L’auteur est historien
L’article fait 3047 mots. Il sera publié dans le Bulletin d’histoire politique vol.29 no 3,(automne 2021)
Cet ouvrage se veut à la fois une synthèse et un essai interprétatif de cette tranche de près d’un quart de siècle de l’histoire contemporaine du Québec, soit de la mort de Duplessis le 7 septembre 1959, jusqu’au 16 février 1983 précisément, moment où le PQ oblige les enseignants en grève des collèges et des écoles du secteur public à rentrer au travail sous la menace de fortes sanctions. Pour nos deux auteurs, ce qui caractérise fondamentalement cette période qualifiée de Révolution tranquille, c’est le plein déploiement de l’État-providence québécois. La grève de février 1983 serait le moment précis où le consensus de l’État-providence se brise et l’ère néolibérale débute. C’est le gouvernement péquiste qui, par cette loi, a entraîné ce virage néolibéral, lequel sera poursuivi par le deuxième gouvernement de Robert Bourassa élu en 1985. Ce dernier proposera de réduire l’État et de procéder à une privatisation de certains services publics.
Ce déploiement de l’État-providence québécois est conçu comme « la pierre angulaire de l’émancipation des Canadiens français, qui deviennent progressivement des Québécois francophones, et le moment où émerge un tout nouveau sentiment d’appartenance ». Cette politique keynésienne du gouvernement du Québec n’est toutefois pas apparue soudainement, car « certains groupes et acteurs sociopolitiques militant depuis les années 1940, travaillent à la mise en place de cet État-providence au Québec ». Ces « précurseurs » seront bien décrits, particulièrement les projets et réalisations du gouvernement Godbout et des progressistes qui militent depuis les années 1930 pour des réformes sociales. Les auteurs rappellent que « tout au long des années 1960, la grande majorité des responsables étatiques et des leaders d’opinion dans les médias québécois développent une pensée fédéraliste qui revendique plus de pouvoir pour le Québec » (p.155).
L’ouvrage met l’accent sur les mouvements sociaux qui annoncent « l’ère des identités » individuelles ou communautaires actuelles et montre comment l’État répond progressivement aux demandes de ces groupes. Pour nos deux auteurs, ce n’est pas la volonté de développer un État national québécois en opposition au mouvement centralisateur canadien qui constituait leur objectif. L’ensemble des politiques sociales québécoises verront ainsi le jour sans que soient mises en valeur les résistances de l’État central qui tient à construire son propre « nation building ».
Nos auteurs prennent la peine de préciser « que cet État – l’État du Québec, que celui-ci soit autonome ou non dans le régime fédéral canadien, conçu et déployé comme un État-providence – devient un facteur de mobilisation collective » (p.12). Ils mettent donc l’accent sur les politiques et les mesures sociales votées par les gouvernements qui se sont succédé : Jean Lesage, Daniel Johnson, Robert Bourassa et René Lévesque. Elles se déroulent en grand nombre sur un grand tapis rouge sans insistance sur les résistances.
Il sera en effet peu question dans cet ouvrage des relations tendues entre Québec et Ottawa. Le débat fédéralisme/souverainiste n’étant plus à l’ordre du jour, nos auteurs s’intéresseront peu au rôle du gouvernement fédéral pour contrer les initiatives des divers gouvernements québécois pour élargir sa marge d’autonomie. La question du déséquilibre fiscal entre les ressources du fédéral et celles des provinces et les difficultés de l’État québécois de créer ses propres programmes, que ce soit en santé, en éducation, dans les affaires urbaines, en environnement comme en relations internationales, sont peu abordées dans cette Brève Histoire. Si la grande majorité des acteurs sociopolitiques adhèrent à la promotion d’un projet de société organisé autour de l’État comme garant du bien commun, c’est d’abord l’épanouissement individuel des citoyens qui passe par le renforcement de l’État comme garant du bien commun.
