Faina Savenkova : Je pense que la colère et l’agressivité ne sauveront pas notre monde

Faina Savenkova : Je pense que la colère et l’agressivité ne sauveront pas notre monde

par Christelle Néant.

Afin de célébrer la nouvelle année qui commence, Faina Savenkova nous a accordé une nouvelle interview, dans laquelle elle revient sur l’affaire Mirotvorets et les commentaires qu’elle a suscités, mais aussi sur la publication de son deuxième roman coécrit avec Alexandre Kontorovitch, ce qu’elle pense de la France, et ses vœux au monde pour l’année 2022.

Après que tes données personnelles soient apparues sur Mirotvorets, tu t’es adressée à l’ONU et à l’UNICEF pour que les données personnelles d’enfants soient retirées du site. Quel a été le résultat de ta demande ? Penses-tu que ta requête sera satisfaite ?

Lorsque j’ai envoyé ma vidéo à l’ONU pour protéger les enfants du Donbass, je ne savais pas que mes actions provoqueraient une telle réaction et que les nationalistes ukrainiens, en colère, mettraient mes données sur le site Mirotvorets. Mais ça s’est passé comme ça s’est passé. Pourtant, je ne regrette rien.

Et les résultats… Ils sont là, même si cela ne sera pas rapide. La police de Kiev enquête sur le site web Mirotvorets. Voyons où cela nous mènera, car tout dépend de l’importance de la nécessité pour les adultes de régler cette affaire. Et, bien sûr, sur les personnes dont les données se trouvent sur le site. Un ami journaliste m’a récemment envoyé un lien vers une vidéo d’un politologue ukrainien qui se demandait comment il se faisait que pas une seule personne n’avait intenté un procès à Mirotvorets depuis tout ce temps. Je ne peux pas dire que je me sois déjà intéressée à ce sujet, mais je pense que cette question est juste. Je ne sais pas pourquoi. En tout cas, j’ai déjà dit ce que j’avais à dire.

Cette affaire a suscité de nombreux commentaires, entre autre parmi les lecteurs français, sur le fait que les enfants ne devraient pas être mêlés à la politique, pour éviter d’être mis en danger. Qu’est-ce que tu aimerais répondre à ces commentaires ?

Il y a, comme toujours, deux poids deux mesures ici. Rappelez-vous Greta Thunberg. Avec quelle admiration chacun écoutait ses paroles, soutenait ses idées. Mais quand elle s’est adressée à l’ONU, elle n’était pas beaucoup plus âgée que moi. Pensez-vous que ses discours ont un impact sur les politiques publiques ? Je veux dire, les programmes environnementaux du gouvernement. Oui. Au moins, pour plaire au public, certaines décisions sont prises par les politiciens. Les questions environnementales doivent-elles être abordées ? Bien sûr. Mais elles devraient être traitées par des écologistes correctement formés qui se souviennent, grâce à leurs cours de géographie et de biologie à l’école, que notre planète a connu des périodes de refroidissement global et des périodes de réchauffement global, et que l’extinction de certaines espèces est une évolution naturelle, même si nous les plaignons. Et puis une fille du Donbass arrive et dit que les obus qui volent sur nos maisons ne parlent pas non plus de vie et d’un avenir radieux. Mais ils me disent de ne pas m’impliquer dans la politique, parce que c’est dangereux. Les bombardements ne sont-ils pas si dangereux ? Ne sont-ils que des feux d’artifice pour nous faire plaisir ? Cela va probablement déplaire et même décevoir de nombreux adultes, mais je ne me mêle pas de politique, je veux juste vivre. Tout comme les autres enfants du Donbass. En quoi sommes-nous moins bien que vos enfants ?

