L’administration Biden aborde ses principaux partenaires diplomatiques en agitant les exigences de Washington comme si ces États devaient répondre à ces accusations, sans se défendre impertinemment en retour.
Par Alastair Crooke – Le 24 octobre 2021 – Source Al Mayadeen
La politique étrangère américaine – si une telle chose existe vraiment de nos jours – a de quoi laisser perplexe. Wendy Sherman, envoyée en Chine ? Et Victoria Nuland, probablement l’Américaine la moins appréciée à Moscou aujourd’hui, envoyée en Russie ? C’est quand même la dame qui a distribué des cookies lors de la « révolution de couleur » de la place Maidan.
Y a-t-il une logique cachée dans tout cela, ou ont-elles été envoyées intentionnellement pour souligner qui est le patron (c’est-à-dire que l’Amérique est de retour) ? Si tel est le cas, cela n’a pas fonctionné. Les deux envoyées ont effectivement été renvoyées, et les relations de Washington avec ces États clés se sont dégradées pour devenir quasi nulles. Pékin et Moscou ont simplement donné aux deux émissaires une liste de conditions préalables à remplir par les États-Unis s’ils souhaitent avoir un échange significatif à l’avenir.
L’administration Biden aborde ses principaux partenaires diplomatiques en agitant les exigences de Washington (Ouïghours, droits de l’homme, Taïwan, Hong Kong, Ukraine, Syrie, etc.) comme si ces États devaient répondre à ces accusations, sans se défendre, impertinemment, en retour.
Au départ, l’administration Biden avait deux principes apparemment solides : le premier – le plus évident – était que Biden et les Démocrates étaient en poste pour « défaire » tout ce que Trump avait fait. Il s’agissait presque d’un exorcisme rituel : il fallait littéralement tout annuler, que cela ait du sens ou non. Le deuxième truisme était censé être que les Démocrates considéraient la Russie comme une « affaire inachevée » – un ennemi éternel qui devait encore être soumis, mais que Trump et le GOP voyaient la Chine montante comme la plus grande menace pour la suprématie américaine.
Au début, il semblait que l’équipe Biden interprétait l’intense concurrence de l’Amérique avec la Chine comme une autorisation de dresser une série de points de pression sur la Chine, tirés de l’agenda moralisateur du Caucus progressiste, tandis qu’à la « table d’honneur », les chefs arrogants géreraient la « concurrence » d’en haut – ces derniers étant « tous adultes », ils accepteraient toutefois de coopérer ensemble (c’est-à-dire de suivre l’exemple de Biden), sur « l’urgence climatique ».
Mais ici au moins, la dynamique est claire : les Démocrates peuvent détester Trump, mais l’obsession de ce dernier pour la Chine pendant son mandat est devenue le consensus bipartisan américain. L’équipe de conseillers sur la Chine de l’administration actuelle a plaidé auprès de Biden en faveur d’une politique axée sur la prévention de la marche de la Chine vers la primauté (presque à n’importe quel prix). Biden a accepté : « la Chine ne sera pas autorisée à devenir plus riche ou plus puissante politiquement que les États-Unis – durant ma présidence ».
Un certain nombre de faucons chinois autour de Biden sont partis du principe qu’une focalisation sur la Chine impliquait en même temps que la concurrence des États-Unis avec la Russie devait être « équilibrée » (c’est-à-dire atténuée) qu’on le veuille ou non. Et après une première vague de tensions (les forces de Kiev se massant vers l’Est séparatiste, ce à quoi la Russie a répondu par une mobilisation éclair juste de l’autre côté de la frontière ukrainienne), il semblait que Biden était d’accord avec ses faucons chinois. Il a rencontré le président Poutine en tête-à-tête à Genève. Cette rencontre n’a pas donné lieu à grand-chose, mais elle a semblé indiquer que Washington souhaitait mettre de côté la question de la Russie, alors qu’elle se concentrait pleinement sur la Chine.
