Malheureusement, de l’endroit où nous étions, on ne pouvait manquer de voir l’hôtel de Caux. Stiller ne put s’empêcher de reprendre sa litanie. Voilà son point de vue: «Ils font des miracles là-haut, ça ne fait pas de doute, ils fabriquent du christianisme, pas avec les pauvres pour une fois, mais avec des riches, ce qui rapporte apparemment davantage, et ils arrivent à obtenir d’une canaille, après qu’elle a bien dépouillé son monde, qu’elle fasse un retour sur soi et débourse deux, trois, quatre ou neuf millions pour assurer la paix à son âme ou tout au moins dans le but d’opposer au communisme une idéologie meilleure, la canaille en question ne garde pour elle qu’un seul million, juste de quoi ne pas être à charge à la communauté sur ses vieux jours ; moi, je ne peux souffrir cette sorte de christianisme ; sept millions, disent-ils, c’est mieux que rien, et tout cela restitué avec une telle bonne grâce, vois-tu, que les travailleurs de tous les pays, s’ils avaient quelque tact, ne devraient jamais s’attaquer à ce genre de canaille, car enfin, il est prouvé là-haut, dans cet hôtel, qu’une canaille de capitaliste peut soudain faire un retour sur elle-même et améliorer le monde de l’intérieur, donc s’il vous plaît si vous souhaitez que le monde devienne meilleur, surtout pas de révolution.
— Max Frisch, Stiller (1954)
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