Le dilemme cornélien

Le dilemme cornélien

En reportant de 30 jours l’application du décret sur la vaccination obligatoire des travailleurs de la santé, le ministre Christian Dubé vient-il littéralement de pelleter l’inévitable par en avant ou, pire, plie-t-il le genou ? Quelle que soit la date choisie, son intention de sévir contre les récalcitrants au vaccin, si louable soit-elle sur le plan d’absolument tous les principes, se heurtera inévitablement au mur de la réalité. Le réseau de la santé craquelait avant la pandémie. La COVID-19 l’a projeté au sol. Retirer quelque 14 600 travailleurs de la santé ne pourrait que l’anéantir davantage.

Il n’y a pas à en douter : le dilemme cornélien auquel fait face le ministre Dubé doit être source de souffrances. Guidé par un principe de protection des populations vulnérables, il a affirmé opter pour le tableau le moins effarant. La vérité est qu’il n’est jamais glorieux de choisir le moins grave de deux maux, et on pouvait décoder mercredi chez le ministre un certain accablement. Son équipe et lui ont calculé que le retrait de 22 446 soignants non vaccinés le 15 octobre, comme prévu initialement, équivaudrait à « foncer dans le mur ». Mais n’y a-t-on pas le nez écrasé depuis des lustres ?

Le mur, c’est 600 lits de courte durée de plus à fermer dans les hôpitaux ; 35 salles d’opération à fermer en plus des 80 déjà paralysées par le manque de personnel, sur un total de 470 ; une réduction des services en santé mentale, à la DPJ, dans 35 % des CHSLD et pour les soins à domicile dans la moitié des régions de la province. Québec calcule qu’en appliquant son décret comme il s’était égosillé à le promettre, sa mission de protection des plus vulnérables sera directement mise à mal.

On ne peut pas vraiment s’offusquer de cette décision crève-cœur, car le contexte est déchirant : partout où on pose le regard, la pénurie de ressources et la suffocation du personnel en place occupent tout l’espace. Mais parions que Christian Dubé vient tout simplement de reporter au 15 novembre son tourment des derniers jours. Rien ne garantit que la situation se résorbera en trente jours.

Convaincre les récalcitrants ? En date de cette semaine, 22 446 travailleurs de la santé de partout au Québec n’étaient pas adéquatement vaccinés. De ce nombre, retranchons-en 7833 qui ont envoyé un signal encourageant, car ils ont déjà une première dose de vaccin. Ceux-là auraient d’ailleurs pu être soustraits du décret sur la base d’une bonne foi démontrée et la promesse de tendre le bras une deuxième fois dans un délai raisonnable. Mais que dire des 14 613 autres ? Seront-ils vraiment ébranlés dans leurs convictions par l’obligation d’être testés trois fois semaine et par l’abolition des primes ? Plus le temps passe, plus le pourcentage d’irréductibles refusant pour diverses raisons le principe de la vaccination sera difficile à faire diminuer. On frappera bientôt un plafond, la résistance de dernière ligne étant la plus coriace. Le ministre Dubé doit remiser ses lunettes roses.

Écraser un système déjà à plat ? Il y a quand même une fabrication extraordinaire dans cette catastrophe annoncée qu’on nous déroule sur un air de panique, le nouveau péril étant les soignants obstinés à refuser le mot d’ordre vaccinal. Non pas qu’on doute de la véracité des données présentées mercredi, lesquelles sont fort éloquentes. Non, la fabrication réside dans le fait qu’on surjoue la menace nouvelle sur le réseau de la santé, alors qu’il n’y a rien de plus éculé que la surchauffe du réseau de la santé. Combien de ministres avant Dubé se sont éreintés sur le principe des urgences débordées ? Combien de chirurgiens ont grogné contre les blocs opératoires soudainement contraints de fermer, faute de personnel qualifié ? Dans certaines urgences, les urgentologues sont moins affairés que jamais, car ils n’arrivent pas à faire « monter » des patients aux étages d’hospitalisation tant la rotation essentielle au bon roulement de l’hôpital est brisée. La pénurie de personnel ajoute une pression qui fait mal, et le défi de rétention des joueurs en place est crucial. Mais rien n’est nouveau sous le soleil. 

Protéger les plus vulnérables ? Une dernière utopie choque quand même dans la décision « frustrante » — de son propre aveu — prise par le ministre Dubé. Les syndicats indignés des contraintes excessives brandies par Québec avec la vaccination obligatoire voguent sur cette même illusion, ce qui est aberrant. Et c’est la promesse de mieux protéger les plus vulnérables en retardant le retrait des non-vaccinés du réseau. Quelle mascarade, qui néglige l’exposition et le risque que représentent ces 22 446 travailleurs déambulant en ce moment même dans les couloirs du réseau de la santé, non seulement pour les malades, mais aussi pour le personnel ayant respecté, lui, les consignes martelées depuis des mois ! Les dilemmes cornéliens font mal, car peu importe le regard qu’on y pose, les pertes s’additionnent. Que changera un mois de plus à ce problème ?

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