Je n’ai pas commencé à écrire avec des essais sur la guerre ; mes récits portent sur la réalisation de rêves, sur la bonté. Mais lorsque vous vivez là où il y a des tirs, vous commencez rapidement à comprendre que la guerre n’est pas bonne. Je pense que je comprends les adultes d’une certaine façon. Les enfants ne devraient pas s’impliquer dans la politique, même si cela rend l’élection du délégué de classe étrange. Je ne pense pas que mes camarades et moi nous intéressions à la politique du tout, et je ne me soucie pas de l’élection du chef de classe. Mais imaginez que vous vivez en France et que des nationalistes créent un site web, pas même dans votre pays, mais quelque part à l’étranger. Et ils commencent à divulguer vos coordonnées, vos comptes bancaires, les adresses de vos enfants et petits-enfants, leurs photos, au grand jour. Comment allez-vous réagir ? Je pense que vous allez faire un procès. Mais les habitants du Donbass n’ont pas d’avocats coûteux ni la possibilité de défendre leurs droits. J’ai donc écrit à l’ONU.

Je ne suis toujours pas intéressée par la politique. Je veux juste me protéger, écrire des contes de fées et ne pas penser à tout ça.

L’attention que cette affaire a suscité a poussé certains médias ukrainiens à tenter de « justifier » ta présence sur le site Mirotvorets. Quels ont été leurs arguments et quel commentaire aimerais-tu faire face aux « explications » fournies ?

Les arguments sont pour le moins « convaincants » : quelqu’un sur Mirotvorets s’est mis en tête que je travaillais pour le ministère russe des Affaires étrangères, que j’étais une opération spéciale russe, et que j’avais été enrôlée comme ennemie de l’Ukraine. Ce qui signifie que vous pouvez commencer à me harceler. Pourquoi pas ? Je suis une « ennemie », après tout. Certaines publications m’ont attribué, en passant, l’écriture de poèmes anti-ukrainiens, alors que je ne sais pas écrire de poèmes. Heureusement qu’ils ne m’ont pas encore attribué la création de « l’étoile de la mort », sinon ils m’auraient déjà qualifiée de menace pour l’humanité. Il n’y a pas eu d’autre argument.

C’est ainsi qu’ils commencent par mettre tes données dans le domaine public, puis ils t’accusent de crimes que tu n’as pas commis, et c’est tout. Les gens ne se soucient plus de la vérité. Il s’avère que tu es devenu un traître qui n’a pas le droit de se défendre. Et peu importe que ce soit tes droits qui aient été violés. Je pense que si cela était possible, ces gens seraient heureux de mettre un numéro sur mon bras et de coudre une étoile sur ma veste. Ce ne serait pas la première fois pour eux.

Et pourtant, il y a beaucoup de bonnes personnes en Ukraine qui ne pensent pas que de telles actions soient normales. Un certain nombre de journalistes et de personnalités publiques ont été attaqués par les nationalistes pour avoir osé me soutenir.

Dans cette campagne visant à justifier l’apparition de tes données sur Mirotvorets, le site Stop Fake a affirmé que tu es une opération spéciale russe et que tu es utilisée comme un outil de propagande. Qu’est-ce que tu en penses ?

Je ne dirai pas grand-chose sur ces sites. Je dirai seulement que toutes leurs affirmations vont dans le sens de : « Il s’agit d’une opération spéciale russe car la mission russe auprès de l’ONU apporte son aide ». Ils n’ont même pas essayé de trouver des informations dans leurs sources publiques sur le fait que, même avant que je ne contacte la Mission russe, mes histoires et parfois mes articles avaient été publiés dans des ressources Internet européennes et américaines. Une arme de propagande ? Je pourrais tout aussi bien affirmer que Stopfake m’utilise pour ses propres relations publiques et sa propagande d’agression contre les habitants du Donbass. Ce qu’ils disent de moi entraîne justement de telles conséquences.

Suite à la publication de ton roman « Ceux qui se tiennent derrière ton épaule », coécrit avec Alexandre Kontorovitch, il y a eu une forte demande de la part de mes lecteurs, pour avoir une version en français (version qui verra le jour). Lorsque tu as écrit ce livre, t’attendais-tu à ce qu’il y ait une telle demande à l’international ?

Ce roman est apparu comme la suite d’une nouvelle pour la collection « Donbass, vis ! ». Le plus difficile a été d’essayer de ne pas faire de ce roman une histoire de guerre. Je pense que nous y sommes parvenus avec Alexandre Sergueïevitch. Malgré tout, c’est une histoire d’amitié, de devoir et de choix. Et, bien sûr, un peu de la magie dont nous avons si désespérément besoin en ce moment.

