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par Pierre-Emmanuel Thomann.
Quelle riposte géopolitique pour la France ? Non-alignement et Pivot vers la Russie.
La nouvelle alliance entre les États-Unis, l’Australie et le Royaume-Uni (AUKUS) dans la zone indopacifique annonce une nouvelle escalade dans la rivalité géopolitique entre les États-Unis et leurs alliés anglo-saxons contre la Chine.
La rupture du contrat par l’Australie portant sur la livraison de sous marins français et son remplacement par un contrat avec les États-Unis et le Royaume-Uni est la conséquence immédiate de cette nouvelle alliance. Au delà de l’annulation du contrat, la crise diplomatique qu’elle a provoqué résulte plus profondément de la mise à l’écart de la France dans cette nouvelle alliance exclusive des trois pays anglo-saxons et de la duplicité de ces États que la France considérait, à tord, comme des alliés sur un même pied d’égalité.
Cette alliance cristallise les postures rivales et le risque d’une nouvelle phase de prolifération nucléaire s’accroît, puisque le contrat porte sur la livraison de sous-marins américains à propulsion nucléaire à l’Australie, puissance non nucléaire.
AUKUS et la manœuvre d’encerclement de l’Eurasie
Pour interpréter la configuration géopolitique émergente qui résulte de la création de cette alliance, les enjeux doivent être abordés à l’échelle mondiale et non pas seulement dans la zone indopacifique afin d’en souligner les ressorts profonds. L’émergence de cette configuration était pourtant prévisible. L’angle spatial est le cœur de toute analyse géopolitique, et en s’inspirant de la formule du géographe allemand Friedrich Ratzel, « Im Raume lesen wir die Zeit » (« Dans l’espace, nous pouvons lire le temps »), proposons la formule suivante : « nous pouvons lire l’avenir dans les cartes » !
(carte n°1 : Stratégie géopolitique des États-Unis contre la Russie et la Chine dans le cadre de la rivalité des puissances).
Il faut rappeler que pour les États-Unis, la doctrine de l’Indo-Pacifique, n’est que le volet asiatique d’une manœuvre plus large qui consiste à encercler l’Eurasie, l’autre volet étant le front est-européen contre la Russie. AUKUS s’inscrit donc dans la volonté des Anglo-Saxons de se positionner au sommet de la hiérarchie des puissances.
Cette alliance des trois pays anglo-saxons dans l’Indo-Pacifique est exclusive, car elle découle de l’objectif des Anglo-Saxons de ralentir l’émergence du monde multipolaire à l’échelle mondiale, notamment contre la Chine mais aussi contre la Russie. Même si la zone indopacifique devient prioritaire pour les États-Unis, le théâtre européen reste d’actualité. La stratégie globale des Anglo-Saxons consiste aussi à empêcher l’éventuelle émergence d’un bloc Ouest-européen autour de la France et l’Allemagne, avec à terme une entente avec la Russie, voire la Chine par voie continentale. Les États-Unis ne peuvent pas enrôler la Russie contre la Chine, car non seulement la Russie n’a pas intérêt à une fracture géopolitique en Eurasie avec la Chine, mais si la Russie n’est plus un adversaire, il n’y aurait plus d’obstacle à une entente d’envergure pan-européenne, avec pour conséquence une obsolescence de l’alliance atlantique et du rôle de chef de file des États-Unis en Europe. Les États-Unis ne souhaitent pas non plus quitter le théâtre européen, car en cas de conflit avec la Chine, ils estiment nécessaire d’empêcher la Russie de profiter d’un vide stratégique en Europe, afin d’éviter une guerre sur deux fronts.
L’AUKUS ne constitue donc qu’une escalade supplémentaire dans le cadre d’une grande stratégie des États-Unis vis à vis de l’Eurasie, avec pour objectif d’empêcher une puissance rivale de contrôler les zones côtières de ce continent (et mettre en danger sa suprématie). Elle trouve sa source dans la doctrine géopolitique de Spykman (endiguement de l’URSS dans les années 1950) reconduite jusqu’à aujourd’hui. La désignation de la Chine et la Russie comme adversaires des États-Unis sous la présidence de Donald Trump, priorité poursuivie par Joe Biden, en découle.
La mise à l’écart de la France n’est évidemment pas fortuite, car la France a été en pointe pour la promotion d’une autonomie stratégique européenne, mais aussi pour une nouvelle architecture européenne de sécurité avec la Russie. Un avertissement est envoyé à l’Allemagne par le même occasion car elle souhaite préserver ses liens commerciaux avec la Chine et ses approvisionnements énergétiques avec la Russie.