Nous en étions donc là, lorsque les relations entre les États-Unis et la Chine ont commencé à se dégrader sérieusement. Pékin avait réagi avec fureur à la déclaration du porte-parole américain, Ned Price, selon laquelle les États-Unis étaient très préoccupés par l’activité aérienne de la Chine près de Taïwan, qualifiant ces actions de « provocatrices ». M. Price a également qualifié Taïwan de « démocratique », d‘ »allié des États-Unis » et de pays qui « partage nos valeurs » : « Nous continuerons à nous tenir aux côtés de nos amis et alliés pour faire progresser notre prospérité, notre sécurité et nos valeurs communes et approfondir nos liens avec la démocratie taïwanaise ».
Après le coup de semonce de Pékin à la suite de la déclaration de Ned Price, le conseiller à la sécurité nationale de Biden, Jake Sullivan, s’est rendu d’urgence à Zurich pour rencontrer Yang Jiechi, membre du Politburo et directeur du bureau de la Commission des affaires étrangères. Yang et Sullivan ont apparemment parlé pendant près de six heures. Il semble qu’ils étaient en désaccord sur tous les sujets.
Puis l’ancien Premier ministre australien, Tony Abbott, s’est rendu à Taipei, où il a insisté sur le fait que « toute tentative de coercition aurait des conséquences incalculables » pour la Chine, et a fortement suggéré que les États-Unis et l’Australie viendraient militairement en aide à Taïwan. « Je ne crois pas que l’Amérique puisse rester sans rien faire et regarder [Taïwan] se faire avaler ». Et dimanche dernier, la présidente Tsai, marquant le 110e anniversaire de la déclaration de la République, a encore attisé les tensions en suggérant que Taïwan était la « première ligne de défense de la démocratie contre l’autoritarisme ». Son discours était truffé de termes laissant entendre qu’il y a deux pays de chaque côté, c’est-à-dire, en fait, qu’il y a deux nations distinctes.
Voici l’essentiel : l’équipe Biden dit qu’elle souhaite une « concurrence maîtrisée » avec la Chine, mais pourquoi alors envoyer Wendy Sherman (qui n’est pas réputée pour ses compétences diplomatiques) en Chine comme envoyée ? Si l’équipe Biden souhaite une concurrence contrôlée (c’est ce qu’elle a déclaré vouloir lors d’un récent appel au président Xi), pourquoi n’a-t-elle cessé d’ébranler la politique d’« une seule Chine » de 1972 par une série de petites actions apparemment inoffensives sur Taïwan, mais qu’elle échoue, à chaque fois, à établir une relation ? L’équipe ne comprend-elle pas qu’elle ne « contient » pas la concurrence, mais qu’elle joue plutôt avec le feu en laissant entendre de manière obscure que les États-Unis pourraient soutenir l’indépendance de Taïwan ?
Et puis, pourquoi envoyer Victoria Nuland à Moscou, si la concurrence avec Moscou devait être discrètement « contenue » ? Comme Sherman, Nuland n’a pas été reçue à un niveau élevé, et sa réputation de « pyromane de Maidan » l’a bien sûr précédée à Moscou.
Que penser de tout cela ? Le mieux que l’on puisse dire est que le « centre » de Washington ne tient pas. Il s’effondre : les choses fonctionnent et puis – soudainement – elles ne fonctionnent plus (un peu comme les lignes d’approvisionnement mondiales). L’équipe Biden est confrontée à un ensemble de crises vraiment déconcertantes sur le front intérieur et s’affaiblit visiblement. Des forces puissantes, frustrées et en colère à l’idée que l’Amérique puisse perdre sa primauté sont peut-être en train de faire pression sur le « centre mou » de la Maison Blanche.
Alastair Crooke
Traduit par Zineb, relu par Wayan, pour le Saker Francophone
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Source : Lire l'article complet par Le Saker Francophone
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