Une autre cantine est possible, un nouveau métier de cuisinier est à inventer ! — Paul ARIES, Pierre-Yves ROMMELAERE, Marc PERRENOUD

Une autre cantine est possible, un nouveau métier de cuisinier est à inventer ! — Paul ARIES, Pierre-Yves ROMMELAERE, Marc PERRENOUD

La loi EGalim de 2018 impose depuis le 1er janvier 2022 à la restauration collective publique de proposer au moins 50% de produits durables et de qualité dont au moins 20% de produits bio. Créé pour l’occasion, le Conseil national de la restauration collective rassemble des syndicats agricoles, des transformateurs-distributeurs, des experts santé, des parents d’élèves, des grands acteurs privés tels que le Syndicat national de la restauration collective, mais pas de cuisiniers. Dans le monde de la cuisine de collectivité, ces derniers sont systématiquement invisibilisés par tous les autres acteurs qui définissent le fonctionnement de la cantine. S’il en est ainsi, c’est en grande partie parce que le métier de cuisinier de collectivité est encore à inventer, comme nous l’indiquons dans Une autre cantine est possible. Pour en finir avec dix idées reçues sur la cuisine de collectivité, publié l’été dernier aux éditions du Croquant.

Des savoir-faire spécifiques

La cuisine à la cantine n’a pas grand-chose à voir avec la haute cuisine gastronomique. L’impératif socio-économique de maîtrise des coûts et la nécessité de servir rapidement des centaines de convives dans le cadre d’un service public entrent en contradiction avec l’idée classique de la gastronomie. En outre, la représentation de la cantine dans la culture populaire contemporaine est toujours négative : « la cantine, c’est mauvais », « il n’y a pas de vrais cuisiniers », « trop de contraintes sanitaires et économiques » etc.

La cantine est-elle ainsi condamnée à la médiocrité, au renoncement à bien cuisiner pour les professionnels et à bien se nourrir pour les usagers ? Non, évidemment. La cuisine de collectivité est un métier à part entière. D’abord parce que nourrir les enfants de sa ville, de son village, de son canton, et pas les clients d’un restaurant commercial, c’est pour beaucoup de cuisiniers la plus belle façon de faire ce métier. Et puis parce qu’il ne s’agit pas d’une version dégradée, faute de moyens et de temps, de la cuisine gastronomique et commerciale, mais d’un ensemble de compétence professionnelles spécifiques. Travailler des produits bruts et de saison pour maintenir un faible coût-matière, éplucher, tailler et cuire les légumes au lieu d’acheter du surgelé industriel prêt à l’emploi, cela s’apprend. Tout comme cuire 40kg de spaghetti qui resteront al dente, ou 300 œufs mollets dont chacun aura la bonne consistance.

La formation professionnelle comme solution

Dans les cantines scolaires qui ne sont pas déléguées ou concédées à des prestataires privés, on trouve des agents de la fonction publique territoriale de catégorie C. Le Chef de cuisine, responsable de l’alimentation de centaines d’élèves, a le même statut, le même salaire et la même reconnaissance que les personnels les agents d’entretien. On considère que, par défaut, la personne responsable de la cuisine n’est pas particulièrement qualifiée pour ce travail et qu’il faut surtout lui donner des tâches simples à exécuter. Mais cette situation est de moins en moins courante, tant les cas de Chefs en restauration commerciale qui se reconvertissent dans la cuisine de collectivité se sont multipliés. On a alors affaire à des professionnels en reconversion. En outre, supposer que les équipes n’ont pas les compétences pour cuisiner et s’en tenir là relève d’un renoncement désolant.
La formation professionnelle, initiale ou continue, est le levier principal pour faire évoluer les pratiques. On pourrait imaginer des filières de formation qui incluent le travail avec les fournisseurs, encouragent le développement du circuit court avec les agriculteurs locaux. Il existe des formations qui n’enseignent pas comment utiliser les produits des industriel (œufs en poudre etc.), mais qui développent des techniques spécifiques à la grande quantité, des filières d’approvisionnement locales, des stratégies de maintien des prix au plus bas, d’anti-gaspillage, de cuisson juste. Cette approche et ces connaissances sont pour l’instant partagées lors de modules simples et courts de formation continue dispensés par des associations, mais elles pourraient être intégrées à la formation professionnelle spécifique des cuisiniers de collectivité.

La cantine comme lieu citoyen

A la cantine on ne sert pas des clients mais des usagers d’un service public, des enfants scolarisés à qui il faut transmettre des éléments d’éducation alimentaire, par exemple sur le plan écologique, en expliquant le trajet d’une banane avant qu’elle arrive sur un plateau de self (et donc pourquoi on va dorénavant privilégier les pommes de la région). On peut même envisager d’impliquer d’autres acteurs de l’équipe pédagogique, les enseignants de géographie pour l’exemple précédent, ou bien réaliser un repas « médiéval » ou « romain » avec les historiens ou les latinistes, ou encore faire construire un « gâchimètre » par les élèves en classe de technologie pour mesurer la quantité de pain jeté tous les jours… Ainsi, l’équipe de cantine se retrouve intégrée à la communauté éducative au lieu d’être enfermée dans sa cuisine avec ses préparations médiocres. C’est bien toute une éducation à l’alimentation qui passe par la cantine, y compris dans le rapport à l’équilibre alimentaire. Enfin, dans le réfectoire lui-même, on sait que le fait de rompre avec la logique du self-service qui s’est principalement imposée à la cantine pour des raisons budgétaires, permet de limiter le gaspillage et de retrouver la commensalité, le vivre et manger ensemble.
Au-delà de l’espace de la cuisine elle-même, c’est donc l’organisation de la cantine qui doit être pensée comme un monde social à part entière, un monde dans lequel on apprend aussi la citoyenneté.

Il est important de mutualiser déjà toutes les expériences positives.Développer ce nouveau métier de cuisinierdu quotidien, pourrait être le moyen de faire évoluer un secteur de la restauration collective très largement contrôlé par les industriels. Le métier de cuisinier de collectivité pourrait alors constituer un levier important pour la transition alimentaire et agricole. S’approvisionner localement pour réduire les émissions carbones, lutter contre la malbouffe et les maladies chroniques, devenir un lieu d’apprentissage au goût et au partage… la cantine est un lieu de lutte pour une cuisine sociale !

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Source: Lire l'article complet de Le Grand Soir

À propos de l'auteur Le Grand Soir

« Journal Militant d'Information Alternative » « Informer n'est pas une liberté pour la presse mais un devoir »C'est quoi, Le Grand Soir ? Bonne question. Un journal qui ne croit plus aux "médias de masse"... Un journal radicalement opposé au "Clash des civilisations", c'est certain. Anti-impérialiste, c'est sûr. Anticapitaliste, ça va de soi. Un journal qui ne court pas après l'actualité immédiate (ça fatigue de courir et pour quel résultat à la fin ?) Un journal qui croit au sens des mots "solidarité" et "internationalisme". Un journal qui accorde la priorité et le bénéfice du doute à ceux qui sont en "situation de résistance". Un journal qui se méfie du gauchisme (cet art de tirer contre son camp). Donc un journal qui se méfie des critiques faciles à distance. Un journal radical, mais pas extrémiste. Un journal qui essaie de donner à lire et à réfléchir (à vous de juger). Un journal animé par des militants qui ne se prennent pas trop au sérieux mais qui prennent leur combat très au sérieux.

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