La présence du Royaume-Uni sous la bannière de la doctrine du « Global Britain » dans cette alliance indopacifique, démontre que sa vocation géopolitique profonde est à visée mondiale. Le Royaume Uni est la seul État européen avec la France qui possède aussi des territoires dans la zone indopacifique, bien qu’ils soient plus réduits comparés à la France. Diego Garcia, territoire britannique au milieu de l’océan Indien est d’une grande importance stratégique pour la nouvelle alliance AUKUS car elle accueille une base militaire américaine très active depuis la Guerre froide jusqu’à aujourd’hui.
En Europe, l’objectif des Anglo-Saxons, principalement les États-Unis et le Royaume-Uni mais aussi leurs alliés atlantistes en Europe centrale et orientale est d’éviter une entente entre la Russie, l’Allemagne et la France, en encourageant notamment une cristallisation de la fracture entre l’Ukraine et la Russie.
D’un triumvirat à l’autre
La diplomatie française, en intégrant dès 2018 la doctrine américaine de l’Indo-Pacifique, s’est alignée sur les priorités des Anglo-Saxons sans la retenue appropriée pour défendre son indépendance stratégique. Elle n’a donc pas obtenu de garantie préalable sur sa participation aux décisions, et se voit écartée aujourd’hui du cœur de l’alliance par le triumvirat États-Unis Australie-Royaume-Uni. La France avait pourtant participé en avril 2021 à des manœuvres navales dans le golfe du Bengale (océan Indien) avec les pays du Quad : États-Unis, Japon, Inde et Australie, et dans le Pacifique avec les États-Unis, l’Australie et le Japon, en mai 2021, provoquant les critiques de la Chine dénonçant l’émergence d’une « OTAN indo-pacifique » selon une logique de Guerre froide.
Cette crise nous rappelle un autre triumvirat, celui que le général de Gaulle avait proposé aux États-Unis et au Royaume-Uni à l’OTAN en 1958 et qu’il n’avait pas obtenu. Les alliances entre nations anglo-saxonnes sont toujours exclusives, une leçon de l’histoire et de la géopolitique que la diplomatie française n’a pourtant toujours pas retenu. Les « Five Eyes » l’alliance étroite des services de renseignement de l’Australie, du Canada, États-Unis, de la Nouvelle-Zélande, du Royaume-Uni existe depuis 1941 jusqu’à aujourd’hui. Les États-Unis et l’Australie sont aussi alliées depuis la Guerre froide dans l’ANZUS.
Cet épisode avait conduit le général de Gaulle, après son échec pour obtenir un statut égal au Royaume-Uni dans l’OTAN, à s’engager dans l’alliance franco-allemande avec le traité de l’Élysée (1963), et plus tard, anticiper l’émergence d’une « Europe de l’Atlantique à l’Oural » avec la Russie. Puisque le triumvirat anglo-saxon dans l’Indo-Pacifique a écarté la France, c’est l’occasion pour la France de rééquilibrer ses alliances, comme le général de Gaulle avait essayé de la faire.
La perte d’indépendance stratégique de la France
Les Anglo-Saxons attendent de la France quelle rentre définitivement dans le rang avec un rôle subalterne. La leçon de cette crise est pourtant la suivante : intégrer la stratégie indopacifique des Anglo-Saxons, mais en cherchant à préserver une marge de manœuvre de nature tactique ne suffit visiblement pas. L’erreur de la diplomatie française (depuis le départ du général de Gaulle ?) fût de persister à croire qu’un rang privilégié pouvait être accordé à la France en se coulant dans les priorités géopolitiques anglo-saxonnes (en s’inscrivant dans la doctrine Indo-Pacifique / et en approuvant les élargissements OTAN), tout en préservant une marge de manœuvre tactique (en obtenant des contrats d’armement par exemple). De manière tout à fait prévisible, la doctrine « America First » de Donald Trump, se poursuit avec Joe Biden.
Plus la France se moulera dans les grandes lignes des priorités géopolitiques des Anglo-Saxons depuis la fin de la Guerre froide, comme en ex-Yougoslavie, en Afghanistan, en Syrie, en Ukraine et aujourd’hui dans l’Indo-Pacifique moins elle sera respectée. La recherche par la France d’une autonomie tactique dans ces différent manœuvres débouche inévitablement sur une intransigeance croissante de la part des États-Unis vis à vis du degré d’allégeance de la France.