Dans leur introduction, nos auteurs présentent
Le deuxième temps, le « vivre », présente une lecture à la fois analytique et chronologique de l’expérience des Québécois. Pâquet et Savard y décèlent trois sous-périodes : de 1959 à 1971, avec une insistance sur les années du régime libéral de1960 à 1966; c’est la période au cours de laquelle des élites, formées principalement de responsables politiques et de technocrates proposent des réformes « de haut en bas ». La deuxième période, de 1971 à 1975, voit des groupes de citoyens et de citoyennes à l’esprit civique prendre la parole dans un mouvement « du bas vers le haut ». Cette période d’intenses contestations de la part de nouveaux protagonistes dans le champ politique – militants et militantes de groupes de pression socialistes, féministes, environnementalistes, leaders autochtones ou étudiants, etc., apporte un nouveau souffle à
Dans la troisième sous-période, de 1974 à 1983, on insiste sur le premier gouvernement du PQ qui voit s’opérer une synthèse entre plusieurs groupes revendicateurs de la société civile et le gouvernement Lévesque. La question linguistique est présente au début de cette période avec la contestation de la loi 22 jusqu’à l’adoption de la loi 101 en 1977. L’élection du parti québécois en 1976 relance
La première partie, intitulée « Situer » (p. 26 à 82) sur la contextualisation, présente les facteurs qui ont influencé le Québec. On y décrit les États occidentaux qui ont adopté des politiques keynésiennes (création d’entreprises publiques, filet de sécurité sociale, promotion des droits individuels, modernité culturelle). On souligne que la sécularisation du Québec n’est pas un phénomène propre à cette province, « quoique le cas de l’Église catholique romaine est singulier » (p. 38). Tous ces changements adoptés ailleurs feront aussi leur apparition au Québec au début des années soixante. On retient aussi les origines québécoises de
Dans la deuxième partie de l’ouvrage, on aborde le premier moment des grandes réformes. Au chapitre 3 intitulé « le temps de l’État du Québec, 1959-1971 », on présente les élites qui définissent les orientations de l’État québécois en fonction de leurs propres valeurs et intérêts. Ces nouvelles « élites définitrices » proviennent surtout de la nouvelle classe moyenne francophone. Ce sont elles qui « occupent des positions privilégiées leur permettant de définir le bien commun et les choix de société » (p. 87). Les auteurs insistent sur le fait que ce sont des réformes qui partent du haut vers le bas. On ne montre pas comment ces mesures de démocratisation du système scolaire, comme la démocratisation de l’accès aux soins de santé sont depuis longtemps souhaitées par la population. Durant cette première décennie, les citoyens semblent passifs. Pourtant le peuple ne faisait pas qu’appuyer ces mesures lors des élections. Prenons l’exemple de la nationalisation de l’électricité à l’élection de 1962. Les nationalistes s’activaient depuis longtemps à réclamer la fin de la privatisation de ce service essentiel. Comme l’explique Lucia Ferretti, dans une recension récente de cet ouvrage, publiée dans Les Cahiers de L’Action nationale, « les combats nationalistes dans la société civile, ne sont pas repérés comme ayant participé à la genèse de
Pâquet et Savard présentent ces « élites définitrices » de la décennie soixante de façon un peu caricaturale, reprenant les écrits du sociologue J. J. Simard pour qui ces technocrates forment
[…] une classe sociale dominante. Celle-ci se serait éloignée des préoccupations des citoyens en détournant les idéaux de
[…] ces « élites définitrices » des débuts de
On évoque peu le mouvement d’éveil national chez l’ensemble des citoyens ni le rôle des nationalistes progressistes comme Georges-Émile Lapalme ou René Lévesque qui ont rendu possibles ces réformes libérales. On rejette l’interprétation qui montrait bien comment une nation se reconnaît, s’éveille et comment une société se démocratise et se donne des leaders conscients de l’oppression nationale, et les suit dans leur tentative pour changer le statut du Québec, malgré les moyens disproportionnés dont disposent les fédéralistes.
