs
supplétifs de la police de la pensée unique qui se sont
spécialisés dans la dénonciation publique du parcours des
intellectuels qui ne sont pas passés par le sérail de ce qui
relève du « politiquement correct » à leurs yeux,
« chercheurs » qui seraient cependant bien avisés de
vérifier leurs sources plutôt que de reproduire mécaniquement des
informations erronées dans les publications qu’ils signent (cf.
S. François, « Extrême-droite
et ésotérisme : retour sur un couple toxique »,
Critica Masonica, janvier 2016)
-, puisque la fondation du « Pôle philosophique Hélios »
est intervenue après la scission du mouvement « Troisième
Voie » à Lyon, en
août 1991, et fut accompagnée par une analyse détaillée –
publiée en tant qu’additif et conclusion à la « Plateforme
programmatique »
éditée par le courant Futuriste (F.E.R.) -, en soutenant, après
l’effondrement du bloc de l’Est et la domination d’un modèle
économique unique s’imposant à l’ensemble de la planète, la
fin nécessaire de l’action politique sur la base des anciens
modèles interventionnistes, texte intitulé : « Raisons
d’une nécessaire rupture idéologique avec le
Nationalisme-Révolutionnaire
». Ce « texte-manifeste » annonçait la conception
purement métaphysique dans laquelle allait désormais s’inscrire
le « Pôle philosophique Hélios », et qui le situerait
à nette distance critique des initiatives souhaitant fédérer au
nom d’une « Nouvelle Résistance » les « ennemis
du système » – position défendue alors par Christian Bouchet
et ses soutiens – ceci ayant eu pour conséquence, comme il était
logique, un éloignement de l’engagement politique à partir de
cette date : « La
politique n’est plus aujourd’hui qu’une enveloppe, un
habillage trompeur d’un pouvoir effectif qui lui est le véritable
maître du destin collectif […] se situer sur le terrain du combat
politique est à présent soit la preuve d’une incompréhension
profonde de la nature du système, ou plus encore une absurdité
totale […] la nation et la politique constituent deux splendides
cadavres qu’il convient d’incinérer au plus vite selon les
anciennes coutumes indo-européennes. A tous ceux qui désireraient
un programme pour l’action, une solution à l’inévitable « que
faire ? », une réponse à leur besoin d’activisme, il faut dire
: la politique a cessé d’être le moyen de faire aboutir vos
idées. C’est terminé ! Il importe de trouver une autre méthode
[…] La conscience instrument et vecteur du devenir incarne comme
depuis les origines la perspective de l’Être, ce qui lui confère
une importance fondamentale dans le processus transformateur […]
la subjectivité au lieu d’être subordonnée à l’histoire, y
est englobée au même titre que l’événement historique. C’est
pourquoi on peut considérer la conscience non comme un simple
reflet du développement dans l’histoire, mais bien au contraire,
comme son agent réel de transformation. C’est un changement
radical d’attitude face à un changement radical des données
objectives qui caractérisent la période. »
(J.-M. Vivenza, Raisons
d’une nécessaire rupture idéologique avec le
Nationalisme-Révolutionnaire,
§ 8.5 « La mort de la politique », F.E.R.,
Octobre-Novembre 1991).
12
Signalons également, à toutes
fins utiles puisque le sujet participe de l’histoire d’Hélios,
qu’en mars 1990 un colloque sur le Futurisme fut organisé à
Paris par la branche jeunesse du G.R.E.C.E. (la « Nouvelle-Droite
Jeunesse » –
N.D.J.), qui éditait alors la revue « Métapo »,
colloque dans lequel intervinrent, Alessandra Colla, Robert
Steuckers, Omar Vecchio, et moi-même au titre du F.E.R.,
(intervention suivie d’un concert-performance « bruitiste »
qui se déroula au théâtre Dunois, 13ème
arr.). Robert Steuckers, fondant en 1994 avec Gilbert Sincyr
(1936-2014) l’association « Synergies
européennes » –
qui publia un bimestriel intitulé « Nouvelles
de Synergies européennes » (1994-2002)
qui remplaçait les revues
« Orientations » et « Vouloir »
–,
fut également à l’initiative d’universités d’été
rassemblant chaque année de nombreux intervenants de différents
pays (Lourmarin,
Madesimo,
Varèse, Pérouse, Trente, etc.),
où furent invités, en raison des liens d’amitiés et de
certaines proximités de vues, ceci jusqu’à la mise en sommeil en
2000 du Pôle philosophique, les membres d’Hélios, sur des sujets
touchant à l’histoire des idées, l’art, la littérature, la
poésie ou la métaphysique.
