par Ramzy Baroud.
À première vue, la décision de l’armée israélienne de réviser ses directives pour l’ouverture du feu en Cisjordanie occupée semble déroutante. Quelle logique y aurait-il à donner aux soldats israéliens l’espace nécessaire pour tirer sur davantage de Palestiniens alors que les manuels de l’armée leur accordaient déjà une immunité quasi-totale et peu de responsabilité juridique ?
Les nouvelles règles de l’armée permettent désormais aux soldats israéliens de tirer à balles réelles – voire donc de les tuer – des jeunes Palestiniens fuyant après avoir jeté des pierres sur des voitures « civiles » israéliennes. Cela s’applique également aux situations où les « assaillants » palestiniens présumés ne tiennent pas de pierres au moment du tir.
La référence aux « civils » dans le manuel révisé de l’armée s’applique aux colons juifs israéliens armés qui ont colonisé la Cisjordanie et Jérusalem-Est occupées au mépris du droit international et de la souveraineté palestinienne. Ces colons, qui opèrent souvent comme des forces paramilitaires en coordination directe avec l’armée israélienne, mettent en danger la vie de leurs propres familles en résidant sur des terres palestiniennes occupées. Selon les normes tordues d’Israël, ces Israéliens violents, qui ont tué et blessé de nombreux Palestiniens au fil des ans, sont des « civils » » qui ont besoin d’être protégés des « assaillants » palestiniens lanceurs de pierres.
En Israël, jeter des pierres est un « crime grave » et les Palestiniens qui jettent des pierres sont des « criminels », selon Liron Libman, ancien procureur militaire en chef d’Israël, qui a commenté les nouvelles règles. Pour les Israéliens, il y a peu de désaccord sur ces affirmations, même de la part de qui remet en cause la légalité des nouvelles règles. Le point de discorde, selon Libman et d’autres, est qu’ « une personne qui fuit ne représente pas une menace », bien que, selon Libman lui-même, « la nouvelle politique pourrait potentiellement être justifiée », rapporte le Times of Israel.
Le « débat » sur la nouvelle politique d’ouverture du feu dans les médias israéliens donne la fausse impression que quelque chose de fondamental a changé dans la relation de l’armée israélienne avec les Palestiniens sous occupation. Ce n’est pas du tout le cas. Il existe de nombreux exemples quotidiens dans lesquels des Palestiniens, y compris des enfants, sont abattus en toute impunité, qu’ils aient jeté des pierres ou non, qu’ils aillent à l’école ou qu’ils protestent simplement contre la confiscation illégale de leurs terres par l’armée israélienne ou des colons armés.
Dans le village palestinien de Beita, dans le nord de la Cisjordanie occupée, huit Palestiniens non armés ont été tués depuis mai. Ce petit village a été le théâtre de manifestations régulières contre l’expansion des colonies juives et contre l’avant-poste de colonisation illégal d’Eviatar, dans la zone rurale palestinienne du mont Sabih. Parmi les victimes figure Mohammed Ali Khabisa, 28 ans, père d’un enfant de huit mois, abattu en septembre dernier.
Bien que les nouvelles règles aient beaucoup insisté sur le statut des supposées victimes israéliennes, les qualifiant de « civils », dans la pratique, l’armée israélienne a utilisé exactement la même norme pour tirer, mutiler et tuer des lanceurs de pierres palestiniens présumés, même en l’absence de colons armés.
Un cas célèbre, en 2015, a été le meurtre d’un adolescent palestinien de 17 ans, Mohammed Kosba, par un colonel de l’armée israélienne, Yisrael Shomer. Ce dernier a prétendu que Kosba avait jeté une pierre sur sa voiture. Par la suite, Shomer a poursuivi l’adolescent palestinien et lui a tiré dans le dos, le tuant.
L’officier israélien a été « réprimandé » pour sa conduite, non pas pour avoir tué le garçon, mais pour ne pas s’être arrêté « afin de viser correctement », selon le Times of Israel. Le procureur militaire en chef israélien de l’époque a conclu que « l’utilisation par Shomer de la force mortelle dans le cadre du protocole d’arrestation était justifiée au vu des circonstances de l’incident ».
