Mémorial de la philosophie « Sous le regard de Don Quichotte et de Sancho Pança »

Mémorial de la philosophie  « Sous le regard de Don Quichotte et de Sancho Pança »
Mémorial de la philosophie  « Sous le regard de Don Quichotte et de Sancho Pança »

Publication posthume d’une œuvre de

Manuel de Diéguez

 Mémorial de la philosophie 

« Sous le regard de Don Quichotte et de Sancho Pança »

  En 4 volumes

Mot de l’éditeur :

Première œuvre posthume publiée du philosophe Manuel de Diéguez, ce Mémorial de la philosophie nous offre une confrontation avec les grands esprits du passé à la recherche de l’inconscient religieux de la pensée. Par ces volumes s’ouvre la redécouverte d’un grand auteur français du XXe siècle, enfin sorti des limbes de l’oubli.

Présentation : Catherine  Lieutenant.

http://blog.lesgrossesorchadeslesamplesthalameges.fr/en-guise-de-postface

Au cours des si mal nommées trente glorieuses, la main invisible du marché décida sans trop le crier sur les toits, qu’il était grand temps d’en finir avec un certain nombre d’intellectuels, représentatifs d’une génération et d’une forme d’éducation, c’est-à-dire d’une culture dont il urgeait de se débarrasser en la déclarant obsolète, pour la remplacer par la religion de la réussite matérielle, le libéralisme de droite (pléonasme), la culture des start ups et autres cadeaux de fée Carabosse venus d’Outre Atlantique et accueillis – faut-il le dire – par les mêmes pécores de Panurge qui se précipitent aujourd’hui les yeux brillants et la bouche ouverte sur les seringues porteuses de leur mort.

D’exception, il n’y en eut pas, cependant, en 1975, pour Manuel de Diéguez, qui, lorsqu’il remit  à son éditeur –  Gallimard – le manuscrit de La Caverne (1078 pages) en obtint un contrat normal pour publication dans « La Bibliothèque des Idées », mais au moment de la sortie de l’ouvrage s’entendit annoncer que ses droits d’auteur, pour ce livre, seraient réduits de moitié. Devant son refus, l’éditeur le menaça de mettre le livre en vente à un prix invendable, vengeance qui fut bel et bien mise en action et qui porta un grave préjudice à l’oeuvre et à l’auteur.  Et les contrats signés ? Circulez ! En véritable Don Quichotte, Manuel de Diéguez fit, à la très puissante maison, un procès qu’il gagna.

Cependant, tout au long de ces années qui vont de 1975 à sa mort en 2019, Manuel de Diéguez avait continué d’écrire, puis de dicter, à Aline, lorsque sa vue avait trop baissé. Il paraissait logique à celle qui connaissait son œuvre et les méandres de sa pensée sur le bout des ongles, de songer qu’il était temps de faire publier désormais des œuvres qui n’attendaient que le grand jour.

C’est alors qu’un petit miracle se produisit, en la personne de l’animateur des éditions Perspectives Libres, qui lui rendit un jour visite pour demander si elle n’aurait pas un ouvrage inédit de son mari, car il aurait aimé publier quelque chose de lui. Oh, mais si, Monsieur, elle en avait. Et c’est ainsi que le 1er janvier de cette année 2022 est sorti le premier (car il y en a d’autres) de ces inédits.

Qu’il soit la première hirondelle de ce qu’on espère être un printemps.

Manuel de Diéguez a voulu reposer dans son propre jardin « au milieu des rosiers d’Aline ». C’est là qu’il se trouve, et c’est naturellement Aline aussi, le maître d’œuvre de ce Mémorial, qui en a écrit la préface.

