L’adoption de la Loi sur l’équité salariale (LÉS) il y a 25 ans était accueillie par les orthophonistes et audiologistes exerçant dans les institutions publiques québécoises, comme étant prometteuse pour la reconnaissance de l’importance et la complexité de leur travail. Plus spécifiquement, ces professionnelles espéraient que la nouvelle législation valorise la rigueur de leur formation universitaire qui exigeait déjà à l’époque, contrairement à d’autres professions des domaines de la santé et de l’éducation, une diplomation du niveau de la maîtrise. Cependant, dès que les conclusions de l’évaluation initiale des emplois, réalisée suite à l’entrée en vigueur de la loi, ont été rendues publiques (2001), une vague d’indignation suivant le maigre correctif salarial de 0,21% a déferlé sur la communauté professionnelle, composée à 96% de femmes. En effet, il s’agissait là d’un des ajustements les plus faibles ayant été octroyés parmi tous les titres d’emploi occupés majoritairement par des femmes, la moyenne se situant à 6,25%.
Bien que des analyses concernant cette entente aient été réalisées par l’Association québécoise des orthophonistes et audiologistes (AQOA) au cours des années subséquentes, la loi est ainsi faite qu’il est impossible de rétroagir en contestant les résultats du règlement initial. Seuls les changements significatifs dans les différents aspects du travail, reconnus lors des exercices périodiques de maintien de l’équité salariale prévus à la loi, peuvent donner lieu à des correctifs salariaux.
C’est à l’été 2021, après plus d’une décennie de tentatives infructueuses de négociation entre les parties syndicales et patronales, ponctuées de fastidieuses périodes d’enquête de la Commission des normes, de l’équité, de la santé et de la sécurité du travail (CNESST), que s’est enfin concrétisé un règlement. L’Association croyait que cette entente concernait le premier exercice de maintien de l’équité salariale, s’intéressant aux changements survenus dans les professions pendant la période de référence s’échelonnant de 2001 à 2010. En l’absence des détails dudit règlement, cette entente fut considérée de prime abord comme un “pas dans la bonne direction”, le correctif amenant un résultat concret en ce sens que le salaire des orthophonistes et audiologistes était rehaussé du rangement 22 au rangement 23. Toutefois, lorsque les détails du règlement ont été rendus publics, l’AQOA a pu constater que dans les faits, la valeur des différents aspects du travail de ses membres exerçant dans la fonction publique n’était pas pleinement reconnue pour l’exercice 2010. Pire encore, la communauté professionnelle était placée devant le fait établi que le règlement incluait également le second exercice de maintien de l’équité salariale, celui s’intéressant aux changements survenus dans la pratique au cours de la période de référence s’échelonnant de 2010 à 2015. Il s’agissait d’une déception supplémentaire, considérant que d’autres changements importants étaient également survenus pendant cette période, méritant également reconnaissance.
L’AQOA tient à rappeler que les disciplines de l’orthophonie et de l’audiologie ont été en plein essor, et ce, tout au long des deux périodes actuellement visées par les exercices de maintien de l’équité salariale, soit au cours de la période s’échelonnant au total de 2001 à 2015. Notamment la diversification des champs d’expertise et l’évolution des connaissances a eu un impact majeur sur la lourdeur de la formation et le travail de ces professionnelles, qui doivent maîtriser des moyens d’évaluation et d’intervention de plus en plus complexes afin de remplir leurs obligations déontologiques. Il est préoccupant, même troublant, de constater que si peu de changements soient reconnus par l’entente syndicale/patronale. De ce fait, l’Association questionne fortement l’objectivité de la démarche d’équité salariale instaurée au Québec, notamment la validité du système d’évaluation des emplois utilisé dans la fonction publique québécoise. Elle considère que les orthophonistes et audiologistes exerçant dans les institutions publiques québécoises méritent minimalement le rangement salarial 24, et que toute rémunération inférieure représente la poursuite d’une discrimination salariale sexiste.
Actuellement, l’insatisfaction générée par le règlement survenu amène la communauté professionnelle à se mobiliser, d’abord en maintenant massivement les plaintes individuelles déposées devant la CNESST, en marge des plaintes syndicales venant d’être l’objet d’un règlement avec le gouvernement. Il est espéré qu’une analyse plus objective de la Commission permettra enfin de faire reconnaître à sa juste valeur la contribution sociale de ces femmes qui, au quotidien, interviennent auprès de milliers de citoyen.ne.s québécois.e.s, majoritairement des enfants, aux prises avec des troubles du langage, de la parole et de l’audition.
Des faiblesses méthodologiques
Au moment de l’entrée en vigueur de la LÉS, le gouvernement a mis en place un comité sur l’équité salariale qui devait faire le choix d’une méthode et d’un outil d’évaluation pour se conformer à la loi. La méthodologie retenue a été d’acheminer des questionnaires à des travailleuses des différentes catégories d’emplois afin de recueillir des informations sur leurs tâches. C’est par l’analyse de ces informations que le gouvernement et les syndicats ont convenu, après de longues négociations, d’un rangement salarial pour les professions. Toutefois, l’utilisation de questionnaires pour la collecte d’informations est réputée chez les spécialistes en évaluation des emplois comme comportant des risques de biais. En effet, la tendance observée est que les participantes sous-estiment ou surestiment leur travail en décrivant leurs tâches. La recommandation des experts va dans le sens de combiner l’utilisation des questionnaires avec d’autres moyens de collectes de données, dont des observations directes des tâches ou des entrevues avec les travailleuses concernées, afin de réduire le risque de biais d’évaluation. L’Association est préoccupée de constater le manque de rigueur de la méthodologie qui fut utilisée pour appliquer cette législation, considérant son importance en termes de justice sociale.
Des professions mal traitées au Québec par rapport aux autres provinces du Canada
À l’échelle canadienne, l’étude de la rémunération de la catégorie d’emplois des orthophonistes et audiologistes soulève des questionnements quant à la singularité de son positionnement salarial, relativement à d’autres professions comparables de la santé, issues notamment du secteur de la réadaptation. En effet, une analyse réalisée par l’AQOA met en évidence que lesorthophonistes et audiologistes des autres provinces canadiennes sont systématiquement mieux rémunérées que leurs collègues des autres disciplines. Ce n’est pas ce qui est constaté au Québec, et ce, même suivant les correctifs salariaux récents. Cette position salariale singulière de la communauté professionnelle au Québec ne peut s’expliquer par des différences sur le plan de la formation, ou considérant de manière générale les réalités de l’exercice professionnel interprovincial.
Une représentation syndicale à poursuivre en vue d’obtenir une juste rémunération
L’AQOA croit que des développements positifs peuvent encore survenir dans le traitement du dossier via la loi sur l’équité salariale, devant la CNESST. Cependant, dans l’éventualité où les conclusions ne permettraient pas de corriger l’iniquité salariale persistante constatée pour la catégorie d’emplois, l’Association enjoint les représentants syndicaux à considérer les analyses qu’elle a réalisées ainsi qu’à s’acquitter de leur devoir de représentation en utilisant d’autres plateformes de négociation pour obtenir des correctifs salariaux supplémentaires, par exemple via des demandes pouvant êtres adressées au moment du renouvellement de la convention collective actuelle.
À propos
L’Association québécoise des orthophonistes et audiologistes (AQOA) est un organisme à but non lucratif, dont le mandat est de défendre les intérêts de ses membres, notamment en protégeant et en promouvant l’orthophonie et l’audiologie au Québec.
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