Le mot « national » n’était pas encore devenu suspect. On ne retrouve pas dans ce premier temps de
Le peu de place accordée aux débats constitutionnels, aux conflits avec le gouvernement fédéral et aux mouvements indépendantiste et nationaliste est notable. Le mot indépendance est presque devenu le mot en « i », imprononçable, souvent confondu avec le terme nationalisme ou encore « groupe de pression ». Nos auteurs savent bien que la mémoire collective a retenu certaines dates, comme celles de l’élection de 1962, de la crise d’Octobre ’70, de l’emprisonnement des chefs syndicaux en 1972 – une « bombe » certainement aussi importante que celle de février 1983! – du référendum de1980 et du conflit Lévesque-Trudeau. Nos auteurs veulent produire une histoire scientifique, en rupture avec cette mémoire nationaliste. Bien sûr, on ne doit pas confondre mémoire et histoire, mais que dire d’un récit en rupture avec la mémoire collective? Les questions comme l’échec du référendum ou le rôle du premier grand parti indépendantiste – le RIN – ou encore le manifeste d’Octobre 70 du FLQ, méritaient d’occuper plus d’espace dans cet ouvrage de 276 pages. Ce manifeste de
L’angle d’approche adopté par Pâquet et Savard accordent une grande place au cours de la période avant 1971 à des questions qui n’étaient pas encore au cœur de l’actualité. Ces enjeux, comme celui du mouvement féministe, ne s’affirment pas avant le début des années 70. Pensons seulement aux revendications autochtones ou aux revendications du mouvement homosexuel. Ces enjeux qui se manifesteront avec force plus tard, ne sont pas présents si tôt dans l’actualité. C’est la question de l’émancipation nationale québécoise, sous l’angle politique et économique qui était au cœur de ce qui s’est appelé « Révolution tranquille » et que traduisait le slogan « Maîtres chez nous ». Durant la période 1967 à1974, nos auteurs donnent la parole aux mouvements sociaux issus du bas. Ils écrivent même que « cette période est à placer sous le signe de la contre-culture » (p.137). Mais 1967 était aussi l’époque où les foules faisaient un accueil remarquable au président français Charles de Gaulle et les étudiants comme les militants de groupes populaires ou une frange importante de syndicalistes militaient aussi pour les revendications nationales. Cette génération de féministes était aussi largement nationaliste et indépendantiste. Et les syndicalistes qui organisaient la visite de madame Allende après le coup d’État du Chili de 1973 étaient aussi indépendantistes et pas du tout « ces élites syndicalistes sclérosées ». Même s’il est fait mention de l’émancipation collective à plusieurs occasions dans ce livre, manifestement nos auteurs évacuent ce conflit principal qui marque la période de
Lucia Ferretti, dans sa recension de l’ouvrage, a bien raison d’y mettre le titre « Où est passée la nation québécoise? » D’abord, retenir une aussi longue période sous l’étiquette « Révolution tranquille » surprendra les acteurs et témoins de ces années de même que de nombreux historiens, car l’expression a été lancée au début de la décennie soixante pour marquer les premières grandes réformes en santé et en éducation qui étaient en rupture avec la culture politique du duplessisme. Ces changements impliquaient une sécularisation rapide et une transformation administrative importante de l’État québécois, ainsi que des relations de travail.
La troisième partie de l’ouvrage aborde le souvenir de
Bien sûr, il faut comprendre que chaque génération d’historiens cherche à faire voir l’histoire sous son angle de vue; encore faut-il que les interprétations proposées ne travestissent pas le mouvement de fond de l’histoire qu’on raconte. Malgré la somme importante de faits rapportés et l’effort de synthèse déployé, on sort de cette lecture avec une compréhension assez incomplète de ce qui s’est appelé « Révolution tranquille ».
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