13
Revue du pôle philosophique
Hélios, no 1
à 13, (1994-2000).
14
F. Hegel, La
phénoménologie de l’Esprit,
Aubier, 1979.
15
M. Heidegger, L’Être
et le Temps, Gallimard,
1964, p. 42.
16
M. Heidegger, Qu’est-ce
que la métaphysique?
Questions, I, Gallimard, 1989, p. 33.
17
Le
Mystère
de l’Église intérieure,
La Pierre Philosophale, 2016.
18
Notons que les Soliloques
(Soliloquia), ouvrage
largement diffusé jusqu’au XIXème
sous la signature de saint Augustin, eurent une influence
déterminante sur Jean de Lugio et Bartholomé de Carcassonne qui, à
la fin du XIIème
siècle, seront à l’origine du courant dualiste qui se répandit
en Europe, notamment en Italie et le sud de la France. Ainsi dans
son célèbre « Liber
de duobus principiis »,
Jean de Lugio soutient : « Les
Ténèbres n’ont point été créées directement par Dieu, mais
indirectement et à partir d’une réalité préexistante, celle du
mauvais principes »,
ce qui est exactement la pensée du pseudo Augustin : « Le
Verbe est la Lumière et la Vie en quoi ne sont pas les Ténèbres,
l’Erreur, la Vanité et la Mort
: Verbum in quo non sunt Tenebrae, Error, Vanitas neque Mors [….]
Lux, sine qua Tenebrae ; via, sine qua error ; veritas,
sine qua vanitas ; vita, sine qua mors. » (Sol.
Apoc., IV).
19
Concernant le triomphe du
christianisme en Europe – bien que cette question ne soit point
directement notre sujet dans la mesure où ce que décida l’Histoire
en ce domaine est un fait objectif incontestable, qui n’a plus à
être un objet de débat car il est inutile de s’opposer au destin
historial des civilisations et aux « déterminations »
qui s’imposent à elles -, les causes peuvent se résumer en
quelques lignes significatives. Les cultes, animés de la même
tendance à l’oubli de l’Être, avaient en réalité, avec la
nouvelle religion de nombreux traits identiques : la monolâtrie
qu’ils proclamaient, le souci de l’ascèse morale et spirituelle,
faisant que quel que soit le degré d’élévation de tous les cultes
païens, ils répondaient tous aux mêmes besoins par les identiques
moyens. Fondés sur les notions de mort et de résurrection, de
naissance nouvelle et de filiation divine, d’illumination et de
rédemption, de divinisation et d’immortalité personnelles, ils
prétendaient assurer aux fidèles le contact direct ave la
divinité, et l’espoir d’une survie bienheureuse. Ils témoignaient
en outre, par le biais d’une dévotion souvent dirigée sur un seul
dieu, d’une aspiration au monothéisme très prononcée. A
l’intérieur de chaque « secte », le dieu sauveur était
ainsi conçu comme supérieur à toutes les autres divinités et
tendait à les éclipser. Mais il y a plus, les analogies de fond et
de forme qui existaient entre tous les cultes conduisirent à penser
que sous les noms d’Attis, de Mithra, etc., le même « Dieu »
se manifestait, qu’on le considère comme le « Dieu véritable »,
ou comme un simple intermédiaire important peu. Ceci explique
pourquoi les tentatives d’Héliogabale (203-222) d’imposer un
« dieu unique » – « Il
fit construire et consacra à Héliogabale un temple sur le mont
Palatin auprès du palais impérial ; il y fit transporter
tous les objets de la vénération des Romains : la statue de
Junon, le feu de Vesta, le Palladium et les boucliers
