« Hélas dit la souris, le monde devient plus étroit chaque jour. Il était si grand autrefois que j’ai pris peur, j’ai couru , j’ai couru, et j’ai été contente de voir enfin, de chaque côté, des murs surgir à l’horizon ; mais ses longs murs courent si vite à la rencontre l’un de l’autre que me voici déjà dans la dernière pièce, et j’aperçois là-bas le piège dans le lequel je vais tomber.-Tu n’as qu’à changer de direction , dit le chat en le dévorant. » (Franz Kafka, Petite fable)
En Mathématiques, pour démontrer qu’une affirmation est fausse, on utilise parfois le raisonnement par l’absurde. On suppose que la dite proposition est vraie et en suivant un cheminement logique tout en s’appuyant sur des vérités démontrées, on aboutit à une contradiction. Est-il possible de faire de même face aux affirmations des responsables politiques, des experts et des technocrates?
Avant le covid-19
Le 15 juin 2017, le Président Emmanuel Macron affirma que
«nous ne devons plus essayer d’adapter nos systèmes par des réformes… ça ne marche plus. Ce que nous avons à conduire ensemble, c’est une révolution en profondeur de nos modèles: nos modèles de pensée, nos organisations économiques et sociales, nos façons de nous comporter.» (1)
Dans le viseur des propos présidentiels : la Protection sociale et sanitaire dont le système social des retraites hérité du Conseil national de la résistance (CNR), les services publics de transports dont la SNCF. Et l’Education nationale qui est, en théorie du moins, la fondation sur laquelle se construisent les biens communs cités ci-dessus. En premier lieu, la pensée et non «nos modèles de pensée.»
Il n’est pas inutile de préciser que le modèle économique et social que défend Emmanuel Macron est le même que celui défendu par ses prédécesseurs. Un modèle en parfaite harmonie avec le système idéologique néo-libérale mondialisé. Seul le rythme de sa mise en application a changé au cours du temps. Un rythme fonction de la variable résistance sociale et politique. Mais en ne mettant pas en cause le fondement même de son existence, à savoir la propriété privée, la résistance sociale et politique ne peut que »ralentir » sa mise en application et »adoucir ses effets.
Tout se passe comme dans la fable de la Fontaine. Le loup a permis à l’agneau de s’exprimer librement et de défendre son point de vue, mais cela n’a pas sauvé l’agneau pour autant.
Juin 2017: grève des cheminots…
- Novembre 2018, mouvement des gilets jaunes.
- Depuis décembre 2019, grèves et manifestations : réforme des retraites…
- Privatisation de la SNCF … Aéoroport de Paris…
- Réforme pour »démanteler » le mamouth, à savoir l’Éducation nationale…
- Grèves dans le milieu hôspitalier.
Quel que soit le service public d’où surgit le mécontentement social, les mêmes revendications : créer des emplois, combattre la précarité, améliorer les services, renforcer la protection sociale, défendre l’enseignement public…
Bref, défense du Bien commun face aux marchés financiers…
Et puisqu’en mars 2020, les femmes et les hommes travaillant dans la santé mènent une bataille sans merci contre la COVID-19, il est normal de rappeler leurs cris d’alarme. Au hazard :
- ‘‘L’heure n’est plus aux mesures palliatives, mais à de vraies actions efficaces, menant à la sécurité et à la qualité dans les soins prodigués aux patients. »
- »Recrutement de 10 000 paramédicaux pour les urgences. »
- L’Hôpital est mort, réanimez-le !
Pourtant, un an avant, le 23 octobre 2018, le Président déclara sollennellement que
«la priorité de l’année qui vient est simple : nous devons construire l’Etat-providence du XXIe siècle… Un Etat-providence émancipateur, universel, efficace, responsabilisant, c’est-à-dire couvrant davantage, protégeant mieux, s’appuyant aussi sur les mêmes droits et les mêmes devoirs pour tous.» (2)
Nulle contradiction entre la volonté présidentielle affichée en 2018 et les revendications économiques, sociales et culturelles exprimées par les salariés. Pourtant le mécontentement social a perduré. Un mécontentement social exprimé par des femmes et des hommes qui, peut-être, n’ont pas le sens de la formule, mais la réalité du terrain leur suffit pour prendre conscience que le Bien commun est dans un processus de démantèlement et de marchandisation.
