par Hakim Saleck.
Le président de l’IPSE, Emmanuel Dupuy, dénonce au micro de Sputnik un double discours américain et occidental sur la présence de sociétés militaires privées sur le continent africain. Tour d’horizon…
Qu’ont en commun les compagnies Academi, Executive Outcomes, Dyck Advisory Group, DeWe, Wagner et Sadat ? Ces entreprises sont toutes des sociétés militaires privées (SMP) présentes sur le continent africain. Respectivement, elles sont domiciliées légalement aux États-Unis, en Afrique du Sud, en Chine, en Russie et en Turquie.
Sur le continent noir, ces SMP sont… légion. Le 4 octobre 2017, lors de l’embuscade meurtrière dans l’extrême ouest nigérien, au cours de laquelle neuf militaires dont quatre membres des forces spéciales américaines ont été tués, deux voire trois SMP étaient engagées.
D’abord, indique le rapport d’enquête du Pentagone sur l’incident, un « civil chargé du renseignement », dont ni l’identité, ni la nationalité n’ont été révélées, était présent sur les lieux des combats. Selon Middle East Eye, qui se réfère à l’enquête, cet agent serait un membre d’une SMP avec laquelle travaille Washington. Ensuite, les images prises depuis un drone ont montré qu’un hélicoptère civil Bell 214 de la compagnie privée américaine Erickson Inc, stationnée au Niger, a participé à l’évacuation des blessés. Finalement, selon le chercheur et auteur David Trevithick, une autre entreprise de transport militaire privée américaine, Berry aviation, aurait été mise en alerte au moment des faits.
Vingt et une SMP employées par les Américains
Officiellement, rien que pour le Commandement des États-Unis pour l’Afrique (AFRICOM), vingt et une entreprises de sécurité militaire américaines s’affichent comme prestataires de services militaires en Afrique du Nord et au Sahel.
Si l’on ajoute à cela les SMP employées par la Minusma, la mission de protection de l’ONU, et l’ancienne force Barkhane, ce sont des dizaines de SMP qui sont déployées en Afrique du Nord et au Sahel. Elles remplissent des missions qui vont de la logistique au combat armé en passant par le renseignement. Venues de tous les continents, ces compagnies se partagent un gâteau estimé à plusieurs dizaine de millions d’euros d’appel d’offres chaque année.
Ainsi, le chercheur Emmanuel Dupuy, président de l’Institut prospective et sécurité en Europe (IPSE), s’étonne de voir le général Stephen Townsend, chef de l’Africom, n’évoquer dans une interview à Voice of America que la présence du groupe Wagner. Une mémoire d’autant plus sélective que le haut gradé ne justifie ses assertions qu’en invoquant des sources américaines classées défense. Et donc invérifiables…
« Les États-Unis évitent de mentionner les sous-traitants et les supplétifs avec lesquels ils travaillent. Néanmoins, c’est une réalité depuis près d’une vingtaine d’années. Toutes les opérations extérieures menées dans le cadre de l’OTAN ou de l’ONU s’accompagnent d’une sous-traitance », rappelle le chercheur.
Officiellement, le Mali et la Russie entretiennent des liens militaires d’État à État. C’est ce qu’a rappelé la junte au pouvoir dans un communiqué du 24 décembre 2021.
« Le gouvernement du Mali tient à préciser qu’au même titre que la mission européenne de formation (EUTM), des formateurs russes sont présents au Mali dans le cadre du renforcement des capacités opérationnelles des forces de défense et de sécurité nationales », lit-on dans le communiqué.
Ce texte oppose un « démenti formel » quant à la « prétendue » présence d’une société de sécurité privée au Mali. De son côté, Moscou n’a de cesse de rappeler que Wagner est un groupe privé.
Et Blackwater alors ?
« Sans doute » le groupe est-il présent au Mali, avance Emmanuel Dupuy. Mais, pour lui, il n’y a pas de raison de s’alarmer, comme le font de nombreux acteurs qui voient dans une présence russe – officielle ou non – au Mali, une menace pour leurs intérêts.
« Il faut continuer comme nous le faisons depuis des semaines à mettre en garde les autorités maliennes contre les conséquences que pourrait avoir l’arrivée de Wagner au Mali », affirmait au mois de décembre le ministre des Armées, Florence Parly, quelques jours avant que l’Union européenne ne sanctionne officiellement la SMP russe. Une posture politique, juge notre interlocuteur :
« L’idée selon laquelle les seuls Russes seraient sanctionnés parce qu’ils pratiquent l’externalisation à travers la présence de la SMP Wagner, qui est une réalité dans quatorze pays africains, me semble oublier que des entités comme l’Onu usent de méthodes similaires », tacle-t-il.
En définitive, « il y aurait de bons sous-traitants, ceux avec lesquels les armées occidentales travaillent, et de mauvais sous-traitants », à savoir « les groupes issus de la Russie ou de la Turquie qui remplacent parfois les SMP occidentales ». Une vision manichéenne et simpliste selon le chercheur.
La crispation autour de la présence de Wagner découlerait de ses activités passées. Ainsi, selon le général Townsend, le groupe russe ne respecterait « aucune autre règle que les siennes », ses membres « exploitent » les pays africains où ils se trouvent et commettraient des « exactions ». Reproche ultime, on accuse cette SMP d’être de mèche avec le Kremlin.
Inversement, le commandement américain omet le livre noir de ses propres sous-traitances. L’on ne compte même plus le nombre de crimes commis en Irak et en Afghanistan par la compagnie Blackwater (devenue Academi), dont les meurtres de civils se comptent par dizaines et ont été attestés par nombre d’organismes indépendants. Notamment le massacre de la place Nisour: engagés par le gouvernement américain pour fournir des services de sécurité en Irak, des employés de Blackwater escortaient un convoi de l’ambassade américaine en plein Bagdad, ils ont tiré sur des civils, faisant dix-sept morts et vingt blessés.
190 000 soldats américains déployés dans le monde
La compagnie d’Eric Prince, ancien des forces spéciales américaines qui a ses entrées au Parti républicain, a même dû changer par deux fois de nom dans l’espoir de redorer l’image d’un groupe devenu l’archétype de la compagnie de mercenaires.
« Il est aisé de focaliser l’attention sur le groupe Wagner, en oubliant que le continent africain est rempli de sous-traitant militaires », constate Emmanuel Dupuy.
D’ailleurs, rappelle le président de l’IPSE : « L’ONU préconisait dans le rapport Hippo, écrit par Lakhdar Brahimi en 2000, le recours pour des raisons budgétaires et humaines à des sociétés militaires privées. En effet, les opérations de maintien de la paix coûtent très cher et sont fortement consommatrices de casques bleus. Près de 200 d’entre eux ont trouvé la mort dans le cadre de la Minusma, mission dont le budget total est évalué à 1,2 milliard d’euros ».
De quoi attirer les soldats de fortune. Il serait « complètement illusoire » de penser que les Américains ne cherchent pas à profiter pas des conflits.
« Les US sont présents à travers 170 pays dans le monde, ils ont 190 000 soldats déployés sur la planète. Évidemment que ces hommes s’accompagnent de sous-traitants, pour la protection des bases, pour des questions de logistique, pour la délégation d’un certain nombre d’opérations, parfois même des opérations cinétiques [opérations militaires rapides jouant un rôle dissuasif, ndlr]. Et le continent africain n’est pas un continent vierge de cette réflexion », conclut-il.
source : https://fr.sputniknews.com
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Source : Lire l'article complet par Réseau International
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