Par son action au sein de différentes instances gouvernementales, le sociologue Guy Rocher a participé à l’ensemble des grands débats qui ont marqué le Québec depuis la révolution tranquille. Que ce soit en tant que membre de la commission Parent qui abolissait le cours classique et créait les écoles polyvalentes et les cégeps dans les années 60, ou en présidant le comité menant à la création d’une seconde université publique de langue française à Montréal, l’UQAM, ou encore de sa participation à l’élaboration de la Charte de la langue française (loi 101) ou de son appui plus récemment à la Charte des valeurs québécoises qui a débouché sur la loi sur la laïcité (loi 21), Guy Rocher aura été de tous les débats qui ont marqué le développement du Québec.
La biographie que Pierre Duchesne a dressé du sociologue québécois Guy Rocher, en plus de nous faire connaître cet homme hors du commun, a surtout le mérite de dresser un panorama des grands débats qui ont marqué le Québec depuis la révolution tranquille. La biographie en deux tomes trouve son intérêt premier, selon moi, en tant que livre d’histoire du Québec contemporain.
Le premier tome qui va des années 20 au début des années 60 couvre des années charnières et du sociologue et de la société québécoise, celles où l’on découvre le jeune Rocher qui, après ses études classiques au collège de l’Assomption, entrera chez les dominicains pour en sortir très vite et devenir un des dirigeants de la JEC (Jeunesse étudiante catholique) où il fera la connaissance des futurs politiciens de la révolution tranquille. On pense par exemple à Paul Gérin Lajoie qui viendra le recruter pour la commission Parent. Or, même s’il fréquente tous ces personnages politiques, il ne se laissera jamais tenter par la politique active. Ce sera sans doute sa force, de s’attacher à son rôle d’intellectuel et à son métier de professeur-chercheur.
Le second tome qui couvre les années 60 jusqu’à maintenant entre directement dans l’action sociale du sociologue. D’abord au sein de la commission Parent où le rapport conclue à la nécessité de mettre fin à la suprématie de l’Église catholique dans le domaine de l’éducation, ce qui marquera la fin des collèges classiques et la création des polyvalentes et des cégeps. On suit ensuite le sociologue durant la crise d’Octobre quand il devient indépendantiste. Et ensuite, au sein du gouvernement du Parti québécois quand il participe entre autres à l’élaboration de la politique linguistique qui débouchera sur la Charte de la langue française (loi 101). En 2014, Rocher se prononcera enfin en faveur du projet de Charte des valeurs québécoises.
Les derniers chapitres du livre portent d’ailleurs sur le projet encore controversé de la laïcité au Québec. Après la crise des accommodements raisonnables, on se rappelle que le gouvernement Charest met en place la commission Bouchard-Taylor à laquelle Guy Rocher pourtant « penseur et acteur des transformations sociales du Québec contemporain », dira Jacques Beauchemin, n’est pas invité. Guy Rocher verra d’ailleurs le rapport Bouchard-Taylor dans la ligne de la démarche trudeauiste sur le multiculturalisme. Il appuiera plus tard le projet de Charte des valeurs du gouvernement Marois juste avant que le gouvernement péquiste perde les élections au profit du parti libéral et finalement, la loi 21 sur la laïcité de l’État du gouvernement caquiste, malgré certaines réserves.
La force du livre de Duchesne est de présenter tous les débats qui ont entouré ces politiques ou projets de politiques de l’intérieur, grâce notamment à de nombreuses entrevues avec les différents acteurs concernés y compris Rocher lui-même, ses collègues, ses amis et sa famille. J’ai passé sous silence tous les chapitres qui parlent du travail de chercheur-sociologue et de la publication des livres de Guy Rocher pour me centrer sur son rôle d’acteur dans le développement du Québec. C’est là, me semble-t-il l’intérêt principal de ce livre qu’il n’est pas besoin d’être sociologue, me semble-t-il, pour apprécier!
Ayant moi-même fait mes études de sociologie à l’université de Montréal, je n’ai jamais côtoyé Guy Rocher ni ne l’ai eu comme professeur. J’ai pourtant lu une grande partie de son « Introduction à la sociologie générale » au cours de mes études. Commençant un baccalauréat en sociologie au début des années 70, j’étais plus intéressée par les théories marxistes que par le structuro-fonctionnalisme dont était proche Guy Rocher. Outre son livre d’introduction à la sociologie, il a d’ailleurs publié un livre sur Talcott Parsons qui avait été son professeur à l’Université Harvard lors de ses études de doctorat dans les années 50. Ce livre, publié en plusieurs langues, a été considéré par Parsons lui-même comme la meilleure analyse de son œuvre.
À la fin de ma lecture de la biographie de Guy Rocher par Pierre Duchesne, j’aurais envie de lire un texte mettant plus spécifiquement en évidence les liens entre les thèses sociologiques de Rocher et ses positions dans les grands débats sur le développement du Québec. Comme quoi son œuvre ouvre encore des perspectives de développement pour la sociologie au Québec.
Pierre Duchesne, Guy Rocher, Voir, Juger, Agir, tome 1 (1924-1963), Le sociologue du Québec, tome 2 (1963-2021), HMH, 2019 et 2021.
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