La formule de Hubert Védrine, « amis, alliés, mais pas alignés », semble de moins en moins défendable dans la rivalité de nature systémique de l’affrontement entre les États-Unis et la Chine sur le mode « soit vous êtes avec nous, soit vous êtes contre nous ».
La diplomatie Française fait la promotion du multilatéralisme à l’échelle de la zone indopacifique, comme à l’échelle mondiale. Emmanuel Macron a ainsi souligné que « Le multilatéralisme, qui engage l’ensemble des acteurs, est le meilleur cadre pour réduire les tensions et favoriser des approches coopératives, au-delà de toute logique de blocs » et revendique aussi une « approche inclusive ». Or la France déplore son éviction d’une alliance qui précisément renforce la logique des blocs, bloc anglo-saxon, contre la Chine. De plus, la stratégie indopacifique de la France a pour objectif d’établir des partenariats stratégiques avec tous les États de la zone, sauf la Chine. Cette posture va donc à l’encontre d’une approche multipolaire. Le multilatéralisme n’est pourtant pas applicable sans l’acceptation préalable par les puissances qui comptent d’un ordre multipolaire, Chine comprise car il n’y pas d’ordre normatif international sans ordre spatial et géopolitique.
La France soutient aussi l’autonomie stratégique de ses partenaires d’Asie du Sud-Est. Si le ministre des Affaires étrangères Jean-Yves Le Drian a parlé d’une « Asie multipolaire », c’est pour éviter une hégémonie chinoise. mais au prix d’un alignement trop marqué sur les priorités des Anglo-Saxons en confortant leur propre suprématie.
La diplomatie française ne fait aujourd’hui plus la promotion d’un monde multipolaire, (encore moins une Europe multipolaire) et de facto, ne conteste plus la vision unipolaire des pays Anglo-Saxons à l’échelle mondiale et en Europe, à rebours de la vision gaulliste.
Quelle riposte géopolitique pour la France ?
Une nouvelle manœuvre géopolitique devrait répondre à la manœuvre des Anglo-Saxons pour écarter la France et l’Europe, en plus de contrer la Chine et la Russie.
Aujourd’hui, la configuration géopolitique émergente se prête à nouveau à un rééquilibrage des alliances, dans le cadre de ce nouveau Grand Jeu qui se déploie sur les marges du continent eurasien, en Europe et dans les archipels de l’espace indopacifique. Une stratégie géopolitique, c’est l’anticipation sur l’espace temps des autres (alliés et ennemis). Il appartient désormais à la France de répliquer en agissant sur la configuration géopolitique et non pas seulement par des ajustements tactiques.
Afin d’éviter d’être aspirée sans limites dans la confrontation croissante entre la Chine et les pays Anglo-Saxons avec pour chef de file les États-Unis, la France pourrait promouvoir une posture alternative de non-alignement, mais tout en affirmant ses propres lignes rouges vis à vis de la Chine. La vocation de la France comme puissance d’équilibre est de promouvoir un meilleur équilibre géopolitique dans le monde entre puissances et non pas s’enfermer dans une « alliance des démocraties » sous direction anglo-saxonne. Elle risque d’y perdre son indépendance et s’éloigner de ses intérêts nationaux prioritaires en Europe et Méditerranée. De plus si l’AUKUS échoue à mobiliser au delà de du cercle anglo-saxon face à la réticence des États asiatiques ou européens à se mobiliser, notamment en raisons des intérêts économiques et des interdépendances avec la Chine, mais aussi pour éviter un escalade, une troisième voie sera considérée par la suite comme un choix judicieux.
Le risque de l’émergence d’un condominium américano-chinois, où les dirigeants des deux États rivaux négocient au bord de l’affrontement des accords au détriment des autres États, à l’image de la guerre froide entre États-Unis et URSS, doit aussi être évité.
(Carte n°2 : Options géopolitiques des Européens face à la rivalité américano-chinoise).
La nouvelle posture de la France devrait découler d’une identification de ses propres priorités aux échelles mondiale, européenne et nationale.