sacrés. […] Il disait en outre que les religions des Juifs et des
Samaritains, ainsi que le culte du Christ, seraient transportés en
ce lieu, pour que les mystères de toutes les croyances fussent
réunis dans le sacerdoce d’Héliogabale »
(cf. Aelius
Lampridius, Histoire
Auguste ; Vie d’Antonin Héliogabale)
-, recevront de fait, leur consécration officielle grâce à
Aurélien (270-275), qui sut habilement réaliser le syncrétisme
devenu inévitable. D’ailleurs, il choisit pour divinité
suprême Sol
Invictus, dans lequel
les fidèles des diverses sectes pouvaient reconnaître aussi bien
Baals, qu’Attis, Osiris, Bacchus, Mithra et le Christ. En fait,
l’Empire été prêt à accueillir le christianisme comme les autres
religions, cela est si vrai, que c’est au nom même du syncrétisme
et de l’intérêt de l’État que fut proclamée, en 313, l’égalité
de la religion chrétienne avec la religion officielle par le
rescrit de Licinius : « Nous
avons cru, est-il dit, devoir donner le premier rang en ce
qui concerne le culte de la divinité, en accordant aux chrétiens
comme à tous, la libre faculté de suivre la religion qu’ils
voudraient, afin que tout ce qu’il y a de divinité au ciel pût
nous être favorable et propice, à nous et à tous ceux, qui sont
sous notre autorité» (cf.
P. Grimal, La
civilisation romaine,
Arthaud, 1960), ceci, avant que le 27 février 380, « l’édit
de Thessalonique »
ne soit décrété par Théodose Ier
(347-395), faisant du
christianisme la religion officielle de l’Empire. Le testament
religieux du paganisme gréco-romain finissant, n’était donc pas
étranger au christianisme naissant, et les Pères de l’Eglise ne
s’y sont pas trompés, qui ont vu en lui l’une des voies
préparatoires que Dieu proposa aux hommes pour découvrir son
visage. La religion même des païens, pour Blaise Pascal
(1623-1662), et il pense à certains païens dont Épictète
(55-135) en particulier – ont « connu
Dieu », lui
donnant de dire, à la suite de saint Augustin : « quod
curiositate cognoverunt » [Sermon 141,
2].
20
J.
Boehme, De
Signatura rerum
(1622), II. 14.
21
« … si
élevé au-dessus de tout mode et de toutes puissances est cet
unique Un, que jamais puissance ni mode, ni Dieu lui-même ne
peuvent y regarder. En bonne vérité et aussi vrai que Dieu vit !
Dieu lui-même n’y regardera jamais, ne fut-ce qu’un clin d’œil, et
il n’y a encore jamais regardé, dans la mesure où II agit selon le
mode et la propriété de ses Personnes. Il faut bien remarquer
cela, car cet unique Un n’a ni mode ni propriété. C’est pourquoi,
si Dieu veut jamais y jeter un regard, cela lui coûtera
nécessairement tous ses noms divins et ses propriétés
personnelles. Il lui faudra tout laisser à l’extérieur, s’il veut
jamais regarder à l’intérieur. Mais c’est en tant qu’II est un
‘‘Un’’ simple,
sans mode ni propriété, là où II n ‘est ni Père, ni Fils, ni
Saint-Esprit, et cependant en tant qu’il est un quelque chose qui
n’est ni ceci, ni cela, oui, voyez ! ce n’est qu’autant qu’il est un
et simple qu’il pénètre dans cet Un, que j’appelle un
‘‘château fort dans l’âme’’ ;
et il n’y peut entrer d’aucune autre manière ; ce n’est qu’ainsi
qu’il y pénètre et s’y installe. »
(Maître Eckhart, Predigt
2, trad. A. de Libéra,
Maître Eckhart, Traités
et sermons (GF, 703),
Paris, Garnier-Flammarion, 1993, p. 236).
