Notes submersibles sur une tragédie-bouffe
• Quel tintamarre extraordinaire, avec cette décision d’une trahison horrible, de l’Australie abandonnant sa commande énorme de 12 sous-marins à la France, pour passer à un fournisseur anglo-saxon (USA-UK + les locaux). • Cela se fait à l’ombre de la signature d’une alliance, l’AUKUS (Australie, UK, USA), qui fait penser à certains qu’est en train de se monter une nouvelle Sainte-Alliance de l’“anglosphère”, tandis que la stratégie US pivoterait de l’Europe vers la Pacifique. • Mais toutes ces choses existent depuis Cecil Rhodes et Winston Churchill (les affaires d’“anglosphère” [ou “anglosaxonisme”] et la stratégie US du Pacifique, qui n’a pas à être orientée puisqu’elle existe nécessairement à côté de la stratégie européenne des USA)… • Enfin, nous dirions qu’elles existaient car, aujourd’hui, toutes ces puissantes forces ont été réduites au niveau dérisoire des concepts de communication, pour tenter de faire écran au spectacle de la désintégration des pouvoirs et des forces armées des membres éminents de l’“anglosphère”. • La Chine observe tout cela, menace Taiwan, tandis que le général Li appelle son pote le général Milley.
17 septembre 2021 – Les anglophones, américanistes surtout, font des emprunts considérables à la langue française : 25 000 mots, dit-on, à la grande satisfaction de l’esprit universaliste de la magnifique langue française. Il y a même des emprunts d’expression : « C’est la vie », qu’on retrouve même dans des chansons rock’n’roll (Chuck Berry, Sonny & Cher) ; et puis celle-ci, qui est toujours d’actualité lorsqu’il s’agit des grandes et sublimes sottises et erreurs de notre temps-devenu-fou : « Plus ça change, plus c’est la même chose ».
On conviendra qu’elle (l’expression) est particulièrement adaptée à l’aventure des sous-marins français vendus aux Australiens en 2019, puis soudainement transformés, – abracadabra, – en sous-marins anglo-américains au nom d’un “pacte de sécurité” (Australie-UK-USA, ou AUKUS) très à-propos, pour contrer la puissance chinoise paraît-il, – essentiellement pour défendre l’industrie d’armement essentiellement américaniste, nous semble-t-il, – dans une saga où une chatte, que l’on sait pourtant vigilante, n’y retrouverait pas ses petits… Effectivement, une saga à plusieurs tiroirs où les $milliards sérieux, les promesses trahies, les hypocrisies militantes, voisinent avec tout ce qui fait, dans notre arsenal sémantique, une “tragédie-bouffe” si bien à l’image de nos temps-devenus-fous.
« Plus ça change, plus c’est la même chose », parce que notre très longue expérience de plus d’un demi-siècle des questions d’armement du temps passé (*) nous a habitués à la répétition sans fin de cette même félonie de nos “alliés” anglo-saxons, et de la naïveté correspondante et confondante des Français, surtout depuis les années 1985-1990. Les exclamations de dépit de notre brillant ministre des affaires étrangères Le Drian apprenant la nouvelle par la presse il y a deux jours ont également quelque chose de confondant. Réveillé en sursaut, Le Drian a montré cette même naïveté qui confine à la niaiserie et à la nigauderie, et suggère notre conclusion immédiate qui concerne effectivement la surprise douloureuse (« Maman, bobo ») du ministre : décidément, ils ne comprendront jamais rien.
Les structures et les figurants américanistes conçoivent la vente des armements comme une guerre totale, où il n’y a ni coopération, ni arrangements, ni alliés. Ils ne défendent pas leurs intérêts, ils bombardent les autres avec leurs intérêts, comme ils bombardent le Kosovo, l’Iran et l’Afghanistan. Ils ne mettent nulle subtilité, nulle finesse, nul sens de la nuance dans ces carpet bombings : ils utilisent les pressions, la corruption, les menaces et toutes les sortes de coups bas imaginables, jusqu’aux plus expéditifs.