Mais qui avait raison?
De Bucarest, le 25 août 2017, le président Macron avait déjà répondu :
«… Il faut lui expliquer où on va, et il faut lui proposer de se transformer en profondeur…»(3) . »Lui » est le peuple français! »
Ainsi tous les ministres se sont armés pédagogiquement et se sont mis en branle-bas de combat pour expliquer , comme par exemple, l’ancien ministre de l’Économie Benjamin Griveaux (gouvernement de François Hollande) qui, pour convaincre que le pouvoir d’achat avait augmenté, affirma sans sourciller que « moins plus moins, cela fait plus.» Et il paraît qu’il faut être mathématicien pour savoir que « moins plus moins, cela fait encore moins.» Entre parenthèses, un précaire illettré sait que cela relève du bon sens et si démonstration, il faut, un raisonnement par l’absurde est tout indiqué!
Ainsi les responsables politiques avec leurs idéologues adoptèrent et adoptent toujours la posture du professeur : j’ai raison et l’autre ne comprend pas, donc il faut que j’explique… Ils ne disent jamais: il faut que je démontre… Car ils pensent qu’ils savent, mais ils ne savent pas qu’ils croient!
Avec la COVID-19, une démonstration par l’absurde
Enfin, arrive le 12 mars 2020 et j’entends le Président s’adresser au peuple français dans la langue de Molière en ces termes :
«ce que révèle d’ores et déjà cette pandémie, c’est que la santé gratuite sans condition de revenu, de parcours ou de profession, notre Etat-providence ne sont pas des coûts ou des charges mais des biens précieux, des atouts indispensables quand le destin frappe. Ce que révèle cette pandémie, c’est qu’il est des biens et des services qui doivent être placés en dehors des lois du marché.» (4)
Rien à ajouter! Car, comme rappelé ci-dessus, c’est ce que défendaient et défendent les salariés en général et, en particulier, ceux du service public.
Souveraineté, réindustrialisation, nationalisation des grands moyens de production. Bravo, monsieur le Président. Mais encore faut-il que de telles mesures ne soient pas temporaires. Au service de l’oligarchie financière… C’est le combat idéologique et politique à venir!
Et sur le plan international
Ce 12 mars 2020, le président Macron a utilisé le mot guerre.
Oui, l’Etat français est en guerre, mais le champ de bataille n’est nullement la France et encore moins, les hôpitaux!
L’Etat français est en guerre en tant que soutien logistique et vendeur d’armes à la coalition menée par l’Arabie saoudite contre le peuple yéménite. Un peuple vivant à huis-clos un drame humanitaire et sanitaire d’une grande ampleur.
En guerre en Syrie, sous couvert de responsabilité de protéger sous étendard Otanien.
Protégé comme l’est le peuple libyen !
Irak…Liban…Iran.
Mais confinée dans l’Otan, la politique internationale française se résume en deux verbes: décider et obéir tout en faisant semblant d’être souverain…
Quant au peuple palestinien vivant sous occupation et dans une prison à ciel ouvert, il est, si j’ose écrire, durement »confiné » par le colonialisme israéllien depuis 1948.
Non! Nous ne sommes pas égaux face au virus COVID-19.
Enfin pour conclure, la COVID-19 agit tel un Big-Brother invisible. Il a imposé à l’animal humain une pause y compris aux puissants qui croient que sans eux la terre ne serait pas ronde. Il revient à chacun de nous de mettre à profit cette pause pour enrichir notre part d’ humanité. Et de la mettre au service du Bien commun… A commencer par changer de direction.
Mohamed El Bachir
Le 3 avril 2020
Notes
(4)https://www.elysee.fr/front/pdf/elysee-module-15339-fr.pdf
Source: Lire l'article complet de Mondialisation.ca