*

Manuel de Diéguez

Présentation de l’homme et de l’œuvre

Je n’ignore pas que le handicap principal de Manuel aux yeux du Landerneau parisien, c’est qu’il n’allait pas dans les dîners en ville, n’appartenait à aucune chapelle, a suivi un parcours unique, à l’écart de toute idéologie et de toute croyance. Et maintenant, il est mort. Mais son œuvre est vivante. C’est l’essentiel. C’était l’essentiel pour lui. C’est grâce à sa vie retirée, consacrée entièrement à l’étude et à la rédaction d’une œuvre jamais présentée à aucun éditeur qu’existent le Mémorial, une anthropologie spécialisée dans l’étude du cerveau religieux dans l’Histoire intitulée Penser l’imaginaire et des dizaines de textes sur internet de réflexion ou d’application directe de son anthropologie à la géopolitique.

L’homme, écrivait-il, appartient à une espèce dont nous savons depuis Darwin qu’elle est une fuyarde de la zoologie et que son encéphale bénéficie d’une évolution qui en augmente le volume avec une lenteur infinie. Ce que les philosophes contemporains ont tendance à oublier. Dans ces conditions, qu’est-ce que penser, et comment la pensée utilise-t-elle la logique afin d’accéder à une éthique, celle de la droiture de l’intelligence, donc à une aristocratie de  la  philosophie ? Telle est la question centrale qui traverse la vie et l’œuvre du philosophe.

Heidegger a intitulé l’un de ses livres : « Was heisst denken », ce qui signifie primo : « Qu’est-ce qu’il faut appeler la pensée ? », secundo, « Qu’est-ce qui s’appelle penser ? », au sens de « Qu’est-ce qui mérite de s’appeler la pensée ? », tertio, « Que signifie penser », c’est-à-dire « Quel sens faut-il donner à la faculté de penser ? » Dans cet éventail d’acceptions, inutile de chercher la plus aristocratique, parce que toutes se ramènent à l’art de traquer la tricherie de la fausse pensée. Or, si la pensée véritable cherche la vérité, qu’en est-il de la vérité ? Est-ce que son objectif n’est pas d’engendrer  la compréhensibilité de son objet, donc d’accéder à l’intelligible, c’est-à-dire au sens ?

Dans le cheminement du Mémorial à travers  l’œuvre des philosophes au cours des siècles, il est question des tricheries du verbe comprendre, car l’intelligible est le véhicule du sens. Or, sitôt que le sens est placé sous la lentille du microscope qu’on appelle la philosophie, on  découvre que ce substantif exprime des finalités humaines et qu’il est téléologique et même plus directement théologique.

C’est à cette traque et à cette pesée que s’est livré Manuel de Diéguez dans son Mémorial. Pour ce faire, le Mémorial rappelle que Swift, Molière, Cervantès, Shakespeare ou Kafka sont aussi des philosophes et même les plus grands des philosophes. Le « crime » de Manuel  est de les tenir pour les vrais successeurs de Platon.

Son forfait est ancien et démontré : il avait tenté de comprendre Pascal, Bossuet, Chateaubriand et Claudel en philosophes dans son Essai sur l’avenir poétique de Dieu, et il avait persévéré à écouter des voix et des hommes dans l’Écrivain et son langage, rappelant que Chateaubriand avait écrit : « Je ne m’occupe que de théologie poétique ».

Aline de Diéguez

Extraits

Le soir tombait…
 I

Le soir tombait… À d’autres de conduire de village en village la Rossinante de la dialectique et la mule de l’expérience, à d’autres de s’attarder dans les auberges où le gîte et le couvert sont assurés aux voyageurs. J’ai couru à tombeau ouvert d’une oasis à l’autre et je me suis désaltéré aux rares puits où coulait une eau claire.

Le Quichotte accélérait tellement l’allure qu’il m’a fallu négliger l’hospitalité des cités bourdonnantes de philosophes illustres. Le soir tombait. Le héros de Cervantès avait des allures de brahmane. Depuis le lever du soleil, et sans dévier un seul instant de son chemin, le fou marchait d’un pas pressé : il ne voulait pour rien au monde manquer le spectacle du soleil couchant. Derrière lui, pareil à un enfant distrait, j’aurais voulu m’arrêter à tous les étalages. Mais le Chevalier à la Triste Figure ne cessait de me rappeler que nous avions rendez‑vous avec un tombeau. Rossinante hâtait le trot et paraissait de plus en plus allègre au fur et à mesure que nous approchions du terme de notre équipée.

