par Christelle Néant.
Le 27 novembre 2021, le journaliste ukrainien et rédacteur en chef de Censor.net, Iouri Boutoussov, a publié sur son mur Facebook une vidéo, où on le voit tirer à l’obusier D-20 de 152 mm sur les « occupants russes » (c’est-à-dire dans le Donbass) en guise de commémoration pour le jour de mémoire de l’Holodomor.
Sous ce post, se trouve la vidéo, montrant Boutoussov en uniforme avec gilet pare-balles et casque, en train de tirer avec un obusier D-20 de 152 mm sur les « occupants russes », ce qui sous-entend qu’il est dans le Donbass, en train de violer le cessez-le-feu.
Chose confirmée par le texte de son poste où il dit sans ambage qu’il est possible qu’il soit « impliqué dans la mort de certaines personnes dans le Donbass – mais uniquement dans la mort des occupants russes, des terroristes et des assassins du peuple ukrainien ».
Sauf qu’un journaliste n’a pas le droit de tirer sur l’ennemi avec un obusier comme s’il était un soldat ordinaire ! Un journaliste a le droit de se défendre s’il est en danger, mais là nous ne sommes manifestement pas dans ce cas de figure.
En violant ainsi la frontière entre le journaliste et le soldat, Boutoussov met en danger tous les reporters de guerre dans le Donbass, qui étant dès lors assimilés à de potentiels combattants, peuvent être abattus en violation des conventions protégeant les journalistes.
En effet, la protection accordée aux journalistes par la convention de Genève vient du fait qu’ils sont des civils ! Un reporter de guerre qui accompagne une armée pendant un conflit, sans en faire partie, reste un civil. Mais s’il se met à tirer sur l’ennemi alors qu’il n’est pas en danger, comme l’a fait Boutoussov, alors il devient un participant au conflit, et il n’est plus protégé par le droit humanitaire international. Il devient alors une cible légitime pour l’ennemi !
L’article 51.3 de la convention de Genève dit clairement que les « civils bénéficient de la protection de cette section [sur la protection des civils – NDLR] sauf s’ils prennent directement part aux hostilités et ce, pendant la durée de cette participation ».
Un statut confirmé pour ce qui est des journalistes par l’article 79, qui dit clairement que « les journalistes engagés dans des missions professionnelles dangereuses dans des zones de conflit armé seront considérés comme des civils », mais qu’ils ne seront protégés en tant que tels qu’à « condition qu’ils ne prennent aucune mesure portant atteinte à leur statut de civils, et sans préjudice du droit des correspondants de guerre accrédités auprès des forces armées ».
Déjà que l’armée ukrainienne ne respecte pas la convention de Genève en matière de protection des civils et des journalistes, mais si en plus les journalistes ukrainiens en rajoutent une couche, on n’est pas sortis du sable.
Je rappelle qu’en avril 2015, le politologue ukrainien Iouri Romanenko avait écrit sur son mur Facebook, que lors d’un discours prononcé à Harvard, il avait appelé les snipers ukrainiens à tuer les journalistes russes !
« Les forces armées ukrainiennes doivent détruire de manière sélective et complète les journalistes russes qui rendent compte de la situation dans le Donbass. Nous devrions indiquer aux snipers des FAU que les personnes portant des casques avec l’inscription Press sont à détruire en priorité », a-t-il écrit, en disant que même si Human Rights Watch hurle face à de telles méthodes, la mauvaise publicité sur l’Ukraine reste de la publicité, et qu’ils en ont besoin.
C’est à cause de l’application par l’armée ukrainienne des « principes » énoncés par Romanenko et d’autres, que les reporters de guerre travaillant dans le Donbass, dont moi-même, avons été obligés d’enlever les mentions « Press » de nos casques et gilets pare-balles pour éviter de nous faire tuer !
Alors quand Boutoussov s’est montré en vidéo en train de violer totalement son statut de journaliste en tirant avec un obusier, les reporters de guerre russe l’ont vertement critiqué sur les réseaux sociaux.