(Voir par exemple et exemple bien documenté et en général ignoré, le destin tragique du leader populiste hollandais Pim Fortuyn, qui s’apprêtait à faire voter son parti contre l’achat du JSF/F-35 par la Hollande le 15 mai 2002 : assassiné dans des conditions étranges le 6 mai 2002, suivies de conditions encore plus étranges sur la manipulation de son parti après sa mort et avant le vote où son parti soutint l’achat du JSF.)
Les Russes se permettent de sourire
On donne ci-dessous, successivement, deux texte de Spoutnik-français (successivement de Maxime Perrotin et de Alexandre Sutherland) exposant l’affaire avec la colère française d’une part, les réactions officielles US avec la tentative d’un apaisement de la colère française et diverses autres réactions hors de France d’autre part.
Il faut signaler le sourire discret mais affirmé des Russes devant cette redoutable et explosive affaire. Eux, ils se rappellent l’affaire des porte-hélicoptères ‘Mistral’, et la façon dont l’administration Hollande avait liquidé la commande russe sous la pression des USA. On renvoie donc à un autre texte de Spoutnik (qui couvre bien l’affaire dans son édition française). On y lit notamment une transcription d’un message de Maria Zakharova, porte-parole du ministère russe des affaires étrangères, sur son compte ‘Telegram’ :
« D’où vient cette colère et cette amertume? Il semble que la rupture de contrats est pour la France une pratique assez courante. En 2015, Paris a résilié le contrat portant sur la livraison de deux porte-hélicoptères Mistral à la Russie. Ce ne sont donc que les couteaux plantés dans votre propre dos qui vous font mal. »
Si l’on considère l’écho communicationnel de cette affaire, les circonstances, les réactions, il est vrai que la Russie, au moins deuxième exportateur d’armement du monde qui est en train d’entamer des négociations avec l’Inde pour l’achat par ce pays des formidables S-500 (« Ce qui ne plaira pas aux USA », fait remarquer une voix douce et rassurante), a des pratiques d’exportation qui diffèrent sensiblement de celles des États-Unis. Au contraire de la submersible affaire en cours, les Russes étaient dans le rôle de l’acquéreur pour les porte-hélicoptères, et ils ont subi le viol de la parole donnée par le vendeur comme une insulte regrettable. Aujourd’hui, ils font du La Fontaine en s’adressant aux Français :
« Vous chantiez ? j'en suis fort aise. Eh bien ! dansez maintenant. »
La politique transatlantique mise à nu
La colère française après la décision australienne sur la pacte dit AUKUS (Australie-UK-USA) et le naufrage des submersibles français se trouve ironiquement et historiquement illustré par un tweet de l’ambassadeur français Philippe Etienne : « Fait intéressant, il y a exactement 240 ans, la marine française triomphait de la Royal Navy dans la baie de Chesapeake, ouvrant la voie à la victoire à Yorktown et à l'indépendance des États-Unis. »
L’affaire soulève un voile sur la pertinence de la politique transatlantique de la France, en fait non-politique d’alignement faite d’illusions, de narrative et de promesses trahies. Comme le roi, cette politique est mise à nu et le petit garçon du conte d’Andersen, revu modernité-tardive, peut s’exclamer : “leur politique est nu”, – c’est-à-dire “nulle” explique le mal-entendant. Quant au ministre Le Drian, il évoque l’hypothèse de l’horreur absolue : Biden a agi comme Trump le faisait, ce qui signifie qu’il n’est pas meilleur que Trump, qui était l’horreur absolue selon la bienpensance transatlantique, qu’il est même pire à la limite puisque chargée de l’ignominie du rêve (‘American Dream’) fracassé.
Le texte de Maxime Perrotin ci-dessous a comme titre : « Contrat du siècle torpillé par l’Australie : “L’adversaire c’est le démocrate américain !” »
« “La première grande initiative du [pacte de sécurité] AUKUS sera de livrer une flotte de sous-marins à propulsion nucléaire à l’Australie”. En une phrase, le 15 septembre, le Premier ministre Scott Morrison a officialisé le torpillage du “contrat du siècle”… sans y faire la moindre allusion.