En vérité, c’était un songe de l’Occident que nous conduisions à sa dernière demeure à travers des déserts torrides ou glacés. Le Quichotte a agonisé tout au long de la route. Maintes fois, il a failli rendre le dernier soupir avant l’heure qu’il s’était fixée. Alors, il me rappelait que si je le conduisais d’une seule chevauchée jusqu’à sa sépulture, il ressusciterait d’entre les morts. Certes, me disait‑il, il n’avait que faire des jardins de Grenade de la métaphysique ; quelques fleurs sur sa tombe suffiraient à ses funérailles. Il ne désirait pas que le curé, le barbier et l’apothicaire de son village fussent présents à sa descente en terre.

Quand nous sommes arrivés au port, Rossinante était si efflanquée que je m’étonnai qu’elle tînt encore debout : et le grison du bon Sancho n’avait que la peau sur les os. « Voilà donc le Toboso », murmura le fantôme de Dame Dulcinée au bord du trou qu’avaient creusé des fossoyeurs repartis depuis longtemps. 

II

Il arrive que le romancier, le poète, le dramaturge, l’historien allèguent de bonnes raisons de n’être lus qu’après leur mort ; mais celles du philosophe sont toujours excellentes et souvent impérieuses, parce que l’érémitisme de la pensée est d’une nature si particulière qu’elle n’est comparable à aucune autre. L’homme au service de la raison ne manie pas la plume pour plaire à ses contemporains, mais pour tenter de donner une plus grande profondeur au regard de l’esprit sur lui‑même. Il serait vain de qualifier de cruel le scalpel de ce chirurgien. Sa vocation est de soigner les infirmités du cerveau de l’humanité.

Certes, il se rencontre encore quelques théologiens déguisés en philosophes. Leur fonction dans la cité les éloigne de la carrière des rudes médecins de l’encéphale. Mais il arrive également que certains rationalistes se qualifient abusivement de disciples de Socrate. Alors ils se proclament au service de l’intelligence, mais ils se résignent à prendre l’humanité telle qu’elle est, à la manière des historiens, qui ne se demandent jamais pourquoi notre espèce se présente sous tels traits et non point sous tels autres. Ceux‑là se contentent d’observer des rites et des cérémonies séculaires et de peser les avantages et les désavantages politiques et moraux que les divers peuples tirent de leurs croyances. Aux yeux de ce genre de penseurs, c’est faire bien suffisamment usage de son jugement que de créditer les fables et les mythes d’une sorte de légitimité par des analyses de l’utilité qui se cache sous leur folie.

Tel n’a été à aucun moment l’idée que je me suis faite de la philosophie. Ma solitude a toujours trouvé son inspiration dans l’intense stupéfaction que j’ai éprouvée depuis mon adolescence de ce que les neuf dixièmes du genre humain croient sincèrement en l’existence plus ou moins objective de plusieurs dieux ou d’un seul et de ce que le dixième restant ne cherche ni à savoir, ni à comprendre comment la conque crânienne d’Adam est construite pour qu’elle prête crédit à une si grande sottise. Mon athéisme serait, à lui seul, un motif suffisant de m’adresser exclusivement à des lecteurs posthumes car en interposant une tombe entre leur regard et mon modeste Mémorial, j’espère retirer un grand obstacle à l’écoute honnête de mes écrits. Sachant que la fosse est pacificatrice, j’espère que sa protection permettra au lecteur d’écarter de son chemin deux formes de cécité de la pensée, celle qui se nourrit de la croyance et celle qui se complaît à un rationalisme superficiel.