Lorsque ce livre a été créé, personne ne pensait qu’il susciterait autant d’attention. Surtout au niveau international. J’ai lu un jour dans une publication européenne en ligne que le dernier livre écrit par un enfant sur la guerre était « Le journal d’Anne Frank ». C’est peut-être pour cela que les gens sont intéressés de savoir ce qu’une fille vivant en temps de guerre ressent et écrit. D’autant plus que moi – l’un des auteurs – j’ai maintenant aussi 13 ans, tout comme Anne.

Alexandre Kontorovitch et toi avez écrit un autre roman qui vient tout juste d’être publié, « Le monde qui n’existe pas », est-ce que tu peux nous dire un peu de quoi parle ce nouveau roman ?

Je ne suis pas très douée pour ce qui est de définir des genres et raconter des synopsis de livres, pour être honnête. Alexandre Kontorovitch considère que notre nouveau roman est une sorte de dystopie pour enfants sur un monde d’horlogerie dans lequel se retrouvent un frère et une sœur. Je ne pensais pas que j’écrirais une dystopie, mais apparemment c’est le cas. Le pays des horloges, dans le nouveau roman, ressemble un peu à notre monde, mais il y a une raison à cela. Et au fur et à mesure que les événements se déroulent, le lecteur et les personnages principaux comprendront pourquoi il en est ainsi, tirant eux-mêmes des conclusions et décidant de la manière dont ils veulent voir notre monde, un monde très réel et apparemment familier.

Une année se termine, une nouvelle commence, quel vœu aimerais-tu faire pour la nouvelle année à venir ?

Oui, le Nouvel An et Noël arrivent bientôt… Nous avons même de la neige partout, et c’est beaucoup plus amusant de se préparer pour les fêtes. J’ai beaucoup de souhaits, mais je souhaite généralement des choses que je peux faire moi-même. Je pense que j’ai plus de chances de les réaliser, surtout si je fais un effort. Les rêves, par contre, doivent rester un secret entre moi et le Père Noël. Sinon, ils ne se réaliseront pas.

Tu parles au nom des enfants du Donbass. Beaucoup de gens trouvent une ressemblance avec Greta Thunberg. Qu’est-ce que tu en penses ?

Eh bien, je ne parle pas au nom de tous les enfants du Donbass, les médias ont déjà inventé cela. Je veux juste que les adultes nous aident, moi et les autres enfants du Donbass, à vivre en paix. C’est mon opinion personnelle. Et Greta Thunberg… Je ne pense pas que nous ayons beaucoup en commun. Elle est soutenue par les politiciens et la société, elle a des parents riches, alors que je ne suis qu’une adolescente ordinaire qui n’est pas d’accord avec ce qui se passe dans mon pays. De plus, nous avons des façons différentes de voir le monde : Greta exige et menace en mode « nous ne vous pardonnerons pas », « nous nous vengerons », alors que je ne veux me venger de personne. Je demande simplement la fin de la guerre, pour que les gens puissent ne pas seulement pleurer, mais aussi se réjouir. Je pense que la colère et l’agressivité ne sauveront pas notre monde, mais lui feront plus de mal.

Quelle est ton attitude envers l’Ukraine et les Ukrainiens aujourd’hui ? N’y a-t-il pas de colère et de haine comme le disent les sites ukrainiens ?

Je m’intéresse peu à ce qui est écrit en Ukraine. Et quelle haine et quelle colère peut-il y avoir ? Après tout, je suis née en Ukraine, même si plus tard nous avons pris des chemins différents. De plus, j’ai des amis en Ukraine. Je n’ai pas de haine, mais plutôt de la pitié. Je suis sûr que de nombreux Ukrainiens ne savent pas et ne comprennent pas ce qui se passe dans le Donbass. Ils avaient l’espoir d’une nouvelle vie, mais les choses se sont passées ainsi. Et maintenant, il est plus facile pour eux de faire cela. Il est plus facile de nous blâmer, de blâmer la Russie, de blâmer tous ceux qui ne sont pas d’accord avec eux, que d’admettre qu’ils avaient tort et que cela a conduit à une guerre civile. Il n’y a donc que de la pitié.

