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Le 4 octobre 1993 des commandos russes, sous les ordres de Boris Eltsine, ouvrent le feu sur le siège du Congrès des députés du peuple (la « Maison blanche ») mettant fin, par la violence, à la constitution hérité de la RSFSR. Non seulement l’occident, ses médias, ses élites ont couvert de leur silence complice le véritable coup d’État de l’ivrogne Eltsine qu’ils avaient placé au pouvoir, mais quand les faits sont peu à peu apparus on a tenté de limiter l’affaire à un affrontement à des rivalités d’appareils au sein du parlement russe… Alors que le peuple qui commençait à réaliser de quoi on voulait le priver, de ce que représentait et continue à représenter le socialisme, était en train de se révolter. Ceux qui devaient être chargés de défendre le socialisme, le parti, étaient pour une partie d’entre eux passés avec armes et bagages au capitalisme et étaient prêts à tuer ceux qui résistaient. On s’y croirait, partout ils ont trouvé les individus capables de trahir de la sorte.
Plus le temps passe, plus les détails des événements historiques sont oubliés, les liens de cause à effet sont progressivement effacés et l’atmosphère du passé se dissipe. Les événements tragiques de septembre-octobre 1993 sont évoqués à contrecœur par les « maîtres à penser » d’aujourd’hui. L’ « Octobre sanglant » n’a pas trouvé un large écho dans les recherches scientifiques, le journalisme, l’art. Les autorités voudraient l’effacer complètement de l’histoire récente des bouleversements politiques dans le monde et étouffer la catastrophe qui a coûté des vies humaines ~ Danielle Bleitracht
*
par Larisa Yagunkova.
Peu de gens se souviennent que les événements tragiques d’octobre 1993 ont été immédiatement précédés d’un grand rassemblement populaire. De tels rassemblements de masse avaient lieu à Moscou, dans la ville hâtivement rebaptisée Leningrad, et dans d’autres villes tout au long des deux années d’ »innovations » capitalistes anarchiques. Les gens se rassemblaient en plein air, sur les places principales des villes. Le peuple, trompé par les libéraux, ne voulait pas abandonner le pouvoir soviétique. C’était compréhensible : seul ce gouvernement donnait aux gens des droits garantis à une vie décente, alors que les changements libéraux-bourgeois avaient déjà durement touché les larges masses. Les Assemblées populaires étaient la réponse aux défis capitalistes.
Le 17 mars 1992, plus de 300 000 personnes s’étaient rassemblées à Moscou pour une assemblée populaire, occupant la place du Manège, qui n’avait pas encore été effacée de la carte de la ville, à côté du Kremlin. Ces réunions n’étaient pas spontanées. Étant donné l’interdiction du parti communiste, rétabli par la suite, les manifestants étaient inspirés et soutenus par les organisations publiques nouvellement créées : Russie travailleuse, Union des Officiers soviétiques et Parti communiste ouvrier russe.
La clique au pouvoir réprimait brutalement ces rassemblements. Ils étaient tous escortées par des policiers lourdement armés et se terminaient généralement par des passages à tabac. Les manifestants étaient frappés avec des matraques en caoutchouc, aspergés de canons à eau et gazés. Je peux personnellement témoigner que cela s’est produit sur la place Maïakovsky et la place Tverskaya le 23 février 1992, sur la place de la gare de Riga en juin 1992, et près de la tour de télévision Ostankino à 4h30 du matin dans la nuit du 22 juin. Et le 1er mai 1993, une manifestation populaire festive a été écrasée et matraquée sur la place Gagarine alors qu’elle se dirigeait du centre-ville vers les Monts Lénine.
Le 20 septembre 1993, les manifestants contre le régime en place ont organisé le premier congrès des peuples de l’URSS à Moscou. L’immense salle du théâtre d’art Gorki de Moscou, sur le boulevard Tverskoï, était bondée – des délégués de toutes les républiques soviétiques s’y étaient réunis. Il n’y avait pas assez de sièges ; les gens étaient entassés dans les allées, même sur les balcons. Mais personne n’est parti, l’événement était trop significatif, démontrant la volonté du peuple de préserver l’URSS, de préserver ses traditions et ses réalisations socialistes. Des représentants des républiques soviétiques étaient venus de toutes les régions de notre grand pays, démembré par les traîtres, pour exprimer leur volonté de se réunir en un seul État socialiste.