» Signé en 2016 entre Canberra et Naval Group, ce contrat chiffré à plus de 35 milliards d’euros consistait à armer l’île-continent de pas moins de 12 sous-marins d’attaque tricolores. Profondément anti-nucléaire, l’Australie avait exigé que ses futurs submersibles soient à propulsion conventionnelle.
» Sept ans plus tard, on assiste donc à un rétropédalage, ou plutôt à une humiliation de la France dans les règles de l’art. En effet, bien que l’intention de Canberra de dénoncer ce contrat de 35 milliards d’euros ait fuité plus tôt dans la journée, le chef du gouvernement australien n’a rien trouvé de mieux qu’une vidéo-conférence avec Joe Biden et Boris Johnson pour rendre de facto caduque sa collaboration avec Naval Group.
» Le nouveau pacte de défense tripartite AUKUS vise quant à lui à préserver “la paix et la stabilité” dans la région indopacifique, comme l’a précisé Boris Johnson. “Ce sera l'un des projets les plus complexes et techniquement exigeant au monde”, a-t-il enchaîné: “Cela s'appuiera sur l'expertise que le Royaume-Uni a acquise au fil des générations”. Dans un communiqué commun, le Président américain et les Premiers ministres britannique et australien parlent d’“effort tripartite” pour le développement de ces futurs sous-marins.
» En France, c’est l’indignation: un “coup de poignard”, une “trahison”, titre la presse française. Voire un “Trafalgar” ? Une comparaison quelque peu surfaite, estime auprès de Spoutnik l’amiral Alain Coldefy. Car si la défaite est bien française, la victoire n’est guère britannique. Après tout, l’ancien officier d’état-major tient à rappeler que l’industrie de sa majesté fut bien «incapable» de développer seule l’Astute, la dernière génération de sous-marin nucléaire d’attaque (SNA), pressentie pour servir de modèle aux futurs submersibles australiens. “Plus d’une centaine d’ingénieurs américains sont venus aider les Anglais à construire leurs SNA !”, raille-t-il.
» En somme, bien qu’il s’agisse d’un “coup de Jarnac”, “inacceptable”, l’ex-numéro 2 de l’armée française tient d’emblée à remettre les choses au clair: dans ce coup de théâtre réunissant Américains, Britanniques et Australiens, sur fond de containment de la Chine, deux acteurs “comptent pour du beurre”. Aux “pions” australiens qui n’ont aucune connaissance en matière de nucléaire, Alain Coldefy ajoute donc les «faire-valoir» britanniques.
» “Il ne faut pas se tromper d'adversaire. L'adversaire c'est le démocrate américain !”, lâche sans détour l’ex-numéro 2 de l’armée française : “Johnson est un faire-valoir et les Australiens sont des pions là-dedans.”
» “On se refuse à voir les Américains comme étant hostiles à l’égard des intérêts français”, confirme Olivier de Maison Rouge. Peu surpris par un tel torpillage, cet avocat spécialisé en intelligence économique regrette que la France ne prenne pas la mesure de cette menace sur ses intérêts. Et il est vrai, les exemples où les États-Unis ont fait usage de leur interprétation extraterritoriale pour favoriser leurs intérêts ne manquent pas.
» En 2012, sous la menace de sanctions américaines, General Motors, qui était entré au capital de Peugeot-Citroën, obligea le groupe français à abandonner l’Iran, son premier marché à l’export… que l’Américain récupéra. Les méthodes d’intimidation employées par les États-Unis atteignirent des sommets lorsqu’en 2014 la justice américaine poussa le fleuron Alstom à céder sa branche énergie à General Electrics.
» Clou du spectacle, en mai 2015, quand la même justice américaine condamna la BNP, qui devenait trop présente aux États-Unis, à payer 8,83 milliards de dollars, pour non-respect des embargos américains. “On est en frontal avec l’administration démocrate américaine”, insiste l’amiral Coldefy, qui attribue également à Joe Biden l’échec récent de Dassault en Suisse.
