par Roland Klohi.
Une nouvelle donne est manifestement en train de se dessiner en Afrique de l’Ouest, qui interroge sur la nécessité de réévaluer le système de gouvernance hérité de l’Occident. Elle pourra « précipiter sur le devant de la scène des pays comme la Russie, la Chine ou la Turquie », selon l’universitaire franco-congolais Lucien Pambou.
L’Afrique de l’Ouest connaît ces dernières années des bouleversements sociopolitiques et sécuritaires majeurs. Au Mali, en août 2020, puis en Guinée, en septembre 2021, les militaires ont pris le pouvoir, avec plus ou moins l’assentiment des populations. Et tout récemment, le Burkina Faso qui fait face à la plus grave crise sécuritaire de son histoire a lui aussi été aspiré par cette spirale ayant déjà englouti ses deux voisins. Mais ce n’est pas tout, d’autres États comme le Niger présenteraient également des signes avant-coureurs déjà observés dans les pays précités, où des Présidents « démocratiquement élus » -mais dont l’élection a été tout de même contestée-, ont été renversés.
Ce sont là autant de situations qui suscitent quelques interrogations: la démocratie à l’occidentale peut-elle être plaquée telle quelle aux pays africains? N’est-il pas temps pour ces derniers d’envisager de nouveaux systèmes de gouvernance plus en phase avec leurs réalités?
Questionné par Sputnik, Lucien Pambou, professeur de sciences économiques et politiques, chargé d’enseignement à l’université Paris XIII, soutient que « ce à quoi nous assistons actuellement dans la partie ouest du continent africain est la fin du modèle de gouvernance français, qui était depuis longtemps à bout de souffle ».
« La colonisation française a légué aux États africains un modèle d’élection et de démocratie fondé sur l’imitation, qui n’a jamais fonctionné. S’il a parfois semblé fonctionné, ce n’est uniquement qu’en vertu des rapports de force, car il fonde l’exercice du pouvoir sur la force de domination d’un clan sur d’autres. On imite [l’ancien colon, ndlr], son organisation politique, mais sans en avoir la substance. Et dans chaque pays, on réintroduit dans ce modèle hérité des particularismes contestés par d’autres ethnies ou clans. C’est là le problème numéro un qui fait que les choses ne marchent pas. Un deuxième problème, d’ordre sociopolitique et économique, est celui de la non-répartition des richesses. Le clan qui arrive aux affaires a tendance à tout s’accaparer », explique-t-il.
Selon l’universitaire franco-congolais, quand on analyse de très près pourquoi l’Afrique va de coup d’État en coup d’État, « on s’aperçoit que des problématiques cruciales comme l’aménagement du territoire, la création d’entreprises et d’emplois, la lutte contre la pauvreté et la corruption… n’existent qu’en apparence quand, pendant ce temps, ce qui existe bien par contre, c’est la mainmise sur les richesses ».
Le cas particulier du Sénégal
En Afrique de l’Ouest, le Sénégal a toujours fait figure de modèle de démocratie et de stabilité politique. Contrairement à tous ses voisins, la Gambie, le Mali, la Mauritanie, la Guinée et la Guinée-Bissau, ce pays n’a jamais connu de coup d’État -bien que la crise institutionnelle de décembre 1962 puisse être assimilée à un coup d’État ne disant pas son nom. Une exception que Lucien Pambou explique par les fondements mêmes de la société sénégalaise.
« Depuis son accession à l’indépendance en 1960, quatre Présidents se sont succédé au Sénégal, et l’armée joue son rôle de gardien des institutions. Le Sénégal est un pays multiconfessionnel quoique majoritairement musulman. Toutes les religions sont absolument tolérées. Il faut rappeler que le premier Président, Léopold Sédar Senghor, était catholique. Il y a des confréries [musulmanes, ndlr] influentes comme celles des Tidjanes ou des Mourides qui stabilisent l’espace politique et civil. Et les associations et organisations de la société civile ont une connotation plus politique qu’ethnique. Ce pays est donc politiquement en avance sur de nombreux autres. Les récentes municipales l’ont encore démontré, le Président Macky Sall et la majorité présidentielle ont connu un revers dans la capitale Dakar et d’autres grandes villes comme Ziguinchor, et il n’y a pas eu de contestations », souligne l’analyste.
Un changement de système pas si évident
Pour Lucien Pambou, vu que le modèle démocratique tel que transmis par la France ne fonctionne pas, il convient désormais pour les États africains de changer de modèle ou de déterminer celui qu’ils veulent ou sont capables d’appliquer.
« C’est pourtant là une situation complexe, car changer de modèle implique qu’il y en a au moins un de tout prêt, ce qui n’est évidemment pas le cas. Il faudrait dès lors qu’il y ait des historiens, des économistes, des sociologues, des politiques… qui fassent tout ce travail de réflexion et d’organisation politique sur le long terme. Et c’est loin d’être une tâche aisée, car en Afrique, la connaissance est toujours regardée de façon méfiante par les autorités », soutient le professeur.
En attendant, prévient-il, « la nouvelle donne actuellement observée en Afrique de l’Ouest risque, à terme, de modifier les relations entre les États de cette zone, ainsi que de modifier la place de la France dans la région et précipiter sur le devant de la scène des pays comme la Russie, la Chine ou la Turquie ».
« À ceci près qu’à la différence de la France, des pays comme la Russie, la Chine ou encore la Turquie n’ont pas d’ambitions hégémoniques affichées en Afrique. Tout ce qui les intéresse, c’est de pouvoir y faire du business. Et l’une de leurs grandes forces pour leur implantation progressive sur le continent réside justement dans cette posture qui tranche avec celle de la France », affirme-t-il.
source:https://fr.sputniknews.com/
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Source : Lire l'article complet par Réseau International
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