Lorsque tu as interpellé Emmanuel Macron, qu’attendais-tu de cette lettre ?

J’espérais que le Président français répondrait. Mais apparemment il était en vacances, donc quelqu’un d’autre au sein de son cabinet a répondu à ma lettre. Et pourtant, de manière inattendue, les médias s’y sont intéressés. Mais peu importe, j’ai réalisé que je m’étais trompée. En tout cas, bonne année au Président français et à son cabinet, et merci pour votre lettre.

Penses-tu que les Français savent ce qui se passe dans le Donbass ?

Je pense que, aussi triste que cela puisse paraître, beaucoup de gens ne s’intéressent pas à notre guerre. Le Donbass est quelque part très loin et presque inexistant. Les gens ne pensent au chagrin des autres que lorsqu’ils ont des problèmes. Et la vérité est remplacée par des mensonges ou mise à l’envers. Cela se produit partout dans le monde. Aujourd’hui, des gens isolés protestent contre la guerre, les gens ont cessé de s’écouter et de s’entendre, et il est plus facile de ne pas s’impliquer. Tout cela est triste.

Que penses-tu de la France ?

J’aime la France. Oui, bien sûr, je ne la connais que par les livres et les films, mais je pense que vous avez de bonnes personnes libres qui y vivent. Pour moi, la France est un pays de grands écrivains, musiciens et artistes.

As-tu peur de la mort ?

J’ai peur. Ce serait étrange de ne pas avoir peur d’elle. Mais j’essaie de ne pas y penser. Cela fait huit ans que je vis en temps de guerre. Et personne ne sait quand cela se terminera. J’ai peur de la mort, mais beaucoup ici y sont habitués. C’est ce qui est effrayant avec la guerre.

Que veux-tu dire à la France ?

La nouvelle année approche et cela signifie que de nouvelles routes, de nouveaux événements et de nouveaux rêves nous attendent. Qu’ils aboutissent et n’apportent que joie et bonheur.

Christelle Néant

source:https://www.donbass-insider.com/fr/
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Source : Lire l'article complet par Réseau International

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À propos de l'auteur Réseau International

Site de réflexion et de ré-information.Aujourd’hui nous assistons, à travers le monde, à une émancipation des masses vis à vis de l’information produite par les médias dits “mainstream”, et surtout vis à vis de la communication officielle, l’une et l’autre se confondant le plus souvent. Bien sûr, c’est Internet qui a permis cette émancipation. Mais pas seulement. S’il n’y avait pas eu un certain 11 Septembre, s’il n’y avait pas eu toutes ces guerres qui ont découlé de cet évènement, les choses auraient pu être bien différentes. Quelques jours après le 11 Septembre 2001, Marc-Edouard Nabe avait écrit un livre intitulé : “Une lueur d’espoir”. J’avais aimé ce titre. Il s’agissait bien d’une lueur, comme l’aube d’un jour nouveau. La lumière, progressivement, inexorablement se répandait sur la terre. Peu à peu, l’humanité sort des ténèbres. Nous n’en sommes encore qu’au début, mais cette dynamique semble irréversible. Le monde ne remerciera jamais assez Monsieur Thierry Meyssan pour avoir été à l’origine de la prise de conscience mondiale de la manipulation de l’information sur cet évènement que fut le 11 Septembre. Bien sûr, si ce n’était lui, quelqu’un d’autre l’aurait fait tôt ou tard. Mais l’Histoire est ainsi faite : la rencontre d’un homme et d’un évènement.Cette aube qui point, c’est la naissance de la vérité, en lutte contre le mensonge. Lumière contre ténèbres. J’ai espoir que la vérité triomphera car il n’existe d’ombre que par absence de lumière. L’échange d’informations à travers les blogs et forums permettra d’y parvenir. C’est la raison d’être de ce blog. Je souhaitais apporter ma modeste contribution à cette grande aventure, à travers mes réflexions, mon vécu et les divers échanges personnels que j’ai eu ici ou là. Il se veut sans prétentions, et n’a comme orientation que la recherche de la vérité, si elle existe.Chercher la vérité c’est, bien sûr, lutter contre le mensonge où qu’il se niche, mais c’est surtout une recherche éperdue de Justice.

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