La France a une présence territoriale dans l’Océan Indien (Mayotte, la Réunion, les Terres Australes et Antarctiques françaises) et le Pacifique (la Nouvelle Calédonie, Wallis et Futuna, la Polynésie française et Clipperton) avec d’environ 1,6 millions d’habitants et une force militaire de souveraineté de plus de 7000 hommes. La France possède ainsi le deuxième espace maritime au monde et plus de 90% de ses zones économiques exclusives (ZEE) sont situées dans les océans Indien et Pacifique. La France doit se défendre contre toute menace potentielle sur son territoire dans la zone indopacifique, qui ne doit tomber ni sous hégémonie chinoise, ni sous hégémonie anglo-saxonne. Il est dangereux de s’associer à une escalade qui précisément pourrait faire de son territoire dans la zone indopacifique, un enjeu entre les États-Unis et la Chine et une cible. La dégradation de la sécurité dans les zones de collision entre les deux puissances (dont la zone indopacifique), est réel.
Cependant, pour que la France soit crédible sur le plan de la défense de son territoire, mais aussi vis-à-vis de ses alliés, un renforcement de ses capacités aéronavales devrait être prioritaire pour assurer une défense plus autonome de ce territoire qui à la taille de l’Australie. Une volonté sans faille de maintenir sa présence en Nouvelle-Calédonie (qui détient 25% des ressources mondiales de nickel) menacée par les mouvements indépendantistes soutenus de l’extérieur (aujourd’hui la Chine, hier l’Australie et la Nouvelle Zélande devrait être réaffirmée. La diversification des ses alliances et un rapprochement plus sensible avec les pays qui souhaitent ne pas tomber sous la domination de la Chine, mais aussi préserver leur marge de manœuvre comme l’Inde, l’Indonésie, la Nouvelle Zélande, la Corée du Sud, le Japon et le Vietnam serait aussi souhaitable.
Les enjeux de la région indopacifique ne devrait pas non plus détourner la France de ses zones d’intérêts géopolitiques prioritaires en jouant les supplétifs de la doctrine Indo-Pacifique à la remorque des intérêts exclusifs anglo-saxons.
Les adversaires prioritaires du triumvirat anglo-saxon, la Chine et la Russie, ne sont pas les adversaires prioritaires de la France. Ni la Chine ni la Russie ne menacent aujourd’hui la France. L’ennemi principal de la France reste le djihadisme qui se déploie dans l’arc de crise au Sud de la Méditerranée jusqu’au Moyen-Orient et déborde sur son territoire. La coopération entre la France et le Royaume-Uni pour le maintien de leur statut de puissance nucléaire mais aussi avec les États-Unis et les pays anglo-saxons, dans la lutte contre le djihadisme doit évidemment se poursuivre selon le principe des coalitions variables. Dans le cas où le territoire de la France ou de ses alliés dans les océans Pacifique et Indien était directement menacé par la Chine, la France devrait pouvoir faire face avec la montée en puissance de sa propre présence militaire et la négociation d’alliances en fonction de la nouvelle configuration. Toutefois une logique de blocs prématurée est de nature à provoquer une prophétie auto-réalisatrice aboutissant à l’escalade contre la Chine.
La France aurait aussi intérêt à réduire le risque d’escalade nucléaire dans la région indo-pacifique, aujourd’hui renforcé par la prolifération nucléaire induite par la livraison de sous-marins américains à propulsion nucléaire à l’Australie, exemple qui pourrait être suivi par la Chine et la Russie vis à vis de leurs alliés. La France pourrait proposer d’entamer des consultations afin d’envisager des mesures de transparence visant à éviter une escalade nucléaire dans la zone indopacifique, en incluant la Chine. Sous la présidence de Joe Biden, les États-Unis ont choisi de prolonger le Traité Start dans l’optique de poursuivre les négociations avec la Russie et mais aussi avec l’objectif d’y inclure la Chine, sans succès jusqu’à présent. La nouvelle configuration serait peut-être plus favorable. Une synergie entre la France et la Nouvelle Zélande, pays de la sphère anglo-saxonne et membre du « Five Eyes » mais aussi écartée de l’AUKUS et opposée à la prolifération nucléaire pourrait aussi soutenir une telle initiative.
La France et la stratégie indopacifique de l’Union européenne
Enfin la France souhaite renforcer l’Union européenne dans la zone indopacifique, en synergie avec la doctrine multilatérale de l’Union européenne. L’Union européenne a toutefois aussi été écartée comme la France par le triumvirat anglo-saxon qui a annoncé son alliance le jour même de la publication de la stratégie indopacifique de l’Union européenne. L’objectif de l’Union européenne dans cette zone n’est pourtant pas lié à l’obtention d’une autonomie stratégique, notion absente de sa stratégie indopacifique de 2021, mais une série de partenariats et zones de libre-échange avec les pays de la zone pour renforcer des flux commerciaux alternatifs à la Chine.