Il semblait que tout n’était pas encore perdu. L’organe législatif, le Soviet suprême de la RSFSR élu en 1990 sous le régime soviétique, était toujours en activité, tout comme les conseils d’oblast, de ville et de village au niveau local. Et bien que leur législation à cette époque s’exprimait principalement dans l’adaptation des lois soviétiques existantes aux exigences du marché en évolution, il semblait qu’il était encore possible de changer radicalement le vecteur du développement du pays dans une direction différente.
Le Soviet suprême de la RSFSR subissait de fortes pressions de la part du président et du gouvernement. Mais il y avait en son sein une forte opposition au régime en place, qui avait lancé deux fois une procédure de destitution contre le président Eltsine, et à chaque fois, le scélérat avait été sauvé par ses complices libéraux. Le peuple interpelait cette opposition lors des rassemblements de protestation, et le Premier Congrès des Peuples de l’URSS lui a également lancé un appel.
Le Soviet suprême de la RSFSR était-il été en mesure de répondre à ces espoirs : faire preuve de volonté politique et restaurer l’URSS ? Aujourd’hui, avec la distance des années qui ont passé, les choses sont claires : bien sûr que non. Les sentiments et les illusions libérales y étaient trop forts. Mais protéger la population des assauts des réformes du marché, aider l’opposition à se renforcer et à prendre réellement le pouvoir, il en était capable.
Le Soviet suprême de la RSFSR suscitait depuis longtemps la colère de la clique au pouvoir ; pour elle, sa dissolution était une question de temps. Mais le Premier Congrès des Peuples de l’URSS fut le détonateur de la haine noire envers la démocratie de Eltsine et de ses complices. Le congrès a exprimé une volonté d’agir si inflexible, une telle détermination à réaliser la restauration de l’URSS, qu’il était impossible pour les « hautes sphères » de ne pas réagir. Dès le lendemain soir, le 21 septembre, interrompant une émission de télévision, Eltsine a littéralement claqué des dents de rage, annonçant la dissolution de l’institution soviétique détestée. Le décret 1400 est entré en vigueur immédiatement. Dès lors, la Constitution soviétique, avec ses droits civils, s’est retrouvée sans garant et a dû être abolie elle aussi.
Il était possible de prévoir à l’avance ce que l’opposition allait faire et comment le gouvernement allait réagir. Il était clair que sur la vague de rassemblements de ces dernières années, le peuple descendrait dans la rue et que les autorités utiliseraient contre lui des matraques et des canons à eau, comme elles l’avaient fait tant de fois auparavant. Mais personne n’aurait pu deviner ce qui s’est passé ensuite, car dans l’histoire du monde civilisé, cela ne s’était jamais produit auparavant. Personne n’aurait pu imaginer même dans se pires cauchemars que dans une ville en paix se déclenche une guerre totale contre un peuple désarmé, avec une armée régulière équipée jusqu’aux dents.
La répression, lancée par Eltsine avec la pleine approbation de la clique au pouvoir, progresse rapidement. Le soir même, le 21 septembre, des centaines de personnes se sont précipitent à la Maison des Soviets, où devait se tenir une session du Soviet suprême. Le lendemain, les manifestants se comptent par milliers. De bouche à oreille, la nouvelle se répand que la Cour constitutionnelle s’est désolidarisée de la décision du président, la déclarant illégale. Bien sûr, cet organe n’a pas le mot décisif, mais les manifestants voient renforcer leur sentiment de droit et leur indignation face à l’arbitraire.
D’heure en heure, la foule de manifestants grossit. Il y a ceux qui ne peuvent pas imaginer leur vie sous le capitalisme, ceux qui sont indignés par l’impudence des « seigneurs » sortis de nulle part, et, enfin, ceux qui n’arrivent plus à joindre les deux bouts, qui ont perdu leur emploi, leur maison et leur point d’appui.
