Les zones d’ombre autour de l’affaire Assange se dégagent les unes après les autres pour dévoiler les contours de plus en plus nets d’un monumental scandale d’État.
Plantés là, debout sur une chaise au bout de la jetée des Pâquis avec le Jet d’eau en toile de fond, Assange, Snowden et Manning s’élevaient comme des vigies à l’entrée du port. C’est du haut de la chaise laissée vide à côté des trois lanceurs d’alerte que fut déclaré l’Appel de Genève pour libérer Julian Assange, le 6 juin dernier. Il y a quelques jours, l’impressionnante statue de bronze a été embarquée pour Londres afin d’être installée devant la Haute Cour qui tenait audience ces mercredi et jeudi [la statue a été bloquée à la douane britannique pour des « raisons inconnues » – LGS]. Après un premier refus en début d’année d’extrader Julian Assange vers les États-Unis en raison de son état de santé, la Cour britannique saisie d’un recours de Washington doit statuer à nouveau. S’il devait être extradé, le fondateur de WikiLeaks, incarcéré à la prison de haute sécurité de Belmarsh, risquerait 175 ans de prison. La décision ne tombera pas avant plusieurs semaines alors que l’affaire prend une tournure carrément nauséabonde.
Rappel : Julian Assange est poursuivi au nom de l’Espionage Act de 1917 pour avoir publié des documents classés secrets révélant, entre autres, des crimes de guerre des forces américaines en Afghanistan et en Irak. Ces « fuites » ont secoué le monde et fait enrager les autorités politiques et judiciaires américaines, qui, sous l’administration Trump, ont engagé les poursuites contre le fondateur de WikiLeaks.
L’acharnement exercé sur le citoyen australien est devenu délirant. Il s’agit de le faire taire, définitivement. Mais surtout, son sort doit servir d’avertissement à tous les journalistes et médias qui, au bénéfice de documents « fuités », mettraient en cause l’État américain. Cette attaque délibérée et frontale contre la liberté de la presse emprunte, de plus, des méthodes violant les bases mêmes du droit international. Nils Melzer, rapporteur spécial de l’ONU sur la torture, dénonce le traitement du détenu Assange, assimilé à de la torture.
Mais il y a plus grave ! Le 26 septembre dernier, trois journalistes de renom travaillant pour Yahoo News ont révélé, sur la base de conversations avec trente officiels américains, que l’administration Trump, sous la direction de Mike Pompeo, alors patron de la CIA, a envisagé tous les moyens possibles pour neutraliser Julian Assange, réfugié à l’ambassade d’Équateur. Parmi les options discutées : l’enlèvement et l’assassinat.
Oui, Assange a eu le tort, notamment aux yeux d’une partie de la presse, de ne pas caviarder les noms dans les documents publiés en quantités massives [pas vraiment, mais passons – LGS], avec le risque que des « innocents » soient mis en cause ou menacés. Ce qui n’a pas été avéré à ce jour. Mais rien ne peut justifier le maintien en détention du fondateur de WikiLeaks alors que sa santé mentale et sa vie tout court sont en danger. Les promesses américaines avancées cette semaine de l’autoriser à purger son éventuelle peine en Australie n’y changent rien et ne sont pas crédibles.
Julian Assange est devenu l’enjeu d’intérêts qui dépassent son cas et de valeurs placées aux fondements mêmes de la démocratie. Depuis des années, il est l’objet d’une campagne de dénigrement et de fausses accusations, notamment celles de viol en Suède qui ont fini par être abandonnées non sans laisser de traces. L’un des principaux témoins à charge, un Islandais, vient aussi d’avouer au journal « Stundin » avoir monnayé ses fausses déclarations contre l’immunité de poursuites engagées contre lui par ailleurs.
Les zones d’ombre autour de l’affaire Assange se dégagent les unes après les autres pour dévoiler les contours de plus en plus nets d’un monumental scandale d’État.
Pierre Ruetschi
Journaliste et directeur exécutif du Club suisse de la presse
Source: Lire l'article complet de Le Grand Soir