22
On retrouve la
formulation de ce mode dans le célèbre Sermon
71,
où Eckhart relate la conversion de Paul sur le chemin de Damas :
« ‘Paul se releva de terre et, les yeux ouverts, il ne
vit rien’ Je
ne saurai voir ce qui est Un. Il ne vit rien, c’était Dieu. Dieu
est un néant et Dieu est un quelque chose. Ce qui est quelque
chose, cela est aussi néant. Ce qui est Dieu, il l’est
pleinement. »
(Sermont
71,
in Maître Eckhart, Sermons
LXI à XC,
Albin Michel, 2000, p. 95).
23
Thierry de Freiberg,
De
ente et essentia,
II, 2, 2.
24
Maître Eckhart, Predigt
83, op.cit., p. 154.
25
Ce courant spirituel à l’origine duquel se trouve Miguel de
Molinos (1628-1696), prêtre espagnol, qui se signala par une
direction spirituelle dans laquelle on privilégiait fortement la
« quiétude »,
c’est-à-dire le total repos de l’âme en Dieu, l’oraison passive,
l’abandon et la remise complète de l’esprit dans la « nuit
obscure » de la foi, eut une influence significative, et
trouva un écho auprès des théosophes, qui tenaient les
différentes figures de cette sensibilité mystique en haute estime.
La
« Guia
Espiritual »
(Guide
spirituelle),
publiée par Miguel Molinos en 1675, résume les positions de ce
courant original qui influença, en France notamment, des
personnalités comme François Malaval (1627-1719), le cardinal de
Fénelon (1651-1715) et Madame Guyon (1648-1717), cette dernière
ayant diffusé lors de ses voyages, une méthode « courte
et facile de faire oraison »,
soit une prière passive et silencieuse d’entière remise et
d’abandon de l’esprit en Dieu. Le quiétisme fut condamné en
1687 par Innocent XI, ce qui aura pour conséquence de jeter pendant
de longues décennies, une suspicion sur cette « voie »
d’oraison intérieure, qui trouva cependant refuge auprès des
cercles ésotériques, qui en cultivèrent les principes, et
développèrent à la fois une attitude d’abandon de la volonté
propre avec des spéculations théosophiques.
26
Adolphe
Levée (1911-1991, en
religion Frère
Elie, moine trappiste disciple de René Guénon (1886-1951),
affirmait : « Oui
il y a un corps de doctrine purement ésotérique à l’intérieur
du christianisme, c’est certain car il y a eu un énoncé de la
bouche même du Christ. Le christianisme n’est pas seulement cette
doctrine à coloration sentimentale, destinée à convertir le plus
grand nombre d’êtres, mais aussi il renferme en soi, ou du moins
il a renfermé en soi à l’origine, tout un énoncé de
Connaissance auquel nous n’avons plus accès à l’heure actuelle
et qui est tout à fait comparable aux énoncés ésotériques des
autres religions ou traditions. Car Dieu lorsqu’il se manifeste,
le fait toujours sous les deux aspects ; Il parle aux foules et
il donne aussi accès à qui peut l’entendre, aux mystères qui
président à la création. »
(Cf. Y. Le Cadre, Frère
Elie Lemoine et René Guénon,
in Il
y a cinquante ans René Guénon,
éd. Traditionnelles, 2001, p. 166).
27
Instruction
pour les Chevaliers Bienfaisants de la Cité Sainte,
1784, Bibliothèque Municipale de Lyon, Fonds Willermoz, MS 5921.