À l’appel de l’opposition, de nombreuses personnes affluent des banlieues de Moscou, d’autres régions et même des anciennes républiques soviétiques. Avec un soutien aussi puissant, le Soviet suprême de la RSFSR, dirigé par R.I. Khasboulatov, continue ses travaux, bien que certains députés aient quitté la salle, obéissant aux ordres d’Eltsine. Les autorités espéraient que les députés se disperseraient progressivement et, les premiers jours, elles n’ont pris aucune mesure. Toutefois, le nombre d’unités de police dans la capitale a sensiblement augmenté. Des unités de la police anti-émeute OMON ont défilé depuis la gare de Kazan.
Les manifestants exprimaient leur volonté de manière légale, et pendant les premiers jours, aucune menace ne semblait peser sur eux. Lorsque les passions de protestation ont trop submergé la foule, les organisateurs ont appelé à l’ordre. Mais le rassemblement vivait sa propre vie. Il bouillonnait, grandissait, exigeant plus d’espace, et il s’est répandu dans le centre ville. Sur les places Pouchkine et Smolensk, la police a commencé à entasser les manifestants, puis à les battre. En réponse, les manifestants près de la Maison des Soviets ont commencé à construire des barricades.
La situation s’envenimait d’heure en heure. Au troisième jour de l’affrontement, des centaines de milliers de manifestants sont descendus dans les rues et sur les places de Moscou pour protester contre la violence. Lorsque Khasboulatov a suggéré que les députés se dispersent comme ayant rempli leur tâche et laissent la protection supplémentaire de la loi à la Cour constitutionnelle, l’indignation du peuple n’a plus connu de bornes.
Mais les députés n’étaient plus les mêmes qu’il y a trois ans, lorsque, à l’instigation du même Khasboulatov, ils avaient voté pour « l’autodétermination de la Russie » et donc – indirectement – pour l’effondrement de l’URSS. Les événements fatidiques de ces dernières années les avaient tellement changés qu’il n’était plus possible de manipuler leur esprit. Ils ont immédiatement exprimé leur volonté de réélire le président. Khasboulatov a été sauvé par Routskoi, qui a déclaré : « On ne change pas les chevaux au milieu du gué ». Les députés n’ont pas bronché et sont sortis vers le peuple, s’adressant directement à lui depuis le balcon de la Maison des Soviets: ils l’ont remercié pour son soutien, ont appelé au calme et à la patience, ont attiré l’attention sur l’inadmissibilité des provocations.
Le balcon est devenu la tribune du rassemblement. Après les députés, ont pris la parole des gens venus de tout le pays. Ils ont parlé des questions les plus urgentes : l’effondrement des installations de production, la faillite des grandes entreprises, la dévastation des fermes collectives et d’État, l’appauvrissement de la population et le développement de la criminalité. Ils ont appelé à l’action pour sauver le pays. Et bien qu’il ne s’agisse que de paroles « mêlées de larmes », comme le disaient les chroniqueurs de l’Antiquité, cela a suffi à mettre en branle la machine punitive.
La Maison des Soviets était entourée d’un double cordon de policiers et de police anti-émeute, de sorte que personne ne pouvait plus sortir du cordon. L’électricité et l’eau ont été coupées dans le bâtiment lui-même. Cela ne semblait pas suffisant, alors ils ont entouré toute la zone de barbelés. Des milliers de personnes ont été piégées sous un ciel inclément : des feux de camp ont été allumés, des tentes montées, affrontant la faim et le froid. Toute la zone était devenue un immense camp de concentration. Le plus aigu était la question de l’organisation de la résistance.
Un groupe de combat a commencé à se former : il était dirigé par d’anciens soldats connaissant bien les affaires militaires. Et puis il s’est avéré que certains des « miliciens » étaient armés – avec des munitions de fabrication artisanale et des cocktails Molotov. Quelques fusils de chasse ont également été trouvés. Immédiatement, un ordre strict a été diffusé dans tout le camp : « rangez tous ces jouets », ne tirez en aucun cas et ne provoquez pas la riposte de l’ennemi. Ne laissez pas tomber les députés qui essayaient encore de résoudre le problème par des moyens constitutionnels.