Or l’Union européenne qui a déjà du mal à gérer ses contradictions internes et s’entendre sur ses finalités géopolitiques, s’éloigne ici des enjeux prioritaires auxquels font face ses États-membres en Europe et son pourtour géographique. L’Union européenne et ses États-Membres n’ont pas apporté le soutien espéré par la France, mis à part quelque vagues déclarations. La France, grâce à ses territoires d’outremer, déborde de l’Europe, à l’inverse des autres États membres qui sont contenus dans l’Europe. En synergie avec l’Allemagne, la France peut tout de même soutenir l’objectif de l’Union européenne exprimé dans sa stratégie indopacifique de réduire les tensions en préservant un dialogue avec la Chine et tous les acteurs étatiques de la zone. Toutefois, la France ne peut pas non plus s’aligner sur la priorité des Allemands visant à préserver leurs exportations vers la Chine et de maintenir l’Europe ouverte aux flux avant toute considération, au détriment d’un marché unique européen mieux protégé face à la Chine qui n’a pas les même contraintes sociales et environnementales. L’Accord global sur les investissements UE-Chine (CAI) a toutefois été suspendu par le parlement européen en mai 2021. Cette suspension fait suite aux sanctions de la Chine envers des personnalités politiques européennes, qui ont promu des sanctions visant les responsables chinois accusés de non-respect des droits de l’homme contre la minorité musulmane des Ouïghours au Xinjiang. Cette décision n’a malheureusement pas été prise dans le cadre de la recherche d’une plus grande autonomie stratégique de l’UE en termes géoéconomiques, mais sur la question des droits de l’Homme, en faisant l’impasse sur le terrorisme islamiste ouïgour.
Dans le cadre de la stratégie indopacifique, la France comme l’Union européenne défendent la libre circulation des espaces maritimes pour protéger les flux croissants entre l’Europe et la région indopacifique et garantir les approvisionnements commerciaux et énergétiques, qui deviennent en réalité de moins en moins maitrisables. La choix est de s’en remettre de manière exclusive à la puissance maritime américaine qui préserve ainsi le monopole pour sécuriser ces flux. Des alternatives ne sont pas envisagées. La France et l’Europe ne devraient pas se considérer exclusivement comme des « démocraties maritimes », à l’image des trois fondateurs de l’alliance AUKUS, mais aussi des puissances continentales et valoriser la profondeur eurasienne pour s’insérer dans le monde multipolaire émergent.
Dans l’optique d’une politique de diversification et sécurisation des flux énergétiques et commerciaux, l’ouverture d’un couloir eurasien et d’un couloir arctique offrirait une alternative à la route maritime sur l’axe canal de Suez – mer Rouge- océan Indien- détroit de Malacca – océan Pacifique. La connexion aux Routes de la Soie chinoise peut être avantageuse si les Européens se coordonnaient pour en négocier les modalités avec la Chine afin que ces flux soient profitables à toutes les pays en s’assurant que les échanges puissent être rééquilibrés. La Russie mais aussi l’Allemagne, l’Italie et les pays d’Europe centrale comme la Hongrie sont déjà connectés aux routes de la Soie, tandis que c’est plus récent pour la France. Ce qui manque, c’est une coordination entre pays européens pour avoir plus de poids vis à vis de la Chine. Les échanges et voies de transit avec la Russie et l’Asie centrale pourraient ainsi être renforcés parallèlement. Les liens avec l’espace sibérien (hinterland énergétique de l’Europe) l’Asie centrale et l’Extrême Orient seraient sécurisés avec ces nouveaux corridors : le réseau serait constitué d’un faisceau de lignes continentales et maritimes traversant le continent eurasien et des axes maritimes au Sud (route du Cap et Suez et par le Nord (route du Nord-Ouest et route du Nord dans l’océan Arctique.
Une politique de resserrement géographique privilégiant la production et les flux commerciaux sur des circuits courts, avec un plan de relocalisation industrielle sur le sol français et ses voisins européens serait aussi adéquate pour moins dépendre des flux anarchiques et lointains. La fuite en avant vers une mondialisation sur la base de l’idéologie du libre échange intégral et dont l’unique centre deviendrait l’Asie-Pacifique pourrait ainsi être évitée.
