L’Amérique souffre profondément de son humiliation à Kaboul.
Par Alastair Crooke – Le 30 août 2021 – Source Al Mayadeen
Il est clair que la principale tragédie de la prise de contrôle éclair de l’Afghanistan par les talibans, ainsi que la débâcle associée au retrait dysfonctionnel de l’Occident, a été l’effondrement de la vision grandiose des États-Unis gagnant la « bataille pour l’avenir » et menant un monde dans lequel ils écrivent les règles et les font appliquer.
Son implosion totale et soudaine provoque le chaos dans une Amérique non préparée. C’est la loi de la jungle, avec ceux qui, dans les médias, ont célébré avec le plus d’enthousiasme l’investiture de Biden et qui mènent maintenant l’attaque contre lui. Les médias et la majeure partie de Washington se sont retournés contre Biden dans un virage à 180 degrés – et lorsque vous voyez « cela » dans un récit médiatique contrôlé, cela indique une lutte de pouvoir majeure en coulisses. Biden est en train de se faire piéger – que ce soit juste ou non – et sur le point d’être tenu responsable de l’implosion des États-Unis en Afghanistan, son taux de popularité étant déjà de 41 %.
S’il devait atteindre 35 % (si, par exemple, le retrait chaotique laissait des citoyens américains derrière, abandonnés, et donc effectivement otages des talibans), Biden ne posséderait probablement pas la force mentale nécessaire pour faire face à la tempête qui s’ensuivrait, ni l’énergie pour se défendre. (Selon la loi, Kamala Harris serait la prochaine sur la liste, ou à défaut, Nancy Pelosi succéderait à son poste. Mais il semble peu probable – à ce stade – que l’Establishment souhaite échanger Biden contre l’une de ces deux-là).
Dans le même temps, on assiste à une « insurrection » au sein de l’armée américaine contre le secrétaire à la défense et le chef d’état-major, le général Milley, menée par des officiers de rang intermédiaire et des officiers retraités. Et les luttes intestines au sein du parti Démocrate s’intensifient. Les crises s’accumulent : l’inflation, une chute soudaine des dépenses de consommation et de la confiance, ainsi qu’un pic du variant delta – tout cela a conduit à une tendance prononcée au pessimisme dans la population américaine.
L’Amérique souffre profondément de son humiliation à Kaboul. La « Grande Vision » de l’Amérique a toujours été éphémère, car elle reposait sur un ensemble de conditions impermanentes et atypiques survenues après la Seconde Guerre mondiale. Pourtant, les « pathologies » d’origine ont persisté et se sont renforcées : le « leadership mondial » des États-Unis, bien que né comme un mythe utile à des fins politiques, s’est métamorphosé en un dogme rigide.
Plus inquiétant encore, ce dogme a ensuite donné naissance à la croyance névrotique que toute fin de l’hégémonie américaine signifierait le retour des forces obscures et manichéennes. Cette conviction quasi-religieuse a évolué et s’est tellement ancrée qu’elle limite aujourd’hui la capacité de l’Amérique à appréhender la réalité. Les Américains en sont venus à croire avec ferveur en leur propre « récit utile », c’est-à-dire que la victoire est prédestinée et qu’elle survient précisément en raison de « la vertu morale innée de la vision », comme si la guerre froide n’avait été gagnée qu’en s’accrochant à ce credo de virtuosité morale.
La gravité du « moment » psychologique actuel a été bien exprimée – lorsque Robert Kagan a « épinglé » sa contradiction intrinsèque : en l’absence du mythe justificatif autour duquel organiser l’empire (maintenant que l’exportation de la démocratie et le remodelage des nations sont toutes deux discréditées), la logique morale de toute l’entreprise commence à s’effondrer. Selon Kagan, le projet de « valeurs mondiales » est en outre essentiel pour préserver la « démocratie » chez soi : en effet, une Amérique qui se retire de l’hégémonie mondiale ne posséderait plus la cohésion sociétale nécessaire pour préserver l’idée américaine chez elle.
Kagan met le doigt sur le traumatisme de l’Amérique : l’Amérique en tant qu’idée – déjà aux prises avec de puissants groupes d’opinion qui considèrent leur propre civilisation comme une force pernicieuse unique – sera confrontée à la sombre perspective de voir la « démocratie à domicile » devenir elle aussi un sujet de discorde partisane – après sa défaite dans la bataille pour la vision globale de l’avenir.
Le fait est, cependant, que le traumatisme de l’Amérique est aussi celui de l’Europe. Robert Cooper, attaché au Conseil de l’UE, a défini la « vision » européenne comme le nouvel impérialisme libéral. Son argument essentiel était que l’UE dépendrait du « soft power » pour façonner son imperium (en évitant la puissance militaire dure), mais que ce projet de soft power de l’UE serait toujours subordonné au fait que les États-Unis « couvrent l’UE », c’est-à-dire que les forces armées américaines seraient toujours là pour intervenir lorsque l’UE est en difficulté.
Le traumatisme européen a débuté avec le choc provoqué par la déclaration de Trump qui a décrit l’UE comme étant, à bien des égards, pire que la Chine, mais plus petite. C’était le premier signe que l’Amérique ne soutenait peut-être pas l’UE. Mais ensuite, Biden est arrivé avec le « retour de l’Amérique » et les « présidents » Von der Leyen et Morel ont minaudé et chuchoté leur plaisir.
Imaginez la détresse et la douleur à travers l’Europe, lorsque non seulement Biden a lâché sans cérémonie le thème du leadership mondial en Afghanistan, mais que Washington n’a même pas prévenu les Européens avant. C’est le traumatisme de l’UE. Biden a également fait s’effondrer la vision impériale euro-libérale, d’un seul coup.
Alastair Crooke
Traduit par Zineb, relu par Wayan, pour le Saker Francophone
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Source : Lire l'article complet par Le Saker Francophone
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