Aristote a voulu que la philosophie naquît de l’étonnement. Mais l’étonnement de l’homme de science diffère de l’étonnement socratique. J’ai voulu me nourrir d’une surprise toujours renouvelée de ce que non seulement l’humanité ordinaire, mais également les apôtres de l’intensité et de la rigueur de la pensée, dont la tâche est de tailler le diamant extrême de l’étonnement, et qu’on appelle philosophes, ne s’étonnent pas d’un délire qui fut longtemps universel et qui n’a commencé d’être étudié que depuis deux siècles à peine.

Mon Mémorial est d’abord la première tentative, à ma connaissance, d’écrire une Histoire de la philosophie inspirée de bout en bout par une interrogation opiniâtre du phénomène de la croyance ‑ ce qui exige non seulement une traque de l’origine et de la nature de l’imaginaire, mais qui en permettent l’usage. Celles‑ci ne peuvent être conquises qu’en se mettant patiemment à l’écoute de vingt-quatre siècles d’Histoire de la philosophie.

Mais les obstacles qui se dressent encore de nos jours devant une philosophie animée d’une intention de ce genre sont tellement redoutables qu’il serait vain de publier mon ouvrage sans m’être assuré de la bienveillance de la mort. Ce dieu, le seul dont je demande la bénédiction, est aussi le seul qui puisse faire entendre une voix en amont de l’Histoire. Les eaux du Léthé charrient les nations depuis leur source jusqu’à leur anéantissement. Socrate, lui, médite sur une humanité qui dote d’un destin l’histoire de son cerveau.

 C’est dans cet esprit que j’ai tenté de prendre l’exacte mesure de­ l’effondrement des empires de l’imagination. Pendant deux mille ans, le rêve humain avait été messianique. Quand le mythe de la délivrance de type théologique avait commencé de battre de l’aile, le fabuleux et le sacré avaient conservé l’essentiel de leur folie sous d’autres apparences, puisque le prolétariat était devenu le nouveau fer de lance du salut. (…)

Telles sont les sources de l’angoisse des élites mondiales d’aujourd’hui. Elles savent que les voilures des religions sont en lambeaux, que tous les messianismes ont roulé dans la poussière, que le sort de l’humanité est entre leurs mains et que leurs mains sont nues.

IV

Un instant, Orphée rêva d’arracher à l’Hadès une Eurydice de chair. Mais quand il eut paré une mortelle d’un destin digne de son chant, il la renvoya aux morts. Ainsi de la philosophie. Pareille à la flûte de l’enchanteur des ténèbres, elle est la transfiguratrice de la mort.

La raison est l’Eurydice de la pensée. Si les élites des nations ne prenaient pas conscience de la ruine de leurs anciennes divinités; si elles ne plaçaient pas leur foi dans les lucidités héroïques ; si elles ne fécondaient pas leurs élévations à l’école des responsabilités nouvelles de l’esprit, le monde courrait tout droit vers un nouveau Bas-Empire.

Le présent Mémorial n’est pas une histoire universitaire de la pensée, mais une consultation de l’âme des grands philosophes. J’ai écouté les témoins de l’encéphale de l’humanité, les visionnaires de l’avenir de l’esprit, les voyants de la machine de l’imaginaire qui nous habite. C’est la condition humaine que je leur ai demandé de peser. Que savent‑ils de la liberté, de la souveraineté, de la science, de la croyance ? Je ne les ai observés qu’au bord de l’Etna où ils ont laissé les empreintes de leurs chaussures. Je leur ai demandé qui nous sommes en ce début d’un millénaire où nos yeux ont commencé de se dessiller, mais où nos chemins de crête épaississent les mystères que les récits enfantins des mythes étaient chargés d’éteindre. Pour tenter de l’apprendre, il faut que le lecteur accepte d’étouffer les feux des espérances illusoires dont une humanité encore au lait des nourrices allumait l’imagerie : Hegel disait que la philosophie est une « vie dans la mort » et la science de l’y maintenir en éveil. C’est que l’intelligence est ressuscitative.

