Pourquoi voyons-nous émerger les cryptomonnaies ? — Élie SADIGH

Pourquoi voyons-nous émerger les cryptomonnaies ? — Élie SADIGH

En considérant que la monnaie a un pouvoir d’achat, les économistes néoclassiques confondent monnaie et revenu monétaire. Or, seul le revenu monétaire permet d’acheter les biens neufs et les services de même que les biens d’occasion et les titres financiers.

Dans notre économie salariale, le revenu monétaire est la monnaie créée dans l’acte de paiement des salaires aux travailleurs par les entreprises. Les banques ne distinguent pas cette monnaie de celle créée dans l’acte de paiement des prix d’achat sur les marchés des biens neufs et des services, sur les marchés des biens d’occasion et sur les marchés financiers. Cette dernière monnaie a un pouvoir d’achat illégitime qui n’est pas écarté puisque la banque centrale ne contrôle pas la destination de la monnaie créée par les banques.

Au niveau international, les dollars, en jouant le rôle de monnaie internationale, financent le déficit de la balance des EU des paiements. Les dollars détenus par les non-résidents constituent la liquidité internationale et le montant de la dette extérieure des États-Unis. Comme les déplacements de la liquidité internationale, d’un pays vers d’autres, font varier leurs taux de change, la masse des dollars favorise les opérations des spéculateurs, tricheurs fiscaux et criminels sur le marché financier international, d’où des crises financières planétaires. En outre, les États-Unis sanctionnent l’utilisation des dollars dans les pays dont ils n’approuvent pas la politique.

Les dirigeants des pays de l’Union Européenne ont accepté l’euro comme monnaie unique avec des taux de conversion qui n’aboutissaient pas à l’égalité entre les valeurs des produits au stade de la production d’un pays à l’autre, d’où les délocalisations des entreprises des pays dont les monnaies étaient surévaluées vers les autres. De plus, les distorsions des politiques économiques, fiscales, salariales, sociales et environnementales au sein des pays de l’Union Européenne engendrent une concurrence déloyale entre les productions des pays membres, ce qui provoque une guerre économique et menace l’avenir de la zone euro.

La libre circulation des capitaux financiers est une anomalie. En effet, le revenu monétaire formé dans chaque pays doit être destiné à être dépensé sur le marché des produits de chaque pays considéré, afin que ses entreprises récupèrent le montant de monnaie ayant permis de payer les salaires. L’épargne et le profit représentent une partie du revenu monétaire formé à la production, le profit étant la partie captée par les entreprises. L’épargne et le profit sont donc destinés à être dépensés sur le marché des produits du pays considéré. L’une des causes de l’apparition de l’insuffisance de la demande globale dans un pays réside dans le fait que des capitaux financiers (épargne et profit) de ce pays circulent dans d’autres pays. L’une des causes d’achats illégitimes dans un pays réside dans le fait que des capitaux financiers d’autres pays y circulent.

Les partisans des crypto avancent comme arguments favorables qu’elles fonctionnent sans les banques, sans contrôles et utilisent les nouvelles technologies pour libérer, accélérer et internationaliser les paiements et les transferts de capitaux financiers partout en temps réel.

Ces affirmations appellent les remarques suivantes, lesquelles concernent également la monnaie :

1 La forme des crypto et la technologie utilisée ne déterminent pas les règles d’émission.

2 Le contrôle de l’émission des crypto est nécessaire pour vérifier que :

– les organismes émetteurs n’émettent pas de crypto pour eux-mêmes.

– dans une économie salariale, les crypto sont émises uniquement pour assurer le paiement de tous les salaires.

– dans une économie artisanale, les crypto sont introduites uniquement par les artisans pour financer le paiement des prix d’achat de produits d’autres artisans et s’assurer que les achats nets sont financés par les ventes nettes.

3 Une crypto ne doit être utilisée que dans le pays où elle a été émise.

4 Des échanges internationaux équivalents nécessitent une crypto internationale émise par un organisme international et la fixation de taux de change dans le respect de la parité des pouvoirs d’achat des crypto nationales.

Les crypto, conventionnellement admises comme monnaie de paiement, posent problèmes.

1 La conversion d’une monnaie nationale en crypto aboutit à une augmentation non gérée de la « masse monétaire » : la monnaie nationale convertie coexiste avec la crypto. D’où des achats illégitimes.

2 Faute de contrôles, les crypto facilitent encore plus l’évasion des capitaux financiers.

3 L’inclusion financière des personnes non bancarisées demeure dans le non-respect des règles d’émission. En outre, cela laisse croire que les banques ne sont pas nécessaires voire à remplacer.

4 Si la réserve dont disposent certains organismes émetteurs est convertie en actifs financiers, les détenteurs de crypto devront subir l’éventuelle crise de liquidité résultant de l’impossibilité de vendre immédiatement ces actifs financiers en cas de demande de conversion de crypto en monnaie nationale. En cas de défaut d’un organisme émetteur qui ne dispose pas de réserve, les détenteurs de crypto ne pourront pas bénéficier de la garantie des dépôts bancaires ou du secours des banques centrales.

5 A supposer que les crypto soient émises suivant les règles d’émission, les banques risquent d’être mises en difficulté car elles perdraient leurs sources de revenus.

La mauvaise conception du système monétaire en vigueur a laissé la voie ouverte aux crypto qui présentent les mêmes défauts. C’est aussi pour cela que la guerre entre la monnaie et les crypto se déroule dans le champ technologique et que la réponse donnée par les banques centrales reste la monnaie numérique des banques centrales (1), ce qui ne résout ni la méconnaissance de la monnaie, ni la rationalité de son émission.

Elie Sadigh, avec la collaboration de Gérard Prévinaire

Une version plus longue de cet article est disponible à cette adresse sur le site web de l’auteur.

(1) Dirk Niepelt, Libra paves the way for central bank digital currency, VoxEU/CEPR, 12/09/2019 ; Legal Aspects of Central Bank Digital Currency : Central Bank and Monetary Law Considerations, FMI, Working Paper, 20/11/2020, p. 1, n° 1 ; Digitalisation of money, BIS Working Papers, n° 941, 19/05/2021, p. 25 et s. et Caroline Kleiner, L’éventuelle introduction d’un euro numérique par la BCE : quels enjeux juridiques ?, Le club des juristes, 17/08/2021.

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Source: Lire l'article complet de Le Grand Soir

À propos de l'auteur Le Grand Soir

« Journal Militant d'Information Alternative » « Informer n'est pas une liberté pour la presse mais un devoir »C'est quoi, Le Grand Soir ? Bonne question. Un journal qui ne croit plus aux "médias de masse"... Un journal radicalement opposé au "Clash des civilisations", c'est certain. Anti-impérialiste, c'est sûr. Anticapitaliste, ça va de soi. Un journal qui ne court pas après l'actualité immédiate (ça fatigue de courir et pour quel résultat à la fin ?) Un journal qui croit au sens des mots "solidarité" et "internationalisme". Un journal qui accorde la priorité et le bénéfice du doute à ceux qui sont en "situation de résistance". Un journal qui se méfie du gauchisme (cet art de tirer contre son camp). Donc un journal qui se méfie des critiques faciles à distance. Un journal radical, mais pas extrémiste. Un journal qui essaie de donner à lire et à réfléchir (à vous de juger). Un journal animé par des militants qui ne se prennent pas trop au sérieux mais qui prennent leur combat très au sérieux.

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