Pendant ce temps, durant toute la dernière semaine de septembre, sur les places et les rues de la capitale, les représailles atroces des forces de sécurité contre les manifestants se sont poursuivies : ils ont battu tout le monde d’affilée à coups de matraque, sans exclure les passants, leur ont transpercé la tête et tordu les bras. Nombre de ceux qui tentent aujourd’hui d’analyser ce qui s’est passé pensent que les événements se sont déroulés spontanément. Mais en réalité, il y avait un plan pour disperser le Soviet suprême de la RSFSR et, en même temps, pour réprimer l’opposition. Korjakov, qui était à l’époque l’homme de confiance d’Eltsine, et qui a maintenant été oublié par tout le monde, a vendu la mèche.
« Le 16 septembre 1993, écrit-il dans son livre de mémoires, nous avons commencé à discuter en détail de ce qui allait se passer ». Notez bien : il restait cinq jours avant que Eltsine n’annonce le décret 1400, mais le scénario est déjà en place – il ne restait plus qu’à régler les détails. « Nous », ce sont Gratchev, Barsoukov et Korjakov. Leur « triumvirat » a été formé en mars 1993, lorsque la destitution du président Eltsine était à l’ordre du jour du Soviet suprême. C’est alors qu’a été élaboré le premier scénario de dissolution du Congrès extraordinaire des députés du peuple, et les méthodes étaient les mêmes : éteindre la lumière, l’eau et le chauffage. Dans le cas d’un « sit-in », il était prévu de les enfumer avec de la chloropicrine. Ce scénario non mis en œuvre prévoyait également la répression des manifestations et des rassemblements en faveur du Soviet suprême par la force brutale.
Aujourd’hui, en septembre, le plan a été révisé et complété. De nouvelles idées ont émergé sur la manière d’écraser les députés une fois pour toutes afin de mettre fin à toute opposition. Le plan était basé sur une provocation majeure : afin de pacifier l’opinion publique, toute la responsabilité des événements devait être rejetée sur l’opposition. Mais il fallait d’abord s’assurer que l’opération prévue ne s’éterniserait pas – cela, disait-on, ferait mauvaise impression sur la communauté internationale.
Korjakov est déchaîné ; il est prêt à partir personnellement en mission de reconnaissance pour évaluer le terrain des futures opérations de combat.
Cette sortie a lieu le 1er octobre : « Nous sommes partis avec Barsoukov, écrit Korjakov, nous avons laissé nos mitrailleuses dans la voiture. Nous n’avons pris que nos armes personnelles avec nous. Nous étions en civil et avons pénétré sans encombre dans la zone clôturée. La milice connaissait nos visages. Nous nous sommes promenés entre les feux de camp et avons regardé les repas de ces sans-abri, qui ne se souciaient pas plus des démocrates que des communistes ou qui que ce soit ».
L’attitude péjorative envers les défenseurs de la Maison des Soviets est compréhensible. Mais la principale conclusion des forces de l’ordre était que l’ennemi n’était pas armé. Sur le chemin du retour, après avoir franchi la clôture de barbelés et s’être frayé un chemin à travers la foule de manifestants jusqu’à sa voiture, Korjakov tire la conclusion finale : « Nous avons compris qu’une telle foule ne pouvait offrir aucune résistance sérieuse ».
Cependant, parmi les manifestants, il y avait beaucoup d’hommes robustes et de jeunes décidés à en découdre. Mais l’interdiction des armes imposée par le Soviet suprême était en vigueur. Il y avait des gardes réguliers dans la Maison des Soviets elle-même avec tout leur arsenal, mais leurs 226 armes automatiques sont restées dans la graisse.