À mon tour j’ai rêvé que l’Europe de l’après-marxisme ne s’assoupirait pas autour des vieux autels, qu’elle se mettrait à l’école d’une mort régénératrice, qu’elle conjurerait les vieilles tentations de la peur, qu’elle nourrirait une philosophie de la solitude, qu’elle accepterait sa déréliction et son angoisse, qu’une Histoire du génie philosophique lui enseignerait le néant, ce décapant de la lucidité et ce secret de la conscience de soi.

Longtemps, la philosophie a été réduite à la domesticité; puis elle s’est rengorgée à porter un autre tablier, celui d’une servante humiliée des sciences exactes, parce qu’elle s’était laissé persuader que les expérimentateurs comprenaient ce qu’ils savaient. Les grands penseurs m’ont rappelé que le rôle de la philosophie n’est pas de passer d’une cour des miracles à l’autre, mais d’observer comment l’humanité apprête le verbe comprendre. Ils m’ont encouragé à observer les songes dont se nourrissaient les preuves théoriques dans la physique avant Einstein et à peser sur les balances de l’inconscient les méthodes de la pensée rationnelle elle‑même.

J’ai voulu que ce Mémorial fût également pédagogique. C’est pourquoi j’ai constamment recouru à des citations. J’espère que le lecteur me saura gré de leur avoir donné la parole le plus souvent possible, comme un gage de leur fécondité et de la modestie de mon écoute.

V

Je suis trop faible pour apercevoir les grands morts avec les yeux des vivants. Il faut qu’ils me donnent rendez‑vous dans la nuit où ils brillent de toute leur gloire. Mais comment me rendrais‑je auprès d’eux, sinon en demandant à la mort qui les a glorifiés de me prêter le secours de ses feux ? Nous n’entendons jamais d’autres voix que celles des trépassés. « Je partirai comme l’abeille emportant son miel », disait Socrate à l’heure de boire le breuvage mortel. Comment, après une telle parole, la philosophie ose‑t‑elle encore parler de physique ou de chimie? Comment peut‑elle n’avoir pas entendu un tel appel ?

Du fond de leurs tombeaux, les abeilles de la pensée aiguisent leurs blasphèmes comme des dards. Le miel qui nous féconde est celui de leurs profanations. Environné des géants qui tiennent à l’humanité le langage des visiteurs du silence, j’ai arboré le bonnet d’âne et les grelots du fou, afin de les accompagner dans leurs souterrains redoutables. Je leur ai demandé de parler toujours aux vivants comme s’ils étaient aimés, comme s’ils étaient compris et comme s’ils étaient morts. Il y a trois mille ans qu’Homère apprit aux poètes et aux philosophes à faire parler les défunts. Depuis lors, la fleur, dit Mallarmé, est « absente de tout bouquet ». Quand un philosophe commence d’écrire comme s’il avait quitté ce monde, une jubilation nouvelle lui fait découvrir que la sérénité et la paix jaillissent de dessous la terre et que la pensée « folle de bécarre et de bémol », comme disait le sage Rabelais, est la fille d’une absence illuminatrice. Alors la vérité écarte le linceul des siècles.

Pourquoi demeurer au milieu des vivants, où la plume s’asservit et laisse s’émousser le tranchant de la raison ? Dans leurs meilleures pages, les Descartes ou les Spinoza ont quitté leur pays pour aller en habiter un autre. C’est que le grand jour est un tribunal tout compénétré de l’esprit du temps. (…)

Quel affichage de la liberté chez les plus grands ; et quel triste spectacle en revanche, que celui du philosophe aux mille accommodements aussi ruineux qu’astucieux. Il paiera le prix de son emmaillotement, car sitôt qu’il aura trépassé, plus que de sa momie l’on s’étonnera que le prodige du conte d’Andersen se renouvelle tous les jours ; car personne n’avait vu ses bandelettes à la cour du roi de Danemark.