Conséquences géopolitiques pour la France : non-alignement et pivot vers la Russie
Pour la France, la Grande Europe dans sa profondeur continentale, notamment sur un axe allant de l’Atlantique au Pacifique et l’axe Méditerranée/Sahel – océan Indien – océan Pacifique, constituent deux axes prioritaires, en plus de l’axe euro-atlantique. Il serait donc préférable de s’éloigner d’une doctrine Indo-Pacifique qui relève d’une autre logique que celle des priorités de la France et adopter un positionnement qui lui soit propre avec des alliances élargies.
La France comme puissance d’équilibre devait chercher à éviter l’hégémonie tant de la Chine que des Anglo-Saxons et promouvoir une politique de non-alignement avec l’Allemagne, l’Italie, la Hongrie, la Russie pour l’Europe, et l’Inde, l’Indonésie les Philippines, le Vietnam et la Nouvelle Zélande en Asie et tous les États qui ne veulent pas être aspirés dans cette confrontation, pour éviter un condominium américano-chinois. Le principe des coalitions variables devrait être privilégié à celui d’une unité illusoire de l’Union européenne ou de l’OTAN sur cette question. La question de l’inadaptation dans la nouvelle configuration géopolitique européenne et mondiale des priorités de l’OTAN et de l’UE, organisations créées dans le contexte de la Guerre froide, est clairement posée pour la France. Le renforcement des programmes de coopération en matière de défense est nécessaire, avant tout au niveau bilatéral et au sein de coalitions restreintes pour promouvoir plus d’indépendance stratégique pour la France et ses partenaires européens, parallèlement à un rapprochement sur les perceptions de sécurité et les finalités géopolitiques du projet européen, aujourd’hui trop divergentes.
La Russie a déjà annoncé vouloir adopter une posture de non-alignement dans le cas d’un renforcement de la confrontation américano-chinoise. En Europe et dans le monde, c’est donc aussi avec un pivot de la France vers La Russie que la France pourrait élargir sa marge de manœuvre. Un rapprochement franco-russe rétablirait un équilibre relatif avec les Anglo-Saxons, et réduirait le risque d’une entente tactique trop étroite entre la Russie et la Chine, avec pour finalité plus lointaine, la promotion d’une nouvelle architecture européenne de sécurité. Les tentatives récurrentes de la France en faveur d’un rapprochement franco-russe, avec le général de Gaulle (l’Europe de l’Atlantique à l’Oural, 1963), le président Mitterrand (La Confédération européenne, 1991), le président Jacques Chirac (Axe Paris-Berlin-Moscou contre la guerre en Irak, 2003), Nicolas Sarkozy (nouveau traité de sécurité européenne après la guerre Russie-Géorgie en 2008) et Emmanuel Macron (nouvelle architecture européenne de sécurité, 2018) n’ont pas été suivies d’effets durables. Cela n’ôte en rien l’intérêt de cette vision, et pour cause, car c’est la seule démarche qui permettrait d’agir sur la configuration géopolitique de manière systémique, et de ne pas se satisfaire d’ajustements tactiques sans effet sur le long terme, d’où les obstacles de la part des États qui ne souhaitent pas voir la France préserver son rang de puissance. Il va de soi que la France pourrait proposer en retour une synergie plus constructive avec la Russie en ce qui concerne la stabilité européenne, mais aussi les questions de sécurité vis à vis du djihadisme en Méditerranée, au Proche-Orient, Moyen-Orient et en Afrique et une retenue vis-à-vis des zones d’influences respectives.
(Carte n’°3 : Rapprochement franco-russe et axe continental de l’Atlantique au Pacifique dans le contexte de la rivalité géopolitique entre les États-Unis et la Chine).
En surmontant la fracture actuelle avec la Russie, la France pourrait se concentrer sur ses axes prioritaires avec les États favorables à cette approche : L’ébauche d’une Europe de l’Atlantique au Pacifique, telle que le général de Gaulle l’avait anticipée pour un rééquilibrage européen et mondial vis-à-vis des prétentions hégémoniques anglo-saxonnes mais aussi chinoise et assurer sa sécurité sur l’arc de crise au Sud de la Méditerranée et son propre territoire.
Un repositionnement géopolitique de la France n’est sans doute pas réalisable dans l’immédiat, après des décennies de décisions diplomatiques qui ont abouti à une perte de rang de puissance. Ces enjeux et les alternatives en terme de positionnement géopolitique devraient d’abord faire l’objet de débat contradictoires et approfondis lors des élections présidentielles de 2022, mais aussi entre les chercheurs, experts et acteurs politiques animés par la défense des intérêts de la nation.
source : http://www.eurocontinent.eu
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Source : Lire l'article complet par Réseau International
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