En prime, cette vidéo prouve non seulement que l’armée ukrainienne viole le cessez-le-feu, et que Boutoussov a un goût assez douteux en matière de « commémoration » d’une tragédie, mais elle montre aussi que n’importe qui peut venir faire un « safari » sur le front du Donbass côté ukrainien, et tirer, y compris avec des armes lourdes interdites par les accords de Minsk, sur la RPD et la RPL (Républiques Populaires de Donetsk et de Lougansk), au risque de blesser ou de tuer des soldats de la milice populaire ou des civils (parce que contrairement à ce que raconte Boutoussov il n’y a pas d’occupant russe dans le Donbass, il a tiré sur ses anciens concitoyens).
Dans les commentaires sous son post Facebook plusieurs personnes lui ont rappelé qu’un journaliste n’a pas le droit de tirer avec une arme sur le front, d’autres ont vertement critiqué l’armée pour avoir laissé Boutoussov tirer, ou la volonté de ce dernier de faire du battage médiatique à tout prix.
Face aux critiques, Boutoussov a alors mis à jour son post, expliquant qu’en fait la vidéo aurait été filmée il y a très longtemps sur polygone, et qu’il n’a donc pas violé les conventions internationales.
Sauf que cela ne colle pas. S’il était sur polygone, pourquoi avoir écrit – et ne pas avoir effacé – la partie où il dit être potentiellement impliqué dans la mort « d’occupants russes » dans le Donbass ? Comment Boutoussov aurait pu tuer des « occupants russes » en tirant avec un obusier sur polygone ? J’aimerais bien avoir une explication, parce que je vois assez mal comment cela serait possible.
Je crois surtout que Boutoussov a voulu jouer les fiers à bras pour redorer son image de patriote défendant l’Ukraine après l’altercation qu’il a eu avec Zelensky. En effet, lors de sa conférence de presse marathon, Boutoussov l’a vivement critique pour la nomination de Rouslan Demtchenko comme conseiller à la sécurité nationale, en le traitant « d’agent russe ». Zelensky a alors blâmé Boutoussov pour la publication de la vidéo prise depuis un drone Bayraktar, utilisé au combat dans le Donbass fin octobre 2021.
« M. Boutoussov, vous parlez de responsabilité pour la vie des gens, pour la mort des gens. Grâce à vous, j’ai eu deux ou trois conversations internationales par jour au cours de la semaine écoulée, notamment avec les dirigeants de l’UE, des États-Unis, du Royaume-Uni, de la France et de l’Allemagne. Dois-je vous dire pourquoi ? Vous êtes le premier à avoir montré des informations sur la réponse de nos drones ukrainiens aux forces armées illégales dans le Donbass temporairement occupé. […] Vous avez la mort de personnes sur votre conscience. Après cela, combien d’attaques et de bombes ont été larguées sur nous par des drones ! », a déclaré Zelensky.
En tout cas, le Bureau d’Enquête d’État ukrainien ne semble pas avoir pris la vidéo de Boutoussov à la légère et a décidé d’ouvrir une enquête pour « violation des règles d’utilisation d’armes » et « planification, préparation, déclenchement ou conduite d’une guerre d’agression ». Même le ministre ukrainien de la Défense a vertement critiqué la vidéo de Boutoussov, en disant que cela pourrait offrir un prétexte à la Russie pour accuser l’Ukraine de violer les accords signés, et de ne pas contrôler l’utilisation des armes dans les unités de l’armée ukrainienne.
J’espère que la justice ukrainienne fera son travail, et rappellera à Iouri Boutoussov, comme à tous les autres journalistes ukrainiens, qu’il n’est pas acceptable qu’un journaliste tire avec un obusier sur la ligne de front, en pleine escalade du conflit du Donbass, juste pour faire parler de lui.
source : https://www.donbass-insider.com
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Source : Lire l'article complet par Réseau International
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