Je veux te libérer, lecteur bénévolent et transtombal. Oublie le pas pesant de la philosophie chargée de chaînes et qui voudrait faire passer ses menottes dorées pour des signes de sa civilité. Plains les nains qui ont sacrifié la vérité à des précautions oratoires pour lesquelles la postérité ne leur a su aucun gré. Pascal trouve sa beauté de nous sauter au visage tout embelli de son manteau de ténèbres. La pensée est un joyau qui ne brille que dans l’écrin de la mort. Puisse la philosophie bondir de son tombeau chaque fois que son courage la pare de superbes sacrilèges.

*

En guise de postface…

Une interrogation passionnée habitait Manuel de Diéguez : « Qu’est-ce qui, en l’homme, est véritablement humain ? » Pour lui, l’activité philosophique pourrait être symbolisée tout entière par le geste d’Hamlet élevant à la lumière le crâne de Yorik. « Ce cerveau, c’est moi et il pense », disait Descartes. Il rêve,  dit Manuel de Diéguez et la « pensée cartésienne » est l’une des formes que prennent ses rêves.

Lorsque le cerveau est celui d’un physicien ou d’un mathématicien, les rêves se manifestent sous la forme de théories scientifiques. Si sa vocation est la politique, il échafaude des systèmes qu’on appelle des « utopies », notamment lorsqu’ils ont échoué. Mais c’est dans les religions que l’imaginaire trouve l’empire le plus vaste et les nourritures les plus variées. Car le cerveau est la fois la source inépuisable des créations mythologiques extériorisées et une sorte de tonneau des Danaïdes qui les recueille en retour dans l’espérance d’apaiser une inapaisable angoisse.

Le pivot du tragique de la condition humaine contemporaine, selon Manuel de Diéguez, est l’aventure intellectuelle qui a commencé tout de suite après la guerre, avec La Barbarie commence seulement (1948). L’unité profonde de cet ouvrage est l’observation des formes de l’imaginaire que le cerveau sécrète et des conséquences de la guerre de 1945 sur l’avenir de l’Europe.

Dans Dieu est-il américain (1957), Manuel de Diéguez dresse un portrait de l’identité psychologique des nations européennes face au vainqueur américain. Dans De l’Idolâtrie (1969), il brosse les portraits des diverses classes sociales et des formes de gouvernement possibles à partir des rêves dont elles sont porteuses. Dans l’Essai sur l’universalité de la France (1991), il analyse les couches sédimentaires qui se sont accumulées dans l’inconscient national depuis les principes de la Révolution de 1789 pour aboutir à « l’exception française » et il analyse la dynamique et la force dans le monde entier du message symbolique dont ce rêve est l’expression.

L’exploration de l’imaginaire scientifique occupe une place très importante dans l’œuvre de Manuel de Diéguez. Voir Science et Nescience (1970), une bonne moitié de La Caverne (1974), Le mythe rationnel de l’Occident (1980), de nombreux articles dans les revues et des contributions majeures à l’Encyclopaedia universalis  sont consacrés à l’exploration de l’inconscient de la physique classique (Science et philosophie, Savoir et Violence, etc.) 

L’imaginaire poétique dans ses rapports avec le style, l’épopée et Dieu est analysé dans L’Écrivain et son langage (1960), Chateaubriand ou le poète face à l’Histoire (1962), Essai sur l’avenir poétique de Dieu (1965).

Mais c’est l’imaginaire religieux qui a mobilisé l’attention et l’énergie de Manuel de Diéguez, car il offre le champ d’exploration le plus vaste et englobe tous les autres sur lesquels il déteint ou qu’il contamine. Après avoir frôlé ce thème sous l’angle de la séduction amoureuse dans sa pièce Le Chevalier du mépris, Manuel de Diéguez y revient dans presque tous ses ouvrages de Science et Nescience à La Caverne, de L’Idole monothéiste au Jésus ou Et l’homme créa son Dieu et Le Combat de la raison.

L’imaginaire philosophique est regardé sous divers angles : sous la forme du voyage initiatique en écho à Homère, Dante et Rabelais dans La Caverne, sous une forme un peu satirique dans Une histoire de l’intelligence où le simianthrope rappelle une certaine fraternité avec Swift, déjà présente dans La Caverne. Mais la grande exploration de l’imaginaire philosophique, c’est son Mémorial de la philosophie où toute l’histoire de la pensée est vue et racontée par don Quichotte et Sancho Pança.