28
Le terme « Discipline
de l’Arcane » provient, non du vocabulaire de l’Église
antique, mais semble avoir été introduit dans la littérature
théologique au XVIIème
siècle
par Jean Daillé (1594-1670), théologien réformé, puis trouva,
sous la plume de Fénelon, qui désigne du nom de « tradition
secrète des mystiques »
ce à quoi correspond cette « disciplina
arcani »,
ou « gnose », un ardent avocat. Dans le
manuscrit intitulé « Le
Gnostique de saint Clément d’Alexandrie »
(1694) – manuscrit inédit conservé aux Archives de Saint-Sulpice,
puis publié pour la première fois, précédé d’une longue
introduction, par le R.P. Paul Dudon, s.j., (1859-1941) en 1930 dans
la collection des « Études de Théologie Historique »
(Paris, Gabriel Beauchesne éditeur) -, Fénelon soutient que le
Père grec, canonisé par l’Église (150-215), affirme que « la
gnose est fondée sur une tradition secrète »,
ancienne et authentique qui provient des premiers siècles du
christianisme.
29
« Le
Néant a faim du Quelque Chose et la faim est le désir, sous forme
du premier « Verbum
fiat
» ou du premier faire, car le désir n’a rien qu’il puisse
faire ou saisir. Il ne fait que se saisir lui-même et se donner à
lui-même son empreinte, je veux dire qu’il se coagule, s’éduque
en lui-même, et se saisit et passe de l’Indéterminé au
Déterminé et projette sur lui-même l’attraction magnétique
afin que le Néant se remplisse et pourtant il ne fait que rester le
Néant et en fait de propriété n’a que les ténèbres; c’est
l’éternelle origine des ténèbres : Car là où il existe une
qualité il y a déjà quelque chose et le Quelque Chose n’est pas
comme le Néant. Il produit de l’obscurité, à moins d’être
rempli de quelque chose d’autre (comme d’un éclat) car alors il
devient de la lumière. Et pourtant en tant que propriété il reste
une obscurité. »
(J. Böhme, Mysterium
Magnum,
III, 5, trad. N. Berdiaeff, Paris, Aubier Éditions Montaigne, 1945,
t. I, p. 63).
30
René Guénon, Aperçus
sur l’initiation, Éditions
Traditionnelles, 1946 ; Initiation
et Réalisation spirituelle,
Éditions
Traditionnelles, 1952 ;
Études sur la franc-maçonnerie et le compagnonnage,
Éditions Traditionnelles, 2 vol., 1964.
31
« En
tout cas, il y a là une pénétration de l’esprit moderne jusque
dans ce à quoi il s’oppose radicalement par définition même et
il n’est pas difficile de comprendre quelles peuvent en être les
conséquences dissolvantes, même à l’insu de ceux qui se font,
souvent de bonne foi et sans intention définie, les instruments
d’une semblable pénétration; la décadence de la doctrine
religieuse en Occident, et la perte totale de l’ésotérisme
correspondant, montrent assez quel peut en être l’aboutissement
si une pareille façon de voir vient quelque jour à se généraliser
jusqu’en Orient même; il y a là un danger assez grave pour qu’il
soit bon de le signaler pendant qu’il en est encore temps. »
(René Guénon, Le
Règne de la quantité et les signes des temps,
ch. XII « La haine du secret », Gallimard, 1945 ;
2ème
éd. 1972, p. 86).
32
R.
Guénon, Aperçus
sur l’initiation,
op.cit.,
p. 17.
33
M.
Eliade, Naissances
Mystiques,
Essai
sur quelques types d’initiation,
Gallimard, 1959, p. 9.
34
M.
Eliade, Histoire
des croyances et des idées religieuses,
3 vol., Payot, 1976, t.1, p. 307.
35
Joseph
de Maistre, prophète du christianisme transcendant,
Éditions Signatura, 2015.
