Le moine russe Silouane l’Athonite (1866-1938), après des années d’épreuves et de tentations, complètement découragé de sa condition et à court d’espérance, reçoit du Christ lui-même ces mots mystérieux : « Tiens ton âme en enfer et ne désespère pas. » Tout l’inverse de ce que gueulaient les badauds au Calvaire : « Sauve-toi toi-même, si tu es le Fils de Dieu, et descends de la croix ! » (Mt 27,40)
C’est devenu un poncif de le dire : la crise révèle et exacerbe ce qui était déjà là en latence. Notre incapacité individuelle et collective à envisager la moindre souffrance a été révélée et décuplée depuis le premier printemps de cette nouvelle ère.
Ici, il ne s’agit pas de prêcher l’imprudence ni d’enlever une once de valeur au dévouement parfois héroïque des intervenants hospitaliers et sanitaires. Il est plutôt question de commencer un inventaire de ce que nous avons été prêts à déployer sur l’autel de la réduction maximale de la souffrance physique.
Devant toutes les petites batailles gagnées par le Diviseur, difficile de ne pas penser aux dizaines de prêtres italiens morts au chevet de leurs paroissiens pestiférés l’an dernier. Leur témoignage résonne jusqu’à nous aujourd’hui, faisant écho au scandale et à la folie d’un Messie aux bras étendus sur une croix.
Cet article est d’abord paru dans notre numéro spécial automne 2021. Cliquez sur cette bannière pour y accéder en format Web.
Redouter davantage le mal qui ronge le corps de l’homme que celui qui risque de gangréner le Corps du Christ, voilà ce qui nous guette. Qu’un frère ou une sœur en Jésus Christ soit un égoïste ou un irresponsable – ou que je le juge comme tel –, soyons honnêtes, qu’y a-t-il d’inédit dans cette situation ?
Ne plus communier au Sang du Christ, signe et avant-gout de la joie du Royaume, a été le premier symptôme liturgique de la pandémie. Je m’en souviendrai toute ma vie : c’était le soir de mon anniversaire, quelques jours avant le premier confinement et, pour des raisons sanitaires évidentes, nous n’avions communié que sous une Espèce. Nous le constatons à postériori, cette première mesure d’hygiène présageait toutefois ce qui allait suivre : la mise à mal de la communion autour de cette Coupe partagée.
Le véritable génie du christianisme, au-delà des cathédrales dorées, des chefs-d’œuvre littéraires et des Requiem, se situe dans la proximité et l’accueil inconditionnel du fou du village, du lépreux, du déshérité, du mécréant, du dépendant, des « édentés ».
Depuis l’Éden jusqu’aux édentés, Dieu a su déployer des moyens exagérés pour transformer nos histoires de salubrité en histoire de salut. Que nous poursuivions la pureté – physique ou morale –, cela va de soi. Or, trop souvent, c’est au prix de la charité et de la communion. Faut-il souligner que cette recherche d’innocence fait des innocents de tous les côtés du spectre – je vous laisse juger des proportions. Nous avons, nous aussi, déployé des moyens parfois exagérés pour que l’histoire du salut se poursuive malgré la crise sanitaire. Encore un peu, rivalisons d’imagination pour préserver un bien plus grand encore que le salut du corps.
« On ne doit point se jouer des remèdes », argüait Fleurant au frère du vieil Argan, dans le Malade Imaginaire de Molière. Bien d’accord. En n’oubliant jamais que les remèdes – tout comme la santé qu’ils tentent de sauver – sont des moyens et non des fins.
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Source : Lire l'article complet par Le Verbe
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