» Pour Olivier de Maison Rouge, la manœuvre de Washington et de ses vassaux a le mérite de cadrer les choses: il ne s’agit pas là d’un “bloc occidental” réuni autour des Américains face à la Chine, mais d’un bloc “anglo-saxon, qui ne laisse aucune place à l’Europe, en tout cas à une troisième voie”.
» En somme, il n’y avait quasiment aucune chance que les Américains laissent aux Français un tel contrat dans leur pré-carré australien. L’image d’un Jean-Yves Le Drian, brillant VRP de l’industrie de défense tricolore, qui espérait avoir obtenu la neutralité des Américains sur l’octroi de ce contrat (les Australiens leur avant d’emblée octroyé la conception du système de combat) en prend un coup.
» Une “confiance trahie” regrettait ce 16 septembre l’ex-ministre français de la Défense sur le plateau de Franceinfo. “Cela ne se fait pas entre alliés”, lance-t-il, faisant part de son “amertume” et de ses préoccupations quant au “comportement américain”. Quant à Florence Parly, ses critiques ne vont qu’aux Australiens. L’actuelle ministre dénonce ainsi une rupture «grave», qui constitue “une très mauvaise nouvelle pour le respect de la parole donnée”… semblant oublier l’épisode des Mistral acheté par Moscou, quand la France s’était rétractée sous pression américaine et polonaise à la suite du rattachement de la Crimée à la Russie.
» Depuis la victoire de Naval Group en 2016 pour l’octroi de ce contrat, le plus important de l’histoire du pays, l’entreprise française s’est régulièrement retrouvée sous le feu des critiques de la presse australienne. Quelques semaines à peine après que Naval Group a remporté le fameux “contrat du siècle”, The Australian révélait en détail le contenu de 22.400 pages d’information du sous-marin Scorpène, portant un coup terrible à la crédibilité de l’industriel vis-à-vis de tous ses clients.
» Le gouvernement australien ne manqua pas de se saisir de l’affaire, poussant le patron de Naval Group Pierre-Éric Pommellet à se rendre à Canberra où il fera des concessions sur la répartition de la charge de travail: 60% en faveur des entreprises australiennes. En février 2020, son prédécesseur, Hervé Guillou, dénoncera devant l’Assemblée nationale une “campagne malveillante” à l’œuvre en Australie.
» Challenge est revenu sur cette campagne médiatico-politique à l’encontre de Naval Group teintée de FakeNews et de “mauvaise foi”. Ainsi, l’hebdomadaire soulignait-il par exemple que les surcoûts brandis par les opposants s’expliquaient en grande partie… par la variation du taux de change entre l’euro et le dollar australien. Aucun autre contrat d’armement sur l’île-continent n’a vu un tel déferlement de critiques, alors même qu’ils ont tous subi d’énormes retards: tels que les frégates Hunter, les destroyers de classe Hobart, ou encore les F-35 que les Américains livrèrent aux Australiens avec 10 ans de retard. »
Comment apaiser les Français ?
Un second texte de Spoutnik-France, de Alexander Sutherland, concerne les réactions aux USA et dans d’autres pays et zones, notamment dans les institutions européennes. D’une façon générale, l’initiative AUKUS et l’affaire des sous-marins sont accueillies avec un certain malaise, autant dans la forme (le changement de commanditaire pour les sous-marins avec les effets sur les relations avec la France et avec l’Europe) que sur le fond (la stratégie impliquée, notamment face à la Chine). Le changement de statut des sous-marins (propulsion nucléaire) est aussi un sujet de préoccupation, notamment par ses implications par rapport aux traités en cours.
Le titre du texte de Sutherland est « Sous-marins: la Maison-Blanche réagit à la colère française en renvoyant à l’Australie le soin de s’expliquer .»
« Après avoir provoqué la colère de Paris, Washington tente d’apaiser les relations à coups de promotion de leur “partenariat” dans différents domaines. Les Américains ont toutefois émis des déclarations contradictoires, notamment sur le fait d’avoir tenu leur allié au courant d’un partenariat stratégique avec l’Australie.