36
La position de
Maistre, telle qu’exprimée dans son ouvrage « Du
Pape »
(1819), à savoir la suprématie absolue du spirituel sur le
temporel, est fondée sur un axiome de base : le pouvoir
ecclésiastique est la source de toute autorité, c’est
l’institution la plus vénérable et sainte qui fut jamais donnée
aux hommes, parce qu’elle détient la mission, du point de vue
surnaturel, de la garde de la « Révélation », dépôt
sacré confié par le Christ lui-même à l’apôtre Pierre, évêque
de Rome et premier pape. Mais elle se double d’un autre point, de
nature politique, inspiré de Grégoire VII tel qu’exprimé
en 1075 dans ses Dictatus
papae,
s’appuyant également sur les thèses de l’augustinisme telles
que développées par Méliton de Sardes (IIe
siècle) Eusèbe de Césarée (v. 265–339), et les partisans
médiévaux de la théocratie pontificale dont, en particulier,
Gilles de Rome (1247-1316) : le
pape est le maître absolu, car en tant qu’héritier,
par Constantin, du cadre civilisateur de l’Empire romain, il
représente le « Pontifex
maximus »,
faisant que tous les détenteurs d’un pouvoir temporel au sein de
la chrétienté lui doivent soumission et obéissance, puisque le
pontife romain est le seul titulaire légitime de l’Empire. Ainsi
donc, et en conséquence pour Maistre : « L’Empereur
ayant disparu avec le Saint Empire, ne demeure que le « Sacerdoce
Suprême » pour se voir dévolu l’archétype éternel du
Saint Empire et le restaurer. »
(G. Durand, Un
Comte sous l’acacia : Joseph de Maistre,
éditions Maçonniques de France, 1999, p. 107). La phrase de
l’épigraphe qui figure sur la page de garde du livre « Du
Pape »,
extraite du poème homérique « l’Iliade »,
révèle d’ailleurs clairement la pensée du comte savoisien,
indiquant sans détour : « Trop
de chefs vous nuiraient ; qu’un seul homme ait l’Empire… »
(Homère, Iliade,
II v. 204 sq.).
37
Précisons que l’on
parle d’un « Régime », et non d’un Rite comme
habituellement, lorsqu’est évoquée l’architecture complète
d’un système initiatique, incluant ses aspects organisationnels,
mais également doctrinaux.
38
Qui suis-je ?
Maistre,
Pardès, 2003.
39
Note de Joseph de
Maistre,
(1816). Dossier « Illuminés »,
archives du comte Rodolphe de Maistre.
40
J. Rebotton,
Introduction,
in, Joseph de Maistre, Oeuvres,
vol. II, éd. Slatkine, 1983, p. 27.
41
J. de Maistre, Quatre
chapitres sur la Russie,
Ch. IV, « De l’illuminisme », Lib. D’Auguste Vaton
éditeur, 1859, p. 95.
42
Lors de la réédition par
Émile Dermenghem de son
« Joseph de Maistre
mystique » (1re
éd., La Connaissance, 1923, 2ème
éd., La colombe, 1947), Guénon soulignait : « [Émile
Dermenghem] expose d’une
façon aussi complète que possible la carrière maçonnique de
Joseph de Maistre, ses rapports avec les organisations initiatiques
rattachées à la Maçonnerie de son temps et avec divers
personnages appartenant à ces organisations, et l’influence
considérable que leurs doctrines exercèrent sur sa pensée. Le
tout est fort intéressant, et d’autant plus que les idées
religieuses et sociales de Joseph de Maistre ont été le plus
souvent fort mal comprises, voire même parfois entièrement
dénaturées et interprétées dans un sens qui ne correspondait
nullement à ses véritables intentions ; la connaissance des
influences dont il s’agit pouvait seule permettre la mise au point
nécessaire. » (R.
Guénon, Comptes-rendus,
Études Traditionnelles,
Juin 1947, in
Études sur la Franc-maçonnerie et le Compagnonnage,
t. II, 1964, p. 120).
43
R. Guénon, Un
projet de Joseph de Maistre pour l’union des peuples,
Vers l’Unité, mars
1927, in Études sur la
Franc-maçonnerie et le Compagnonnage,
t. I., op.cit.,
p. 8.
44
R. Guénon, Symboles
de la Science Sacrée,
ch. XI ‘‘Les Gardiens de la Terre Sainte’’, Gallimard, 2000,
pp. 87.
45
« …on
ne peut rien connaître de positif et de certain […] si l’on ne
remonte pas jusqu’à la source radicale de la révélation de
toutes ces institutions… »
(L.-C. de Saint-Martin, De
l’esprit des choses,
t. I, « Traditions-mères ».)
