L’auteur est psychologue clinicien et chercheur, et professeur titulaire de psychologie du counselling à l’Université McGill
Cette opinion est parue dans le Journal de Montréal du mercredi, 17 novembre 2021
(Une réplique à Robert Libman)
Dans un texte récent paru en ces pages, M. Libman affirme que la perception des francophones à l’endroit des anglophones n’est qu’un stéréotype déconnecté de la réalité ; les anglophones québécois maîtriseraient notre langue et seraient respectueux et même fiers du fait français au Québec.
Sur QUB Radio, il fait référence à la « vendeuse anglaise de chez Eaton », véritable archétype, et affirme qu’elle n’existe plus. De toute évidence, lui et moi évoluons dans des Québec forts différents. Voici le mien.
Des profs incapables de parler français
Je suis professeur à l’Université McGill depuis près de 20 ans. McGill est une université anglophone. Point. Mais si M. Libman a raison, le français y serait aussi bien présent. Or, dans mon programme, on compte à peine plus d’une demi-douzaine de professeurs. Le groupe est petit, mais déjà on y trouve deux professeurs, dont un habitant le Québec depuis plus de 20 ans, qui sont strictement incapables de parler français.
Dans mon département, on compte près de 35 professeurs. Entre la moitié et les deux tiers sont incapables de parler français. Des récipiendaires du prestigieux titre James McGill dans ma faculté, aucun, sauf peut-être un, ne parle français. Au cours des 20 dernières années, j’ai vu passer une douzaine de directeurs du programme, du département et doyen de ma faculté. Environ trois sur quatre étaient incapables de parler français. Dix ans après que l’Assemblée nationale a instauré la Journée nationale des Patriotes, à McGill, on faisait encore et toujours référence au Victoria Day.
Dans mon programme, lorsque fut le temps d’inviter des candidatures pour un prix étudiant de l’ordre des conseillers d’orientation, des collègues se sont opposés au fait qu’une certaine maîtrise de la langue française soit requise pour être éligible au prix et devenir membre de l’ordre.
Un collègue a par ailleurs écrit à l’ordre pour leur dire que cette exigence quant à la langue était discriminatoire envers les anglophones et allophones. Dans ce même programme, on a tenté de mettre en place un système d’admission qui aurait notamment pénalisé les Québécois francophones.
Quand je m’y suis opposé, notamment la seconde fois, j’ai entre autres eu droit à trois sermons sur les élans colonialistes des Québécois francophones, les trois livrés par des collègues unilingues anglophones, incapables de toute évidence de voir l’ironie de la situation.
Services en français…
J’ai aussi dû soumettre une plainte pour harcèlement, rédigée en français, mais traitée par deux enquêteurs dont un seul parlait le français. J’ai eu à communiquer avec les ressources humaines en raison d’un arrêt maladie ; seul un de mes trois interlocuteurs parlait le français. J’ai dû discuter avec un conseiller en diversité ; toujours pas de français – de toute évidence, le français ne fait pas partie de la diversité apprêtée à la façon McGill.
J’ai enfin dû me tourner vers l’association des professeurs de McGill, qui me dirigea vers des conseillers pour m’orienter dans les dédales administratifs de l’université. Des trois, un parlait peut-être le français, les deux autres, non. De ces deux derniers, l’un m’expliqua qu’il est incertain qu’un francophone puisse être victime de harcèlement/discrimination, car même si les francophones sont minoritaires au Canada, ils sont majoritaires au Québec et il est par définition impossible de discriminer envers un groupe majoritaire…
De toute évidence, la perception que l’on a de l’importance accordée au français par les anglophones dépend du milieu dans lequel on évolue. J’aimerais évoluer dans celui décrit par M. Libman, car dans le mien, il semblerait que la fameuse « vendeuse anglaise de chez Eaton » à laquelle il fait référence existe toujours. Elle travaille à McGill. Payée par nos impôts.
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