Pourtant, Korjakov et Barsukov sont repartis découragés : ils ne s’attendaient pas à un tel nombre de manifestants. Ils ont été reconnus dans la foule des manifestants. Les insultes et les malédictions ont fusé. Bien qu’ils ne fussent pas personnellement menacés, ils comprenaient que leur gouvernement, détesté par le peuple, est chancelant et peut s’effondrer.
On a beaucoup écrit sur ce qui s’est passé ensuite dans la presse, dans les souvenirs des participants et des témoins oculaires des événements tragiques d’octobre 1993. Des collections entières de récits de témoins oculaires ont été publiées. La Pravda, Sovetskaya Rossiya et d’autres publications de l’opposition commémorent chaque année ces dates tragiques.
La monstrueuse fusillade à Ostankino, où les manifestants ont été attirés par des provocateurs, a été le premier acte d’ « éradication ». Profitant de l’inexpérience politique et de la crédulité de certains leaders de l’opposition, les rusés « technologues politiques » leur ont inculqué l’idée de la nécessité d’exiger du « temps d’antenne pour le peuple ». Avec cette demande, les gens se sont rendus à Ostankino et se sont presque immédiatement retrouvés dans un « chaudron ».
Afin de déclencher un massacre près du centre de télévision, un provocateur a fait exploser une grenade flash-bang près d’un des blocs, prétendument lancée par un manifestant. C’était le signal pour un tir croisé sur toute la place depuis les bâtiments du centre de télé. Les véhicules blindés de transport de troupes qui escortaient les manifestants ont également participé à la fusillade. Parmi les centaines de morts et de blessés se trouvaient des passants curieux et des habitants ordinaires revenant du parc Ostankino. Le carnage a continué jusqu’à la tombée de la nuit.
Il est étonnant que, le soir même, les défenseurs de la Maison des Soviets qui avaient appris les événements n’aient pas quitté leur camp, n’aient pas quitté les barricades.
Dans l’après-midi, ils avaient reçu un grand encouragement : une manifestation de 50 000 personnes avait percé jusqu’à eux. Après un affrontement avec la police sur le pont de Crimée, les manifestants ont marché presque sans encombre, avant d’être soudainement la cible de tirs de balles en plastique depuis les fenêtres de l’hôtel de ville, près de la Maison des Soviets. Cela a ajouté à la colère – les gens étaient prêts à se jeter sur les barbelés. Mais il s’est avéré que le cordon avait disparu, ayant été retiré à la hâte par la police elle-même. Personne n’a été surpris ou alarmé, l’euphorie était trop grande. Les manifestants étaient prêts à fraterniser avec les policiers qui découpaient les barbelés « pour faire des souvenirs ». Et quand il s’est avéré que sur le quai il y avait des bus vides avec des clés de contact, la jubilation n’a pas eu de limite. « Tous à Ostankino ! » – Cet appel a trouvé une réponse immédiate.
Peu de défenseurs du Soviet suprême auraient osé prononcer le mot « provocation ». Cela aurait dévalorisé l’élan civil de centaines de milliers de personnes, le sens même de leur lutte et leur foi en la victoire. Mais ce jour-là, on n’a pas compris ce qui s’était réellement passé. Les gens ont serré leur cœur en un poing, se préparant à se battre jusqu’à la mort. Et qui aurait pu imaginer que des chars d’assaut seraient lancés contre des personnes non armées se cachant derrière de fragiles barricades de fortune ?
Le camp de tentes a été le premier à être touché. Il a simplement été balayé du sol par des salves à bout portant. Puis les canons lourds ont frappé le bâtiment blanc comme neige, comme un paquebot à l’arrêt sur le quai du fleuve. En une heure, le bâtiment était devenu noir et un incendie s’y est déclaré. Et toute la zone environnante a été « nettoyée ». Un garçon désemparé a couru à la rencontre du véhicule blindé avec un cocktail Molotov. Ils lui ont tiré dessus depuis le blindé pendant longtemps, par intervalles : d’abord aux jambes, puis en dessous de la taille, puis à la poitrine. Le prêtre Victor, qui effectuait une procession religieuse autour de la Maison des Soviets quelques jours auparavant, est sorti à la rencontre du véhicule blindé avec une icône – lui et l’icône ont été écrasés.