46
J. de
Maistre, Mémoire
inédit au duc de Brunswick, (1782),
§ « les mystères antiques ».
47
Guénon considère
qu’il y a une complémentarité d’ordre symbolique entre les
deux branches représentées par Caïn et Abel, et que ces deux
tendances ont vocation à coexister éternellement à l’intérieur
de la « Manifestation », en tant que participant de la
nature même de la « première
dualité », divisée
entre essence et substance, Ciel et Terre, ou encore en sanskrit
« Purusha »
et
« Prakriti » :
« Chacune
de ces deux catégories avait naturellement sa loi traditionnelle
propre, différente de celle de l’autre, et adaptée à son genre
de vie et à la nature de ses occupations ; cette différence se
manifestait notamment dans les rites sacrificiels, d’où la
mention spéciale qui est faite des offrandes végétales de Caïn
et des offrandes animales d’Abel dans le récit de la Genèse
[…] les
aspects correspondant à ces deux points de vue sont inclus l’un
et l’autre dans son sens profond, et ce n’est là en somme
qu’une application du double sens des symboles, application à
laquelle nous avons du reste fait une allusion partielle à propos
de la « solidification », puisque cette question, comme on le
verra peut-être mieux encore par la suite, se lie étroitement au
symbolisme du meurtre d’Abel par Caïn […] On retrouve ainsi la
correspondance des principes cosmiques auxquels se rapporte, dans un
autre ordre, le symbolisme de Caïn et d’Abel : le principe de
compression, représenté par le temps ; le principe d’expansion,
par l’espace […] Or le temps use l’espace, si l’on peut
dire, affirmant ainsi son rôle de « dévorateur » ; et de même,
au cours des âges, les sédentaires absorbent peu à peu les
nomades : c’est là, comme nous l’indiquions plus haut, un sens
social et historique du meurtre d’Abel par Caïn
[…]
Voici donc où se manifeste le complémentarisme des conditions
d’existence : ceux qui travaillent pour le temps sont stabilisés
dans l’espace ; ceux qui errent dans l’espace se modifient sans
cesse avec le temps. Et voici où apparaît l’antinomie du « sens
inverse » : ceux qui vivent selon le temps, élément changeant et
destructeur, se fixent et conservent ; ceux qui vivent selon
l’espace, élément fixe et permanent, se dispersent et changent
incessamment. Il faut qu’il en soit ainsi pour que l’existence
des uns et des autres demeure possible, par l’équilibre au moins
relatif qui s’établit entre les termes représentatifs des deux
tendances contraires
; si
l’une ou l’autre seulement de ces deux tendances compressive et
expansive était en action, la fin viendrait bientôt, soit par «
cristallisation », soit par « volatilisation », s’il est permis
d’employer à cet égard des expressions symboliques qui doivent
évoquer la « coagulation » et la « solution » alchimiques, et
qui correspondent d’ailleurs effectivement, dans le monde actuel,
à deux phases dont nous aurons encore à préciser dans la suite la
signification respective. Nous sommes ici, en effet, dans un domaine
où s’affirment avec une particulière netteté toutes les
conséquences des dualités cosmiques, images ou reflets plus ou
moins lointains de la première dualité, celle même de l’essence
et de la substance, du Ciel et de la Terre, de
Purusha
et de
Prakriti,
qui
génère et régit toute manifestation. »
(R. Guénon, Le
Règne de la quantité et les signes des temps,
Chapitre XXI – « Caïn et Abel », op.cit.,
pp. 142-149).
48
J. de
Maistre, Essai
sur le principe générateur des constitutions politiques,
(1809).
49
Ce déchirement souligne Hegel, est
inscrit non pas dans une réalité extrinsèque, mais à
l’intérieur-même de l’essence de l’Absolu : « L’Esprit
conquiert sa vérité seulement à condition de se retrouver
soi-même dans l’absolu déchirement
[Er gewinnt seine Warheit
nur, indem er in der obsoluten Zerrissenheit sich selbst findet]»
(Hegel, Phänomenologie
des Geistes, éd.