» Paris a perdu un contrat de 56 milliards de dollars avec l’Australie depuis l’annonce du partenariat de ce pays avec le Royaume-Uni et les États-Unis, prévoyant de lui livrer des sous-marins américains plutôt que français. Jeudi 16 septembre, l’attachée de presse de la Maison-Blanche Jen Psaki présente d’abord un “partenariat trilatéral de sécurité historique” sans mentionner une seule fois la France, jusqu’à y être contrainte par la presse.
» Face aux accusations de “coup dans le dos” et de “décision unilatérale” de Jean-Yves Le Drian, elle choisit de rappeler la longue coopération entre les deux pays.
» “Nous apprécions notre relation et notre partenariat avec la France sur une variété de questions auxquelles est confrontée la communauté mondiale, qu'il s'agisse de la croissance économique, ou de la lutte contre le Covid, ou de la sécurité dans le monde”, répond-elle.
» Elle renvoie ensuite la responsabilité à l’Australie d’expliquer ce choix d’“achat de technologie” auprès de Washington plutôt que de Paris.
» La même journée, le secrétaire d’État Antony Blinken a tenu un discours similaire : “Nous coopérons de manière très étroite avec la France sur de nombreuses priorités communes dans la région indopacifique, mais aussi au-delà, dans le monde entier. Nous allons continuer à le faire. Nous accordons une valeur fondamentale à cette relation, à ce partenariat”. Il a ensuite qualifié l’Hexagone de “partenaire vital”.
» Quant au caractère “unilatéral” de cet accord, Mme Psaki assure que la France “était au courant”. “Nous étions engagés, avant cette annonce, avec les dirigeants français sur cet achat”, insiste-t-elle. Cependant, M. Blinken précise de son côté que les responsables américains ont prévenu leurs homologues français “dans les dernières 24-48 heures pour discuter du partenariat, y compris avant l’annonce”.
» Or, comme l’a souligné le chef de la diplomatie européenne Josep Borrell, “un accord de cette nature n’a pas été cuisiné avant-hier”. Assurant que l’UE n’a pas non plus été consultée, il en déduit que “cela nous oblige, une fois de plus, à réfléchir sur la nécessité de mettre l’autonomie stratégique européenne en tête des priorités”.
» “Nous n'avons pas été informés de ce projet avant la publication des premières informations dans la presse américaine et australienne”, abonde Pascal Confavreux, porte-parole de l’ambassade de France à Washington.
» Symbole de cette rupture des relations, Paris a annulé une soirée de gala prévue ce vendredi à Washington. Elle était censée célébrer l’anniversaire d’une bataille navale du 5 septembre 1781, au cours de laquelle la flotte française a aidé les Américains à repousser les Britanniques, marquant un épisode décisif pour leur indépendance.
» Toujours jeudi, le ministre australien de la Défense Peter Dutton assure que cette décision a été prise “dans l’intérêt de la sécurité nationale”.
» “Nous avions besoin d'un sous-marin à propulsion nucléaire et nous avons examiné nos options”, justifie-t-il, ajoutant que “les Français avaient une version qui n'était pas supérieure à celle qui est utilisée par les États-Unis et le Royaume-Uni”.
» De plus, la présence aérienne américaine sera renforcée sur le territoire australien. Sans n’être jamais citée, la Chine est clairement la cible de ce partenariat sécuritaire anglo-saxon. Pékin a estimé qu’un tel accord “sape gravement la paix et la stabilité régionales, intensifie la course aux armements et compromet les efforts internationaux de non-prolifération nucléaire”. »
Du “Déjà-vu” au “Plus ça change…”
Les nombreux commentaires autour de cette affaire ‘AUKUS + sous-marins’ suscitent chez nous deux sentiments résumés par deux expressions françaises utilisées dans la langue anglo-américaniste : à la fois “déjà-vu” et, comme dit plus haut, “Plus ça change…”.