Et au même moment, des bougies brûlaient dans la salle plongée dans le noir du Soviet suprême : les députés disaient adieu à la vie, priaient, s’embrassaient, chantaient, récitaient des poèmes et pleuraient aussi. La police anti-émeute avait déjà fait irruption dans le bâtiment et massacrait les derniers défenseurs des députés au rez-de-chaussée. Quiconque parvenait à s’échapper du bâtiment était encerclé dans la cour, conduit dans un stade voisin, frappé et abattu.
Et la « Maison Blanche », comme les « démocrates » l’appelaient pour imiter les Américains, est partie en flammes. Et tout cela a été vu sur CNN dans le monde entier. Des caméras avaient été installées à l’avance aux points les plus élevés du quartier. On pourrait se demander, comment les Américains pouvaient-ils savoir la tournure qu’allaient prendre les événements ? Mais ils le savaient d’avance : il faut du temps pour mettre en place une émission en direct, pour installer des caméras.
Les cameramen étrangers n’étaient pas les seuls à travailler dans les greniers et sur les toits du centre de Moscou. Selon des témoins, des tireurs de l’organisation sportive militaire israélienne Beitar, venus en Russie sous l’apparence de touristes, y ont également été aperçus. Ces snipers en uniformes noirs tiraient méthodiquement sur des jeunes gens robustes, manifestants ou passants, depuis des positions qu’ils avaient préalablement choisies.
Selon les estimations les plus prudentes, jusqu’à 5 000 personnes ont été tuées à Moscou au cours de ces premiers jours d’octobre. Deux fois plus de personnes ont été blessées. Toutes les morgues étaient pleines, les hôpitaux étaient surchargés. Beaucoup de gens, surtout ceux qui ne venaient pas de la ville, ont disparu. Il ne sont certainement pas revenu de la guerre. Oui, c’était une guerre déclenchée par le pouvoir anti-peuple.
Jusqu’à présent, il n’y a pas eu d’enquête sérieuse sur les événements d’octobre 1993. Ce crime, qui est imprescriptible, est resté non résolu. Toutes les enquêtes ont été stoppées au seuil des révélations et des découvertes. Personne n’a été déshonoré et personne n’a été puni pour son rôle dans cette affaire sordide, bien que les noms de toutes les personnes impliquées soient bien connus.
Le temps est inexorable. Les participants et les témoins de ces terribles événements décèdent. Les générations changent dans les familles des victimes. Ce ne sont plus les pères et les mères qui conservent religieusement le souvenir de ceux qui ont été tués. Les enfants qui n’ont pas connu leur père grandissent et fondent leur propre famille, où il n’y a pas de place pour un modeste mémorial familial. Leurs petits-enfants n’ont nulle part où déposer des fleurs en ce jour de deuil et de souvenir.
Il n’y a toujours pas de monument à Moscou en hommage aux victimes des événements d’octobre 1993. Le mémorial public, érigé dans la ruelle Droujinnikovski sur le lieu des événements, est aujourd’hui soutenu avec difficulté par un groupe de passionnés. Plus d’une fois, ils ont dû repousser les tentatives des autorités de la ville et du district d’empiéter sur ce terrain, et maintenant un parking s’y profile. Les autorités ne veulent pas de cette mémoire, elles en ont peur.
Mais la mémoire du peuple ne peut pas se tarir. Elle reviendra avec chaque pluie d’automne, avec chaque chute de feuille, à chaque passage des cigognes. Et chaque année, à cette date tragique, des milliers de personnes expriment leur solidarité dans une procession endeuillée vers le mémorial du peuple. C’est devenu une grande tradition que le Parti communiste de la Fédération de Russie a toujours respectée. Un parti restauré et appelé à l’action le même automne sur la vague de la colère populaire.
source : https://gazeta-pravda.ru
traduit par Marianne Dunlop
via https://histoireetsociete.com
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Source : Lire l'article complet par Réseau International
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