Son exposé et celui de sa collègue 020SI, très denses, mettent en lumière ceci : ce trio de kamikazes français – Samy Amimour, Ismaël Omar Mostefai et Foued Mohamed Aggad- s’est forgé sur les fronts de l’État islamique en Syrie, dans des katibas (des brigades) de combattants francophones connues pour leurs exactions : la katiba Al Mouhajirin (les immigrés), devenue katiba Al-Battar – dont Abdelhamid Abaaoud a fait partie- et la katiba Tariq Ibn Zyad. Celle-ci, précise 209SI, créée par un ancien de la légion, « s’illustre dans de nombreux combats en 2015. »
Sa particularité : elle regroupe des « inghimasis » (infiltrés) : des combattants équipés d’une ceinture explosive chargés d’aller derrière les lignes ennemies. « S’ils ne peuvent pas revenir, ils maximisent les pertes en se faisant exploser », explique l’enquêteur, qui précise : « L’attaque du Bataclan rentre dans cette méthode. »
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Le premier, décrit comme introverti, capable de traiter ses parents de « mécréants », admirateur d’Oussama Ben Laden comme « le seul à avoir fait plier l’Amérique », avait été repéré par les services de renseignement pour une tentative de départ en terre de djihad en 2012. C’est en constatant qu’il ne respecte plus son contrôle judiciaire et en découvrant son passage à la frontière turco-syrienne que le nom de Mostefai apparaît. Ce dernier, grandi dans « une sphère religieuse très fournie », se serait radicalisé à partir de 2010 dans des mosquées de Chartres, notamment au contact d’un salafiste marocain. Amimour et Mostefai « passent le poste-frontière ensemble : on peut supposer qu’ils ne se quitteront plus », avance l’enquêteur.
Sur zone, Amimour, blessé à la jambe, parle de Louis de Funès et envoie des photos de chat à sa sœur aînée mais il enrôle sa cadette, qui lui sert d’intermédiaire pour lui fournir une jeune épouse de 17 ans. Il est vu par d’autres djihadistes à Hreytan – ville où des massacres de civils sont perpétrés en début 2014 et où la vidéo d’Abaaoud traînant des cadavres est filmée. Et à Shaddadi, « point de rencontre crucial pour les attentats de 2015 ». Quant à Mostefai, la DGSI s’interroge « très vite sur son niveau d’engagement hiérarchique » : ses connaissances en langue arabe et en religion lui auraient permis de prendre « une position de chef plus que de simple soldat » – un leadership qu’il aurait conservé jusqu’à l’attaque du Bataclan et que les otages du couloir ont perçu.
Foued Mohamed Aggad, un Alsacien né en 1992, recruté par le jihadiste français Mourad Farès, arrive pour sa part en Syrie mi-décembre 2013. Sur l’écran, en gros plan, apparaît sa fiche d’enrôlement : « Combattant », est-il indiqué dans ce singulier questionnaire qui mentionne la présence de son frère Karim et où l’on trouve : « Niveau de connaissance de la Charia : basique » ; « Quelle était votre profession avant de venir ? travailleur dans le bâtiment. Avez-vous fait le jihad avant et où ? Non. » Depuis la Syrie, Aggad échange beaucoup avec ses proches, à qui il ne cache rien de ses intentions. « Si je rentre en France, c’est pas pour aller en prison. C’est pour tout exploser », dit-il à sa future épouse, une jeune Strasbourgeoise qu’il convainc de le rejoindre.
Selon les renseignements de la DGSI, les trois Français se rencontrent à Alep avant de rejoindre Raqqah puis Shaddadi, « lieu d’une potentielle réunion où se sont préparés les attentats de novembre 2015 ». Entre-temps, ils auraient donc combattu ensemble fin 2014 au sein de la katiba Al-Battar puis dans la katiba Tariq Ibn-Ziyad. La « constitution opérationnelle du trio du Bataclan » se finalise par ce que l’enquêteur appelle « le pacte du sang » : les décapitations filmées d’otages, qui serviront à la vidéo de revendication des attentats diffusée début 2016. « Quand on est prêt à découper la tête d’un individu non armé, c’est qu’il n’y a plus de retour en arrière possible », note le commissaire.
« Je pars dans une semaine avec la permission d’Allah… À Mossoul et pour le paradis si Dieu le veut », indique à son frère Karim mi-août 2015 Foued Mohamed Agad, en lui mentant sur sa véritable destination. Fin août, il lui fait ses adieux. Lui, Amimour et Mostefai empruntent ensemble la route des migrants. Ils arrivent à Budapest (Hongrie) dans la nuit du 9 au 10 septembre 2015, leur dernière étape avant la Belgique.
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