D’une façon générale, la chose est perçue comme un changement radical de la stratégie US (bien que le président Obama ait annoncé il y a presque une décennie que la stratégie des USA “passait de l’Europe à l’Asie”). Comme l’écrit l’analyste britannique Tom Fowdy, à l’image de beaucoup d’autres qui ne font que suivre la logique évidente de la géographie et de sa politique :
« L'Europe n'est plus stratégiquement pertinente pour les États-Unis comme elle l'a été pendant des décennies, non seulement vis-à-vis de la Russie mais aussi du Moyen-Orient. Nous sommes dans une nouvelle ère, et la nouvelle guerre froide ne ressemble pas à la précédente, car le centre de gravité n'est pas en Europe, mais en Asie. »
Contre cette analyse générale, sans pourtant en contester une seule seconde la logique selon la raison du géopoliticien “froidement réaliste” comme il aime à se voir, nous ferons plusieurs remarques :
• Il y a longtemps que, depuis 1945, les USA changent leur priorité stratégique de l’Europe vers l’Asie. C’était déjà le cas en 1950 (guerre de Corée) ou en 1964 (guerre du Vietnam) ; le dernier épisode du feuilleton est donc l’annonce d’Obama du “shift” vers l’Asie. Le “changement stratégique” n’a pour les USA aucun sens, parce que ce pays “indispensable” qui est évidemment une “hyperpuissance” à durée indéterminée a évidemment une stratégie maîtresse et une domination à mesure pour chacune de ces zones, comme pour toutes les autres d’ailleurs.
• Une “alliance” avec UK et Australie, déjà bien vivante depuis 1945 au travers d’une multitude de lien (serait-ce le fameux réseau “anglo-saxon” d’écoute et d’espionnage ‘Five Eyes’ depuis 1947), n’ajoute pas grand’chose à la situation stratégique de trois pays étroitement liés, c’est-à-dire où l’un (les USA) est comme chez lui chez les deux autres (Australie et UK). Les autres “alliances” (avec l’Inde, avec le Japon) ont le même caractère communicationnelle d’affirmation de choses déjà faites (le Japon) ou de choses qui ont de fortes probabilités de ne pas se faire (l’Inde). AUKUS ne change rien à cette situation, c’est un effet d’annonce, une nième manœuvre de communication.
• Au reste ce “changement stratégique” majeur se fait selon le constat que tout est à peu près réglé entre les USA et la Russie, la fameuse scission entre Chine et Russie ayant été réalisée, et ainsi la possibilité de se tourner vers l’affrontement contre la seule Chine. Est-ce qu’on plaisante ? Comment peut-on évoquer une telle possibilité alors que certains évoquent très sérieusement la possibilité que les Russes chassent les forces US de Syrie si l’ONU ne vote pas un texte exigeant le départ des forces US illégalement stationnées en Syrie ? Alors que la puissance militaire qualitative russe dépasse celle des USA ? Alors que les manœuvres russo-biélorusses font couiner de terreur les grandes voix (américanistes) de l’OTAN ?… Et tant d’autres points d’interrogation : est-ce que la plaisanterie va jusqu’à affirmer que les USA ont séparé la Russie de la Chine, Russie mise dans la poche arrière ?… C’est peut-être une pieuse et belle image stratégique, mais elle ne dépasse pas les frontières de la plaisanterie.
• La livraison de sous-marins AUKUS à l’Australie, avec ce cadeau étincelant des livraisons de technologies nucléaires à l’Australie est une perspective radieuse : elle s’étend sur plusieurs décennies aussi longues que les dizaines de $milliards, dans un environnement où l’on connaît bien maintenant les capacités technologiques et gestionnaires du Pentagone… Pourquoi ne pas désigner les sous-marins : classe JSF, – pour ‘Joke Submarine-Fake’, par exemple, et tout sera dit de ce que nous voulons dire. En d’autres mots, s’ils sont vraiment sérieux et construisent une douzaine de sous-marins AUKUS, la Chine en aura construit six douzaines dans le même temps ; si la chose était restée aux Français, la Chine n’en aurait construit que deux douzaines… Mais allez expliquer ça à un stratège US qui croit toujours que la plus grande puissance est US, et rien que US forever…
• Pour ce qui est des forces US qui pourraient s’installer en Australie, nombre d’entre elles y transitent déjà régulièrement et la question se pose de savoir comment l’on en trouvera d’autres, avec les équipements qui importent, capables d’intervenir à des milliers de kilomètres de distance (contre la Chine, of course)… Il est possible que la priorité pour les USA soit plutôt d’en déployer dans les îles Hawaï, si se confirment les hypothèses selon lesquelles la marine chinoise, pour “riposter” aux incursions de la VIIe Flotte en Mer de Chine, pourrait instituer ce même jeu autour de Guam, de Pearl Harbor, voire au large des côtes californiennes..