Le mépris d’Israël pour le droit international dans son ciblage des Palestiniens n’est pas un secret. Les groupes israéliens et internationaux de défense des droits humains ont condamné à plusieurs reprises le comportement inhumain et barbare de l’armée israélienne dans les territoires occupés.
Dans un rapport détaillé datant de 2014 déjà, Amnesty International a condamné le « mépris cruel d’Israël pour la vie humaine, qui a tué des dizaines de civils palestiniens, dont des enfants, en Cisjordanie occupée » au fil des ans. AI a déclaré que ces meurtres avaient eu lieu « dans une impunité quasi-totale ».
« La fréquence et la persistance de l’usage arbitraire et abusif de la force contre des manifestants pacifiques en Cisjordanie par des soldats et des policiers israéliens – et l’impunité dont jouissent les auteurs de ces actes – donnent à penser qu’il s’agit d’une politique délibérée », peut-on lire dans le rapport d’Amnesty.
Même le propre groupe de défense des droits d’Israël, B’tselem, est d’accord. L’organisation a décrié la « politique du “tirer pour tuer » de l’armée israélienne, qui s’applique également aux “personnes qui ont déjà été “neutralisées” ». En effet, dans le cas d’Abdel Fattah Al Sharif, un Palestinien qui a été abattu à bout portant à Al-Khalil (Hébron), par un membre des services sanitaires de l’armée israélienne, Elor Azaria, en 2016, avait non seulement été déjà « neutralisé » mais il gisait à terre, inconscient.
Selon B’tselem, les « soldats et policiers israéliens sont devenus juge, jury et bourreau ». Avec cette trajectoire tragique et sinistre à l’esprit, on peut se demander pourquoi l’armée israélienne modifierait sa politique d’ouverture du feu juste maintenants. Il y a trois réponses possibles :
Un, le gouvernement et l’armée israéliens anticipent une montée en puissance de la résistance populaire palestinienne dans les mois à venir, peut-être en raison de l’expansion massive des colonies illégales et des expulsions forcées dans Jérusalem-Est occupée.
Deuxièmement, en alignant parfaitement la politique actuelle d’ouverture du feu sur la pratique militaire agressive du « tirer pour tuer » déjà à l’œuvre, les tribunaux israéliens n’auraient plus à faire face à des répercussions juridiques pour des soldats ayant tué des Palestiniens, y compris des enfants, quelles que soient les circonstances de leurs meurtres.
Enfin, les règles révisées permettraient à Israël de se défendre en réponse à l’enquête ouverte par la Cour pénale internationale (CPI), concernant les violations des droits humains et les crimes de guerre en Palestine occupée. Le procureur général d’Israël pourra désormais faire valoir qu’aucun crime de guerre n’a lieu en Palestine puisque le meurtre de Palestiniens est conforme à la conduite militaire et au système judiciaire d’Israël. Puisque la CPI enquête sur des criminels de guerre présumés, et non sur le gouvernement lui-même, Israël espère pouvoir éviter à ses propres meurtriers d’avoir à faire face aux attentes juridiques de la Cour.
Bien que le moment choisi par l’armée israélienne pour modifier sa politique d’ouverture du feu puisse sembler soudain et sans grand contexte, la décision n’en est pas moins inquiétante. Lorsque l’armée d’un pays décide que tirer dans le dos d’un enfant sans aucune preuve que le prétendu « criminel » représente un quelconque danger est un acte légal, la communauté internationale doit en prendre note.
Il est vrai qu’Israël opère en dehors des normes minimales du droit international et humanitaire, mais il est de la responsabilité de la communauté internationale de protéger les Palestiniens, dont les vies restent précieuses même si ce n’est pas l’avis d’Israël.
source : https://tlaxcala-int.blogspot.com
traduction Fausto Giudice, Tlaxcala
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Source : Lire l'article complet par Réseau International
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