Dans son Penser l’imaginaire  en sept volumes qui constitue une réflexion sur la méthode à l’intention des historiens de l’imaginaire, Manuel de Diéguez reprend toutes ces pistes, en montre les prolongements, les connexions et les richesses afin d’éclairer quelque peu le mystère du fonctionnement des sociétés en éclairant le fonctionnement du cerveau. Il observe, triture, décortique l’appendice niché dans notre boîte crânienne et en contemple les sécrétions avec une curiosité passionnée, une tendresse d’accoucheur et une minutie d’électronicien qui n’est pas sans écho avec son habileté et son goût pour les travaux manuels, notamment pour les constructions.

Si l’on veut situer Manuel de Diéguez dans le panorama culturel, on peut  trouver une évidente fraternité avec le Kafka de La Colonie pénitentiaire ou des Chiens volants. Avec Cervantès et Shakespeare, l’écrivain pragois occupe une place importante dans l’arrière-monde qui sert de terreau à l’œuvre  de Manuel de Diéguez. C’est le génial Kafka qui a noté, en passant, une phrase qui pourrait servir d’exergue à Penser l’imaginaire : «Don Quichotte est un rêve de Sancho Pança ».

Il est vrai qu’il faut être soi-même un Quichotte plus fou que celui de la Manche pour traquer, du fond de son pré, le quichottisme tapi sous les constructions religieuses ou politiques les plus officielles, les plus universellement admises. Il faut être un Sancho pour construire soi-même les piliers solides de sa maison et un véritable Quichotte dans son poêle pour « déconstruire » les piliers des maisons à la fois cosmiques et psychiques que sont les religions ou les théories scientifiques.

Aline de Diéguez
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À propos de l'auteur Réseau International

Site de réflexion et de ré-information.Aujourd’hui nous assistons, à travers le monde, à une émancipation des masses vis à vis de l’information produite par les médias dits “mainstream”, et surtout vis à vis de la communication officielle, l’une et l’autre se confondant le plus souvent. Bien sûr, c’est Internet qui a permis cette émancipation. Mais pas seulement. S’il n’y avait pas eu un certain 11 Septembre, s’il n’y avait pas eu toutes ces guerres qui ont découlé de cet évènement, les choses auraient pu être bien différentes. Quelques jours après le 11 Septembre 2001, Marc-Edouard Nabe avait écrit un livre intitulé : “Une lueur d’espoir”. J’avais aimé ce titre. Il s’agissait bien d’une lueur, comme l’aube d’un jour nouveau. La lumière, progressivement, inexorablement se répandait sur la terre. Peu à peu, l’humanité sort des ténèbres. Nous n’en sommes encore qu’au début, mais cette dynamique semble irréversible. Le monde ne remerciera jamais assez Monsieur Thierry Meyssan pour avoir été à l’origine de la prise de conscience mondiale de la manipulation de l’information sur cet évènement que fut le 11 Septembre. Bien sûr, si ce n’était lui, quelqu’un d’autre l’aurait fait tôt ou tard. Mais l’Histoire est ainsi faite : la rencontre d’un homme et d’un évènement.Cette aube qui point, c’est la naissance de la vérité, en lutte contre le mensonge. Lumière contre ténèbres. J’ai espoir que la vérité triomphera car il n’existe d’ombre que par absence de lumière. L’échange d’informations à travers les blogs et forums permettra d’y parvenir. C’est la raison d’être de ce blog. Je souhaitais apporter ma modeste contribution à cette grande aventure, à travers mes réflexions, mon vécu et les divers échanges personnels que j’ai eu ici ou là. Il se veut sans prétentions, et n’a comme orientation que la recherche de la vérité, si elle existe.Chercher la vérité c’est, bien sûr, lutter contre le mensonge où qu’il se niche, mais c’est surtout une recherche éperdue de Justice.

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