• Quant à la logique qui voudrait que les Européens, se voyant abandonnés par les USA dirigés par Joe Trump, – pardon, par Donald Biden, – se lancent dans une audacieuse et glorieuse “défense européenne”, il s’agit du dernier tiroir au bas de la commode intitulée « Plus ça change, plus c’est la même chose ». Un chroniqueur chenu d’expérience a assisté, depuis 1961-1962, à autour d’une dizaine d’initiatives de cette sorte. Elles échouèrent avec un de Gaulle ou avec un Mitterrand qui étaient gens sérieux, croyez-vous qu’elle puisse réussir avec un président Covid qui, depuis presque cinq ans, a mis au point la politique de l’“En Marche de l’écrevisse” ?
Général Li au bout du fil
… Et puis enfin ! Il nous semble qu’on a un peu trop vite écarté le cas des conversations du général Milley avec le général Li, ou bien qu’on n’a pas assez lié ce cas avec AUKUS. La publicité faite au comportement du président du JCS, qui a quasiment été confirmé avec un argument biaisé, a été perçu par la Chine comme l’étalage public d’une faiblesse considérable de la direction US, par sa division, son incapacité à se coordonner, sa faiblesse devant la tentation de la communication, des “fuites”, des causeries de salon,. Pour le reste, c’est-à-dire ce qu’on nommerait la “puissance dynamique” (opérationnelle) des forces, on a eu le mois dernier la démonstration de l’Afghanistan pour ce qui concerne les USA.
Vue plus concrètement, l’affaire Milley est perçue par la Chine comme un signe particulièrement convaincant de la division opérationnelle au sein des directions militaires et stratégiques US. Le désordre de l’ère-Trump, qui semblait accidentels et correspondre à une personnalité seule, est devenu, aux yeux des Chinois, un désordre organique avec une ère-Biden encore plus catastrophique que la précédente. Cette même perception traverse également les psychologies des acteurs de la communication washingtonienne, au point qu’on devrait en venir à des soupçons entre les dirigeants et les chefs eux-mêmes. En d’autres mots, si Milley a averti le 8 janvier son compère LI qu’il l’avertirait en cas d’attaque, pourquoi ne le ferait-il pas en d’autres occasions dès lors que le désordre-Biden surpasse le désordre-Trump ? Pourquoi ne trouverait-on pas de ces concurrences et de ces affrontements dans ‘D.C.-l’hyperfolle’, pouvant aller jusqu’à des fuites vers les adversaires extérieurs, de la part de divers autres généraux Milley ?
Ainsi, ce tweet d’un ‘officiel chinois’ (« Taiwan fait partie de la Chine. La Chine doit être réunifiée et le sera. Cette tendance historique ne peut être arrêtée par aucune force. Nous avertissons les autorités taïwanaises que toute tentative de rechercher l'indépendance et de rejeter l'unification est vouée à l'échec. ») a-t-il amené ce commentaire de Nick Amara, un pro-Trump et un anti-chinois chez ‘RedState.com’, – et selon une logique qui semblerait forcée et qui l’est à peine si pas du tout, qui peut être concevable pour un autre que Milley parce que, justement, le tweet chinois sonne effectivement comme un commentaire de l’affaire Milley-Li :
« L’histoire derrière [l’intervention de Milley] était que la Chine était inquiète d'une possible attaque américaine. Cela, bien sûr, est un non-sens. Comme l’a dit le colonel à la retraite retraité Douglas McGregor : “Trump n’est pas quelqu'un qui aurait lancé une frappe nucléaire à l'improviste contre qui que ce soit”. Mais Trump a été dur avec la Chine ; il l'a gardée dans l'expectative et à distance. Il était dur, montrant sa force, de sorte que les Chinois savaient qu'ils ne pouvaient pas prendre de risques ou ils auraient des nouvelles de lui. Il les a tenus en échec.