Hoffemeister, 1929, p. 30).
50
M. Heidegger, Lettre
sur l’humanisme,
Aubier, 1957, p. 184.
51
Origène, dont Maistre fut le
premier à faire remarquer que « l’opinion
d’Origène […] est encore aujourd’hui la base de toutes les
initiations modernes. »
(Mélanges
B, p. 302),
considérait que la création était une descente, une
« dégradation ». Il écrit : « …
sont descendues de haut en bas non seulement les âmes qui l’ont
mérité par leurs mouvements divers, mais encore celles qui pour
servir cemondeont
été menées, bien que ne le voulant pas, de ces réalités-là,
supérieures et invisibles, à ces réalités-ci, inférieures et
visibles. À la vanité en effet la création est soumise, sans
qu’elle le veuille, mais à cause de celui qui l’a soumise, dans
l’espoir, afin que le soleil, lalune,
les étoiles et lesangesdeDieu
accomplissent leur
ministère envers lemonde:
pour ces âmes qui, à cause des trop grandes défaillances de
leursintelligences,
eurent besoin de cescorpsplus
épais et plus solides, et en vue de ceux à qui cela était
nécessaire, cemondevisible
a été institué. À cause de cela, par la signification de ce mot
katabolè (καταβολή)
est indiquée la descente
de tous du haut en bas. »
(Origène, Traité des
Principes, Livre III, 8e
traité, III, 5-6).
52
J. Evola, Le
chemin du Cinabre,
Éditions Arché-Arktos, 1983, p. 197. Evola rajoute plus loin :
« …je reviens sans
équivoque sur le détachement de toute finalité pratique. Il
n’existe plus rien, dans le domaine politique et social, qui
mérite vraiment un total dévouement et un engagement profond.
L’apolitia doit
être la règle de l’homme différencié. »
(Ibid.,
p. 201).
53
En
plaçant la « Possibilité »
au-dessus de l’Être, Guénon élabore une métaphysique
non-dualiste de l’au-delà de l’Être, en accordant
« l’infinité » à la seule « Possibilité » :
« la Possibilité est en réalité identique à l’Infini.»
(R.
Guénon, Les
états multiples de l’être,
Véga, 1980, p. 31).
L’Être n’est donc
pas infini, puisqu’il ne coïncide pas avec la Possibilité totale,
le véritable Infini, c’est la Possibilité universelle qui contient
à la fois l’Être et le Non-Être. L’Être et le Non-Être sont
donc les deux faces, les deux « aspects » de la
« Possibilité universelle » qui, en elle-même,
représente la « totalité » absolue.
Lire
à ce sujet :
-
« La
Métaphysique de René Guénon »,
Le mercure Dauphinois, 2005, IIIème
Part. « Le Non-Être » : ch. I – « Le
nécessaire dépassement de l’ontologie» ;
ch. II- « Approche du Non-Être » ; ch. IV –
« L’insaisissable mystère originel ». -
« Le
Mystère de l’Église intérieure »,
La Pierre Philosophale, 2016, Appendice III : « Dualisme
médiéval et « non-dualisme » métaphysique ».
54
J.
Boehme,Mysterium
Magnum,III,
5.
55
J. de Maistre, Les
Soirées de Saint-Pétersbourg,
IXe
Entretien (1821).
56
Formulation saisissante de Joseph
de Maistre : « Il
n’y a que violence dans l’Univers; mais nous sommes gâtés par la
philosophie moderne, qui nous a dit que tout est bien, tandis que le
mal a tout souillé, et que dans un sens très vrai,
tout est mal, puisque
rien n’est à sa place. La note tonique du système de notre
création ayant baissé, toutes les autres ont baissé
proportionnellement, suivant les règles de l’harmonie.
‘‘Tous les êtres gémissent’’ (Rom., VIII, 18) et
tendent avec effort et douleur vers un autre ordre de choses. »
(Les Soirées de
Saint-Pétersbourg,
op.cit.).
57
J. Boehme,Mysterium
Magnum,III,
5.
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