» Ce que Milley a fait avec son intervention est une interférence dans ce processus, en disant aux Chinois qu’ils seraient prévenus avant toute attaque. Non seulement c’était inadmissible, mais cela libère maintenant leurs actions pour pousser aussi loin qu'ils le peuvent, sachant qu'ils auront des “signaux” [d’un Milley ou d’un autre] avant que quelque chose ne leur arrive. Ils savent que Joe Biden a déclaré qu'il avait toute confiance en Milley, ils savent donc qu’ils peuvent compter sur le fait que Milley leur donne des informations et personne ne s'y oppose. Et c’est incroyablement menaçant car cela nourrit leurs ambitions de puissance.
» Et alors que voyons-nous maintenant ?
» Nous voyons la Chine menacer ouvertement de “réunifier” Taiwan à la Chine continentale. »
Ainsi voyons-nous AUKUS : une résurgence presque mélancolique de l’“anglosphère” du temps de Cecil Rhodes ou de Winston Churchill, lorsqu’effectivement le suprémacisme anglo-saxon (voir Toynbee) battait son plein. Mais aujourd’hui, alors que le pouvoir US est en miettes, que ses généraux téléphonent aux Chinois ou rédigent des mémos pour que les forces passent au hachoir du wokenisme et que les femmes enceinte jusqu’au septième mois puisse piloter un avion de combat ? Alors que les amiraux n’osent pas rapprocher leurs porte-avions de moins de 500 kilomètres des rives chinoises, laissant la besogne aux petits destroyers (comme le HMS Defender pour la Royal Navy, petit commissionnaire du Pentagone au large de la Crimée des Russes apprivoisés), – parce que plane la menace des missiles air-mer ou terre-mer à vitesse hypersonique et à capacité munitionnaire susceptible d’infliger un coup fatal à un de ces mammouths (les porte-avions US) échappés des cimetières des dinosaures, suite à l’explosion du météorite sans doute russe ou chinois, il y a un peu plus de 60 millions d’années à l’horloge du Pentagone ?
Dans cette affaire AUKUS, deux seules choses sont assurées, outre de valoir un Oscar aux pitreries de Boris Johnson :
• De beaux bilans pour quelques années, pour les contractants US, qui passeront au peigne fin tous les bénéfices possibles aux dépens des industriels britanniques et australiens ;
• un miroir de plus offert à l’Europe pour qu’elle se contemple, seule, impuissante, inutile, fatiguée, le maquillage en bataille et le cheveu de plus en plus rare – mais bon, attentive aux droits de l’homme, de la femme et des autres, – et voguant ferme dans les perspectives de la catastrophe climatique, histoire de “shifter” la stratégie…
Le reste, les grands plans stratégiques et les descriptions émues des géopoliticiens, c’est le côté bouffe de cette “tragédie-bouffe”.
Note
(*) Très longue expérience : particulièrement du temps de notre Lettre d’Analyse-papier indépendante ‘dedefensa & eurostratégie’ [1985-2011], mais aussi l’expérience de journaliste salarié de PhG acquise auparavant, depuis 1967. Notre intérêt pour ces activités a notablement décliné depuis 2005-2010, à mesure que la situation politique prenait des dimensions métahistoriques et que le seul pays capable de s’opposer aux USA dans ce domaine et dans le cadre occidental abdiquait toute indépendance et toute souveraineté vis-à-vis de cette puissance pourtant en déclin d’effondrement accéléré… Ah oui, on parle de la France comme “seul pays…”.
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